Game of thrones pendant la guerre de Cent Ans
Dans cet album, le trône n’est pas de fer mais d’argile car il n’est pas aisé de s’y asseoir définitivement, chacun luttant ou intriguant pour obtenir le pouvoir. Le Trône d’argile nous entraîne ainsi dans le royaume de France à la fin des années 1410. La guerre de Cent Ans (1337-1453) a commencé depuis déjà longtemps et les hostilités, un temps apaisées, sont désormais sur le point de reprendre de plus belle. France Richemond (historienne de formation), Nicolas Jarry (auteur chevronné de littérature fantastique) et Theo s’associent pour offrir un récit dynamique, foisonnant de détails et globalement fidèle aux événements. Une plongée au cœur d’un temps fort de la guerre de Cent Ans.
La fin des années 1410 est un moment de crise : le roi de France Charles VI est en proie à la folie ; les grand féodaux du royaume se disputent le pouvoir, en particulier l’ambitieux duc de Bourgogne, Jean sans Peur ; enfin, le roi d’Angleterre Henri V de Lancastre a pris pied en France et entend bien en mener la conquête jusqu’au bout. Dans Le Trône d’argile, on suit la (re)conquête de la couronne de France par le jeune dauphin – le prince héritier Charles de Valois – avec à ses côtés Tanneguy du Chastel, valeureux officier breton.
Le récit, romancé, n’échappe certes pas à un certain parti pris, puisque Bourguignons et Anglais passent plutôt pour les « méchants » de l’histoire, alors que le futur roi de France et son protecteur apparaissent comme des héros qui doivent surmonter les épreuves qui se dressent devant eux. Tanneguy est indéniablement la figure du chevalier parfait qui collectionne toutes les vertus. Toutefois, le personnage du dauphin est plus nuancé : il est le jeune homme en construction qui doit apprendre non sans difficultés à assumer les responsabilités d’un roi, pour devenir Charles VII.
Du côté des adversaires, Henri V et les ducs de Bourgogne sauront séduire le lecteur, sans doute enchanté de voir à l’œuvre des personnages terriblement machiavéliques. Enfin, la bande dessinée réserve bien sûr une place particulière au personnage de Jeanne d’Arc en essayant de raconter ses origines.
Extrait 1 – T1, p. 5
La bande dessinée débute à Paris, au printemps 1418. Ici, Tanneguy du Chastel et le dauphin assistent impuissants à l’une des crises de folie du roi Charles VI qui vient de s’enfuir par la fenêtre, persuadé que l’on cherche à l’assassiner. Cela fait maintenant une vingtaine d’années que la première crise a eu lieu. En 1392, lors d’une expédition vers la Bretagne, Charles s’est soudainement mis à dégainer son épée et, se croyant entouré d’ennemis, à pourchasser ceux qui étaient proches de lui, dont son propre frère, Louis, le duc d’Orléans.
Le Trône d’argile reprend l’idée d’un roi qui croit être entouré d’assassins, mais avec une grande différence : l’album présente Charles VI non plus comme un fou de guerre mais, au contraire, comme un personnage très craintif qui a peur de tout le monde. D’ailleurs, l’épisode de folie raconté ici par la bande dessinée n’est pas présent dans les sources. En réalité, il semble plutôt que ce soit la violence qui anime le roi lors de ses crises de démence : il brise du mobilier, déchire les draps de son lit ou jette au feu tout ce qui lui tombe sous la main. À d’autres moments, il lui arrive aussi de devenir complètement amnésique, jusqu’à oublier qu’il est le roi de France ! Malgré cette étrange maladie, Charles VI conserve une excellente forme physique – il continue à chevaucher et à vouloir participer à des tournois – ce que Le Trône d’argile souligne bien quand on voit le personnage descendre avec une corde improvisée le long d’un mur.
