Jean Mermoz en Syrie (1921-1923), quatre évocations en bande dessinée
Le 26 juin 1920, un jeune homme de dix huit ans s’engage dans l’Armée et choisit de servir dans l’Aviation. Il se nomme Jean Mermoz. Recalé au baccalauréat, il ne sait pas trop quoi faire de sa vie. Comme il doit effectuer son service militaire, on lui conseille de rentrer dans l’aviation. Il suit cet avis sans trop de motivation : « J’aurais très bien pu être méhariste ou missionnaire », dira-t-il plus tard. Mais il va y découvrir sa vocation d’aviateur. Breveté pilote militaire le 8 février 1921, il ne supporte pas la vie de caserne et se porte volontaire pour partir en Syrie participer à l’expédition des Forces Françaises au Levant. De septembre 1921 à février 1923, il passera dix huit mois en Syrie-Liban, principalement à la base de Palmyre en plein désert. Ce qu’il y vit forge le reste de son existence. Quatre bandes dessinées racontent les premières aventures de celui que l’on va surnommer « l’Archange » et qui disparaît en pleine gloire dans l’Atlantique sud le 7 décembre 1936.
Pourquoi la Syrie et le Liban en 1921 ?
Avant d’examiner ces bandes dessinées, il est nécessaire d’éclairer un peu l’arrière-plan historique. Partons en premier lieu de la phrase de la case 7 de la planche 10 de l’album de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon de 1956. Mermoz quitte Marseille le 9 septembre 1921 avec d’autres soldats français pour « réprimer la révolte des tribus druses ». Les Druzes sont un peuple pratiquant une forme particulière de l’Islam, ils habitent le Sud de la Syrie et une partie de la montagne libanaise. Mais en réalité, en 1921, les troupes françaises sont en Syrie pour occuper le pays. Contrairement aux rêves de Lawrence d’Arabie et du prince Fayçal (que montre la fin du film Lawrence d’Arabie de David Lean (1962) avec la prise de Damas par les armées arabes du colonel anglais et du prince hachémite), les Français et les Anglais se sont déjà partagés les anciennes possessions arabes de la puissance ottomane. C’est ce qu’il est convenu d’appeler les accords secrets « Sykes-Picot » du 16 mai 1916. Grossièrement, les Français reçoivent une sorte de protectorat, « un mandat international » sur ce qui est aujourd’hui la Syrie et le Liban, tandis que les Anglais sont mandataires de la Palestine, de la Jordanie et de l’Irak.
Devant l’opposition des Arabes à ce partage, il faut une véritable expédition militaire pour que la France puisse s’établir au Liban et en Syrie. C’est à la pacification qui suit cette opération que participe Mermoz. La grande révolte des tribus druzes de Syrie, celle à laquelle on fait généralement allusion dans l’Histoire du Moyen Orient et qui est mentionnée dans le texte de la planche 10, case 7 du Mermoz de Charlier et Hubinon, a lieu plus tard en 1925. Mais, déjà en 1921, les Druzes et les Bédouins du désert s’agitent, ne supportant que très peu la présence des troupes françaises et britanniques sur leur sol. Il faut donc utiliser les grands moyens pour assurer l’emprise coloniale de la France au Levant. Dans ce pays désertique, l’avion est le moyen le plus facile pour frapper ces populations révoltées. Là aussi, il suffit de regarder le début de Lawrence d’Arabie, pour voir comment les avions turcs bombardent et mitraillent les Arabes en plein désert, en l’occurrence le camp de l’émir Fayçal. Les avions français font de même en Syrie-Liban en 1921. Et c’est sans aucun doute la mission initiale de Mermoz, caporal-pilote à Palmyre.
Dès 1938, Joseph Kessel, lui aussi aviateur et écrivain baroudeur, ami et confident de Mermoz, fait paraître chez Gallimard une biographie (276 pages) du héros disparu. Cet ouvrage, bien écrit et très imagé, reste longtemps la base de ce qui se publie sur Mermoz. Il est constamment réédité et encore disponible aujourd’hui. Cette biographie de Mermoz est la source principale des bandes dessinées consacrées à l’aviateur. En nous concentrant uniquement sur le séjour de Mermoz, pilote militaire en Syrie-Liban, nous allons voir comment le récit de Kessel est utilisé en BD à quatre reprises.
Les deux publications de Charlier et Hubinon
Un premier opus est l’œuvre de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon, tandem créateur de Buck Danny. Ils publient le 16 mai 1954 dans l’hebdomadaire belge Bonnes soirées, sous le titre : « L’Archange » une rapide biographie de Mermoz. Avec de magnifiques illustrations d’Hubinon au lavis, ils y racontent la vie de l’aviateur.