Plus généralement, on constate que la bande dessinée cherche surtout à faire du roi un personnage paranoïaque, faible et apeuré, sans doute pour insister sur le péril que court le royaume et renforcer la tension dramatique. De ce que nous savons, la maladie du roi se rapproche de la schizophrénie ou encore de la psychose maniaco-dépressive et recouvre des symptômes très différents, où les accès de colère sont particulièrement importants. Quelques mois avant le début du Trône d’argile, Charles VI s’emporte ainsi contre les rebelles de son royaume en ordonnant qu’on les chasse par la force des armes, avant de se calmer un peu plus tard et d’affirmer qu’il faut se montrer clément avec les insurgés et leur accorder le pardon.
Extrait 2 – T1 p. 26
Sur cette planche nous retrouvons le dauphin Charles de Valois, pressé par Tanneguy de quitter Paris car les Bourguignons tentent de s’emparer de la ville. En quelques cases, la bande dessinée parvient à résumer la guerre civile qui déchire alors la France. Deux partis, les Armagnacs et les Bourguignons, dont les chefs sont les grands féodaux du royaume de France, profitent de la faiblesse de Charles VI pour imposer leur influence à la cour et ainsi diriger la marche des affaires politiques.
Dans cet extrait, le personnage de Tanneguy affirme que le dauphin est acquis au parti armagnac. C’est correct dans la mesure où depuis 1413, Charles réside auprès de son beau-père, Louis II d’Anjou, un des principaux chefs armagnacs. Pourtant, la position du dauphin est plus complexe que ne veut le dire la bande dessinée ici car, ce qui importe avant tout pour le jeune héritier c’est moins le parti armagnac que le retour de la paix dans son futur royaume.
On voit d’ailleurs que Charles est encore un jeune homme de 15 ans qui se retrouve d’un seul coup confronté à des responsabilités politiques auxquelles il n’est pas préparé. Les scénaristes ont mieux réussi à faire transparaître cet aspect dans le récit où le personnage n’est jamais sûr de ses choix : ici, par exemple, il hésite à quitter Paris et donc son peuple, au risque de se montrer indigne de son rang.
Enfin, on peut observer que dans ces cases, le dauphin se distingue également par son costume, dont les scénaristes et le dessinateur semblent avoir bien travaillé la composition. La tunique courte dont le jeune Charles est revêtu renvoie à l’un des nouveaux critères de mode à partir du milieu du XIVe siècle : les hommes s’habillent désormais avec un costume court qui laisse entrevoir les jambes et les cuisses. D’autre part, le chapeau est porté par les adolescents soucieux de bien se vêtir, tandis que la couleur rouge peut renvoyer à l’enfance. Le dessin reflète donc assez correctement ce que l’on sait du vêtement à la fin du Moyen Âge et donne à voir le dauphin comme un jeune homme qui suit la mode de son temps. Enfin, sur la cape de Charles on peut voir différents motifs. Il y a bien sûr les fleurs de lys qui sont le symbole de la royauté française, rappelant que l’on a affaire à l’héritier du trône. On remarque aussi un animal marin – une représentation qui joue sur les deux significations possibles du mot « dauphin ». Toutefois, ce dernier rapprochement de la part des scénaristes reste hasardeux. En effet, le dauphin, c’est-à-dire l’héritier présomptif du trône de France, tire son nom de la région du Dauphiné et non du mammifère marin.
Extrait 3 – p. 30
En arrière-plan de cette scène, difficile de manquer la Bastille. L’édifice, resté célèbre comme symbole de la révolution de 1789, est à l’origine une puissante forteresse médiévale située à l’est de Paris au niveau de la porte Saint-Antoine. Elle a été construite par Charles V, le père de Charles VI, en 1370, pour compléter la muraille qui protégeait la rive nord de la capitale. Si l’apparence massive de l’édifice est relativement bien rendue sur le dessin, par contre le reste du paysage manque un peu de précision : on ne voit pas l’enceinte fortifiée de part et d’autre de la Bastille et il n’y a pas non plus les fossés remplis d’eau qui avaient été creusés, là aussi sous Charles V, pour renforcer les défenses. La forteresse est donc plutôt réduite ici à un symbole du Moyen Âge français.