Mais, Charlier et Hubinon ont choisi de ne consacrer à l’épisode syrien qu’une seule case avec un texte de quelques lignes. L’arrière-fond historique est uniquement évoqué par la mention de « pays insoumis ».
Deux ans plus tard, après prépublication dans Spirou, les deux mêmes auteurs sortent chez Dupuis un album intitulé Mermoz, sous-titré Chevalier du ciel en page de garde ainsi que dans la première case. Cet album est régulièrement réédité depuis. La dernière parution en date est celle réalisée par le musée Air France en 2001 pour célébrer le centenaire de la naissance de Mermoz. Mais l’album est toujours resté identique à l’édition de 1956. La couverture est la même, ainsi qu’on peut le voir sur l’illustration ci-dessous. Elle représente Mermoz dans les Andes, en manteau de cuir, avec son casque de pilote à la main, quittant avec son mécanicien Collenot leur avion accidenté, que l’on aperçoit à l’arrière-plan. Seules les cinq premières des quatrièmes de couverture changent. En effet, dans les rééditions, Mermoz est intégré dans une suite de biographies de héros et personnes célèbres : Surcouf (déjà présent sur la quatrième de couverture des deux éditions originales), Stanley, Charles de Foucauld et Baden-Powell. Cette présentation ne varie pas pour l’édition spéciale « Sur les traces de l’aéropostale » de 1998 qui est un tirage limité à 5 000 exemplaires.
Dans cet opus, Charlier et Hubinon détaillent un certain nombre de péripéties de Mermoz durant son séjour en Syrie-Liban, et ce, visiblement, en suivant plus ou moins fidèlement le texte de Kessel. Au début des planches 10 à 15 consacrées à l’épisode syrien, après l’arrivée nocturne de Mermoz et Coursault à Damas, la séquence de leur course le lendemain avec un « petit vieux en caleçon » est similaire à la scène décrite par Kessel. Il est probable que celui-ci a dû recueillir cette anecdote de la bouche même de son ami Mermoz, si l’on en juge par la véracité de la scène. Le bas de la planche 10 et le haut de la 11 de l’album sont occupés par cet épisode, qui est donc mis en scène ici de façon scrupuleusement analogue au récit de Kessel. Sauf pour ce petit détail : Coursault est ici représenté avec des cheveux blonds clairs, alors qu’il était brun. Mais, à la décharge de Charlier et Hubinon, cette différence de couleur de cheveux n’apparaît pas dans le récit de Kessel.
Les mordus de l’histoire de l’aéronautique auront certainement reconnu dans l’avion dessiné au premier plan de la case 3 de la planche 11, le fameux Bréguet XIV. Mermoz pilote déjà ce type d’appareil comme il le fait plus tard dans ses premiers temps sur la ligne Toulouse-Dakar. En revanche, à partir du moment – le 4 décembre 1921- où Mermoz et Coursault sont en poste à Palmyre, la bande dessinée et le récit de Kessel divergent. Et ce, dès la première case :
En effet si le récitatif de la BD est exact, la représentation graphique s’écarte beaucoup de la réalité. Les montagnes figurées en haut sont beaucoup trop proches de la base française. En réalité, elles sont infiniment plus lointaines dans l’immense plaine de Palmyre, où se situent les ruines de la cité antique de la reine Zénobie ainsi que le village indigène et l’aérodrome français de l’époque de Mermoz. De plus, les couleurs utilisées pour rendre la nature de cet endroit ne donnent absolument pas l’idée que cette installation militaire française est en plein désert. Il semble qu’il y ait eu là une carence de la documentation, ou au moins une volonté de simplification excessive. À tel point que cette piste d’atterrissage figurée en vert tendre fait penser plutôt un gazon anglais, alors qu’elle devait être un simple espace dégagé et aplani au milieu de l’aridité absolue du désert. D’ailleurs, lors des pluies diluviennes de l’hiver syrien, cette piste se transformait en véritable cloaque. On le voit bien en lisant, dans la suite du récit de Kessel, l’épisode de la Saint-Sylvestre 1921. Voici la traduction de cet épisode en cases et en bulles par Charlier et Hubinon, (planches 11 et 12).