Pour autant, le dialogue entre les gardes nous montre bien qu’il s’agit d’un endroit stratégique. C’est en effet non seulement un véritable bastion, mais aussi, comme le dit l’un des personnages, « l’une des principales portes de Paris ». Charles VI, pendant un moment de lucidité, s’est réservé l’usage exclusif de la Bastille : il peut s’y protéger face aux émeutes du peuple parisien et dispose d’une véritable porte de sortie pour gagner, par exemple, son château à Vincennes.
Extrait 4 –T1 p. 46
Dans cet extrait, nous voyons les deux principaux adversaires du dauphin et de Tanneguy : le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, et le roi d’Angleterre, Henri V de Lancastre. La scène est extrêmement riche de détails révélant le travail important de documentation fourni par les scénaristes pour rendre cette rencontre réaliste.
La représentation du duc de Bourgogne s’éloigne du portrait que nous avons de lui au musée du Louvre : peint au XVe siècle par l’école française, les traits de son visage y sont beaucoup plus fins et allongés que dans ces cases. On peut penser que le dessinateur du Trône d’argile s’est davantage inspiré du portrait conservé au musée des beaux-arts d’Anvers : peint également au XVe siècle, par un artiste anonyme des Pays-Bas, il montre un visage plus rond et marqué, comme sur cet extrait. L’idée des scénaristes en représentant ainsi Jean est sans doute de figurer un personnage taciturne, sévère et batailleur. C’est effectivement la représentation que nous avons gardée de lui et qui est en partie justifiée. Son tempérament belliqueux se retrouve par exemple dans son amour de la chasse, des tournois, mais aussi dans l’aventure de la croisade à laquelle il participa plus jeune, à 24 ans, en 1396.
En face de lui, Henri V est représenté dans l’apparat du pouvoir royal. Son visage coiffé d’une couronne ouverte, habituelle pour les souverains européens, ressemble à une représentation que nous avons de lui sur une enluminure du début du XVe siècle, conservée à la British Library. Malgré les conditions difficiles du campement militaire, tout est fait pour que le roi apparaisse en majesté. Il est assis sur un trône surélevé où sont représentées des scènes de chasse au dos et des soldats devant, qui rappellent le pouvoir militaire du roi.
Les scènes de guerre sur la tapisserie derrière le roi montrent également des combattants revêtus de l’armure de plates complète que portaient les chevaliers à la fin du Moyen Âge. On remarquera aussi que ces chevaliers sont à pied : il s’agit sans doute d’une référence à une nouvelle tactique inaugurée par les Anglais au début de la guerre de Cent Ans qui consiste à faire descendre les chevaliers de leur monture pour se battre à pied et ainsi éviter les désagréments du combat à cheval.
Enfin, à l’entrée de la tente, on peut noter la présence d’un drapeau qui porte à la fois les trois lions de l’Angleterre, mais aussi la fleur de lys française : c’est une manière pour Henri V de montrer qu’il réclame les deux couronnes. Il estime en effet être le prétendant légitime au trône français en tant que très lointain descendant d’Isabelle, fille du roi de France Philippe le Bel et cherche à faire passer le dauphin pour un usurpateur.
Extrait 5 – T2, p.6
Dans ce dernier extrait, on peut voir l’entrée du duc de Bourgogne dans Paris, qui est pour lui un moment crucial afin de renforcer son pouvoir. C’est ici une scène de liesse populaire : le public dans la rue, soigneusement encadré par les gardes, ainsi que les habitants aux fenêtres, saluent l’arrivée de Jean sans Peur aux cris de « Gloire à la Bourgogne ».
Une telle scène permet aux scénaristes de montrer une évolution majeure de la politique pendant la guerre de Cent Ans : désormais, l’opinion publique acquiert un rôle déterminant, en particulier dans des villes stratégiques comme Paris, pour légitimer ou délégitimer un souverain.
Le duc lui-même défile sur un cheval de parade, précédé par un porteur de drapeau aux couleurs et à l’emblème du royaume de France. L’objectif de Jean sans Peur est donc de paraître comme un sauveur du royaume et un pacificateur – on note d’ailleurs qu’il est venu en tenue de cour, sans son armure – afin de se gagner l’affection des Parisiens. D’ailleurs, aux côtés du duc se trouve la reine de France, Isabeau, qui est elle aussi acclamée par la population et sert de véritable caution symbolique pour les Bourguignons.