Examinons de plus près la dernière case : c’est la fête au mess de la base de Palmyre. Au centre, le pilote rescapé, qui explique comment il a décollé de Damas, est représenté vu de trois quart arrière. Sa silhouette fait penser aux autres héros de Charlier et Hubinon, par exemple les compagnons de Buck Danny, bref un genre de tête et de coiffure plutôt américain des années 40 que français des années 20. À droite Mermoz, représenté de face, lit les lettres de sa mère. Et là, il y a une grosse différence avec la version de Kessel. Dans son livre, cette arrivée des lettres maternelles se passe non pas le 31 décembre 1921, mais bien plus tard dans le courant de l’année 1922. L’écrivain baroudeur raconte les choses de la façon suivante :
Depuis des semaines, l’escadrille est privée de lettres. Entre la Syrie et la France, les moyens de communication sont encore mal aménagés. La poste ne fonctionne que par intermittence. Et une fois arrivé à Beyrouth, le courrier doit encore gagner Damas et, à Damas, il attend encore un temps indéfini la caravane ou l’avion. […] Mais par un beau matin, un avion se pose, roule vers les tentes, et le pilote se dresse dans la carlingue pour crier avant de descendre :
« Aux lettres, là-dedans. »
L’appareil est assailli. Les camarades se battent presque. Enfin chacun à son paquet. Mermoz compte, compte ses enveloppes. Il y en a 44 et la plupart portent l’écriture de sa mère. Il s’assied sur le terrain contre une route d’avion. Les autres sont adossés au fuselage, sous les plans. Mermoz commence à lire. *
Ce récit de Kessel tendrait-il à prouver que Charlier et Hubinon ont réuni dans la même case deux épisodes différents de la vie de Mermoz à Palmyre ? Il semble en effet que ce soit bien le cas. A leur décharge, on peut penser que le récit de Kessel comporte beaucoup de descriptions, voire des lignes d’introspection de Mermoz et que cette matière est difficile à « caser » dans une BD. D’autant plus qu’en 1956, la censure veille encore jalousement sur les publications destinées à la jeunesse. C’est sans aucun doute pour cette raison que les deux auteurs ne font pas entrer dans leurs planches certaines scènes voluptueuses du récit de Kessel se passant dans les sources d’eau chaude et sulfureuse, sous le tombeau de Zénobie. La morale est sauve.
En revanche, ce que Charlier et Hubinon déroulent comme une véritable fresque d’aventures (29 cases en tout, planches 12 à 15), c’est l’épopée de l’accident et du sauvetage de Mermoz et de son mécano hors des sables du désert.
Encore une fois, arrêtons-nous sur les trois dernières cases. Dans son livre, Kessel indique que « Il [Mermoz] était tombé en vue de Palmyre. Une patrouille de méharistes, conduite par un adjudant breton qui faisait sa ronde habituelle, le trouva inanimé » **. Ce sous-officier est devenu lieutenant dans la BD, avec un képi blanc de la Légion étrangère. L’habillement des méharistes indigènes et français et leur monte (façon de monter le chameau) me semble un peu trop « AFN ». Il faut comparer ces dessins avec cette photo d’une unité méhariste française du Levant à cette époque.
Effectivement, on voit que la sellerie est différente et que la monte ainsi que l’habillement des soldats syriens ici à l’arrière-plan sont plus proches de ceux de leurs homologues de la « Légion arabe » jordanienne (les Girls de Glubb pacha comme les appelaient les Britanniques) que des méharistes dessinés par Hubinon. Ceux-ci portent bien la coiffure traditionnelle des bédouins du désert de Syrie, avec le keffieh (foulard) et l’agal (cordelette) pour le maintenir. Mais ils montent leurs dromadaires « à la saharienne », les pieds appuyés sur le cou de la bête et, sur l’avant de la bosse, des selles chamelières avec pommeau à la « croix d’Agadès ». Alors que, dans la monte « à l’arabe » avec, sur le sommet de la bosse, des selles à pommeau plus petit et plus bas, la jambe droite du chamelier est repliée autour du pommeau de la selle et les pieds, déportés à gauche, sont nettement plus hauts et pendent dans le vide. On peut constater la même chose sur cette photo de Mermoz montant un chameau, le cliché ayant sans doute été pris à Palmyre.
À la décharge de Charlier et Hubinon, ils n’ont pas encore sous les yeux en 1956, le Lawrence d’Arabie de David Lean (1962) pour y puiser des images plus conformes à la réalité moyen-orientale de l’époque de Mermoz. Ils doivent donc se contenter de ce que leur fournit l’iconographie coloniale française du Sahara.
La suite de l’aventure syrienne est à peu près analogue dans les deux ouvrages. Mermoz, passé sergent, devient pilote d’avion sanitaire et enchaîne les missions de sauvetage.