Néanmoins, Isabeau est ici représentée de manière quelque peu négative : on a l’impression de voir une femme vaniteuse et prête à trahir son fils, le dauphin, pour se ranger du côté de la Bourgogne. En réalité, la trajectoire politique de la reine est beaucoup plus complexe et intéressante puisque, depuis le début de la guerre civile, elle a été abandonnée à plusieurs reprises, autant par les Bourguignons que par les Armagnacs, sans parler de son mari en proie à la folie. En 1417, alors qu’elle est une loyale alliée des Armagnacs, plusieurs de ces derniers la diffament et la condamnent à l’exil, ce qui l’incite à rejoindre ouvertement le duc de Bourgogne. Au-delà de la vision un peu caricaturale de la bande dessinée, Isabeau a dû avancer avec subtilité dans le monde des trahisons politiques.
Enfin, l’arrivée de Jean sans Peur se trouve perturbée par l’odeur et la vision des corps morts dans les douves du Louvre, place forte royale qui se trouve très justement à l’entrée de la ville. Ces cadavres, ainsi que le visage inquiétant du mercenaire au service du duc, rappellent que la guerre de Cent Ans est aussi un moment d’exacerbation de la violence entre les camps ennemis. Car cette violence s’exerçe bien sûr des deux côtés : les Armagnacs recrutent en effet à la fin du conflit les fameux « écorcheurs », hommes de guerre impitoyables que l’on compare à des bouchers et qui laissent un terrible souvenir aux Bourguignons. L’action du Trône d’argile met ainsi très bien en scène la violence ordinaire qui s’est installée pendant le conflit.
Toutes les images © Éditions Delcourt, 2006 – Jarry, Richemond, Pieri, Theo
Le Trône d’argile T1 Le Chevalier à la hache. Nicolas Jarry & France Richemond (scénario). Theo (dessin). Lorenzo Pieri (couleurs). Delcourt. 48 pages. 14,50€Le Trône d’argile T2 Le Pont de Montereau. Nicolas Jarry & France Richemond (scénario). Theo (dessin). Lorenzo Pieri (couleurs). Delcourt. 48 pages. 14,50€
Le Trône d’argile T3 Henry, roi de France et d’Angleterre. Nicolas Jarry & France Richemond (scénario). Theo (dessin). Lorenzo Pieri (couleurs). Delcourt. 48 pages. 14,50€
Le Trône d’argile T4 La Mort des rois. Nicolas Jarry & France Richemond (scénario). Theo (dessin). Lorenzo Pieri (couleurs). Delcourt. 54 pages. 14,95€
Le Trône d’argile T5 La Pucelle. France Richemond (scénario). Theo (dessin). Lorenzo Pieri (couleurs). Delcourt. 64 pages. 15,50€
Le Trône d’argile T6 La Geste d’Orléans. France Richemond (scénario). Theo (dessin). Lorenzo Pieri (couleurs). Delcourt. 64 pages. 15,50€
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À propos de cette remarque :
« On remarque aussi un animal marin – une représentation qui joue sur les deux significations possibles du mot « dauphin ». Toutefois, ce dernier rapprochement de la part des scénaristes reste hasardeux. En effet, le dauphin, c’est-à-dire l’héritier présomptif du trône de France, tire son nom de la région du Dauphiné et non du mammifère marin. »
Ce ne sont pas les scénaristes qui ont fait ce rapprochement, mais bel et bien les héraldistes médiévaux eux-mêmes : sur le tabard porté par le dauphin Charles figurent en effet ses authentiques armoiries (avec une inversion toutefois), composées des lys de France d’une part, et des armoiries du Dauphiné, qui représentent bel et bien un dauphin !
Qu’ils correspondent ou pas à une origine ou étymologie réelles, ce genre de jeux de mots est monnaie courante en héraldique : un ours (Bär en allemand) pour Berne ou Berlin, un Lion pour le royaume espagnol de León, des fleurs de lys pour Florence, des bars (poissons) pour le duché de Bar et des saumons pour le comté de Salm en Lorraine, etc.