La case 4 de la planche 15 montre un Mermoz réfléchissant à la signification des missions sanitaires qu’il remplit. Et il apparaît évident que ces pensées de l’aviateur renvoient, au début de la séquence, à la case 9 de la planche 11, où il semblait écœuré par les missions de bombardement et de mitraillage, dont on imagine que ce sont les populations civiles révoltées qui en sont victimes. Il faut donc penser que Charlier et Hubinon ont suivi Kessel, qui, en présentant Mermoz pilote sanitaire, disait ceci :
Quant à ses chefs, pour remplacer son vieux Bréguet perdu dans la montagne et qu’une colonne était allée brûler, ils lui confièrent un appareil du tout dernier modèle, le premier avion sanitaire du désert.
– Je n’ai plus rien à souhaiter maintenant, dit Mermoz.
Pour comprendre la qualité de son bonheur, il faut se souvenir de l’appréhension qu’il avait montrée d’être un jour amené à bombarder les tribus en dissidence.
Au lieu d’avoir à incendier, à meurtrir, à tuer, sa sûreté de main, sa conscience de pilote et d’homme le désignent pour sauver des blessés, des malades perdus dans les sables.
Il vole au secours des fiévreux, des mutilés pour lesquels les soins rapides d’un médecin, d’un chirurgien sont une question de vie ou de mort. Ces malheureux qui ont été secoués pendant des jours et des jours à dos de chameaux, sanglants, épuisés, quel miracle pour eux de voir arriver ce messager de la santé, de l’espérance avec son avion étincelant. Mermoz est devenu un brancardier ailé. ***
Quand on lit les cinq pages que Kessel consacre à la vie de Mermoz à Palmyre après l’accident, alors que chez Charlier et Hubinon il n’y a que cette seule 5e case de la planche 15, on se rend compte encore une fois que les projets des deux ouvrages sont fort différents, car les publics auxquels ils sont destinés le sont : jeunes enfants pour la BD (gare à la censure) friands d’aventures héroïques, public adulte amateur d’introspection pour le récit de Kessel.
L’album d’Attilio Micheluzzi
Viennent ensuite les deux éditions françaises de l’album de l’italien Attilio Micheluzzi. Cet auteur prolifique de BD d’aéronautique et d’aventure est le fils d’un général italien d’aviation et veut rendre hommage à la vénération de son père pour Mermoz. Ce qu’il formule ainsi : « ce général Micheluzzi, qui aujourd’hui n’est plus, mais qui me dit un jour : «J’aurais été fier d’avoir volé avec LUI, mon fils…» ».
Pour ne pas tomber dans le plagiat pur et simple de Charlier et Hubinon, Micheluzzi doit trouver sa patte spécifique, tant au niveau du découpage scénaristique que de la présentation graphique. Alors il prend le contrepied de ce qu’ont fait Charlier et Hubinon : au lieu d’ignorer le récit de Kessel, il le fait parler en tout début de son album. C’est ainsi que la deuxième planche (p.9 de l’édition Mosquito) représente l’écrivain baroudeur faisant une sorte de déclaration liminaire aux lecteurs :
À tel point qu’il devient impossible dans les commentaires et dans les bulles de l’album de savoir qui parle, Mermoz ou Kessel. Il n’empêche. Les vues de l’Orient ou de Palmyre par Micheluzzi sont beaucoup plus réalistes qu’elles ne l’étaient avec Charlier et Hubinon. Ceux-ci privilégiaient les péripéties dans la vie de cette communauté militaire française établie dans un Moyen Orient dont la BD ne nous donnait pratiquement pas d’aperçu. Alors que Micheluzzi n’hésite pas à nous fournir des scènes de la vie quotidienne ou des paysages grandioses comme celui de Palmyre.
Il est vrai qu’entre 1956 et 1987, beaucoup de choses ont changé dans le petit monde de la BD et dans l’univers tout entier. Les « petits mickeys » ne sont plus, la BD est devenue le 9ème Art et Jack Lang a lancé le projet de Centre national de la BD et de l’image à Angoulême. La décolonisation a été menée à son terme, la puissance américaine a subi l’épreuve du Vietnam et dans le bloc soviétique Gorbatchev essaie de colmater les fissures qui ne cessent de s’agrandir. On est passé de l’européocentrisme, largement teinté de colonialisme du début du XXème siècle à une vision plus large et plus planétaire. Est-ce la raison pour laquelle les scènes de vie militaire (fêtes, courrier) que nous avons vues chez Charlier et Hubinon disparaissent au profit de la centralité de l’aventure majeure de l’accident et du sauvetage de Mermoz et son mécano hors des sables du désert (p 18-20) ? Toujours est-il que sur un total de 94 planches dans l’album de Micheluzzi, cinq planches et demie sont consacrées à l’épisode syrien et dans celles-ci, trois et demie à l’accident et ses suites. Par comparaison, ces chiffres sont de 59 planches au total dans l’album de Charlier et Hubinon, cinq à l’épisode syrien et trois et demie à l’accident et ses suites.
L’album de Christophe Bec et Bernard Khattou
Enfin est parue chez Soleil de 2013 à 2019 avec des scénarios de Christophe Bec et différents dessinateurs, la série intitulée L’aéropostale : Des pilotes de légende. Chacun des tomes est consacré aux aventures des différents pilotes de la célèbre entreprise de courrier aérien des années 1920-1930. Les tomes 2 et 5 sont dévolus à Mermoz, mais il n’y a que dans le dernier album, le tome 5 dessiné par Bernard Khattou, que sont décrites les péripéties du séjour de Mermoz au Levant.
Dans L’aéropostale : Des pilotes de légende, T5 : Mermoz Livre II, les auteurs consacrent à l’épisode syrien neuf planches sur 45 au total. Ces neuf planches sont toutes – sauf les deux premières cases – dédiées à l’accident et ses suites. Mais cette aventure du jeune pilote (il a à peine 20 ans lors des faits), est racontée ici comme un souvenir par Mermoz lui-même à son mécanicien Collenot, les deux hommes étant immobilisés par une panne définitive de leur avion sur une plage brésilienne le soir du 24 décembre 1929 avec six bouteilles de champagne et une boite de sardine ****.
Mais s’il réduit le séjour de Mermoz en Syrie-Liban à cette péripétie de l’accident et ses suites, Christophe Bec en revanche étire la séquence en décrivant par le menu le calvaire des deux hommes dans les montagnes, puis dans le désert. Il y ajoute même une vision du mécanicien qui croit voir un temple en plein désert.
On ne peut rattacher cet édifice, tel qu’il est dessiné ici, à aucun style architectural précis, tant les différents éléments gréco-romains, mésopotamiens, hébreux, voire même nabatéens, sont mélangés. Est-ce un essai de reconstitution de ce que pourraient être les édifices de style composite de la Palmyre de l’époque de la reine Zénobie (IIIème siècle ap J.C) ? En tous cas, aucune source ne fait mention d’une quelconque vision du mécanicien Bertrand. Ce qui signifie que nous avons là une fiction pure. Et les auteurs semblent attacher tellement d’importance à cette image, qu’ils l’ont répétée en bichromie pour la page de garde de l’album.
En conclusion
Que nous montrent ces quatre BD du séjour de 18 mois de Jean Mermoz en Syrie Liban ? C’est l’atterrissage forcé dans la montagne et la marche dans le désert qui tiennent la part belle dans les quatre publications. Il n’y a que dans l’album de Micheluzzi que nous voyons apparaître un peu les populations locales et les ruines de Palmyre. Comme si la vision encore imprégnée de colonialisme de Charlier et Hubinon était reprise par les auteurs suivants. Et pourquoi ? Parce qu’un véritable travail biographique et historique n’a pas été fait sur la partie militaire de la vie de Jean Mermoz. Ces années de formation et d’initiation à l’aventure extrême sont en quelque sorte éclipsées par le rayonnement de l’épopée de l’Aéropostale.
Ce qui explique que, pour leur documentation, les auteurs de BD sont en quelque sorte prisonniers de la source littéraire principale, à savoir le récit épique de Kessel. Certes, l’historien Jean-Baptiste Manchon, dans son ouvrage L’aéronautique militaire française outre-mer (Paris, PUPS, 2013), mentionne Mermoz et cite Kessel. Mais son propos est très vaste historiquement et géographiquement et renferme seulement quelques informations, mais pas suffisamment pour augmenter significativement ce que nous savons déjà de Mermoz. Le tracé de vie militaire de « L’archange » attend donc encore un véritable travail scientifique pour que nous puissions disposer d’un portrait complet du « caporal de Palmyre » adaptable ensuite en bande dessinée.
* : Kessel, Mermoz, Paris, Gallimard, Folio, 1998, pp. 72-73.
** : Kessel, Mermoz, Paris, Gallimard, Folio, 1998, p. 82.
*** : Kessel, Mermoz, Paris, Gallimard, Folio, 1998, pp. 84-85.
**** : Kessel, Mermoz, Paris, Gallimard, Folio, 1998, p. 316.