La Dent de l’iguanodon, l’acte de naissance des dinosaures

L’origine de cet album singulier se niche dans une question posée par le fils des scénaristes : comment a-t-on découvert les dinosaures ? Bon questionnement, dont peu de gens ont la réponse. En parents consciencieux, Lisa Lugrin et Clément Xavier ont cherché. Si elle peut sembler anecdotique, la question ouvre de passionnantes perspectives liées à l’histoire des sciences et plus particulièrement aux paléontologues et à la pratique fort répandue des chasseurs de fossiles.
Avant la découverte des dinosaures
D’abord cantonnés aux cabinets de curiosités, les fossiles ont mis du temps à en sortir pour devenir l’objet d’études scientifiques. Les premiers paléontologues étaient des amateurs passionnés. Médecins, géologues, naturalistes, leurs solides connaissances leur permettaient d’appréhender ces objets étranges et d’aller contre les théories produites par la Bible, d’un monde fixe tel que créé par Dieu.
Gideon et Mary Ann Mantell, chasseurs de dinosaures avant l’heure
1825, Gideon pratique la médecine dans un village de l’Angleterre. Obstétricien et chirurgien, Gideon Mantell se passionne pour la géologie et les fossiles que Mary Ann dessine avec talent. Leur collection est considérable et s’agrandit sans cesse, au fil des promenades autour de chez eux. En visite chez un patient, ils découvrent une pierre qui renferme un étrange fossile.

Dégagée de sa gangue, la forme les frappe. C’est une dent, énorme, d’une espèce inconnue. A partir de ce petit morceau de roche, Gideon et Mary Ann passent de découvertes en découvertes. La taille de l’animal correspondant à cette dent les intrigue. Jamais on n’avait imaginé une espèce aussi grande, bien qu’une mention biblique puisse y faire penser. Puis son âge présumé pose question. La carrière d’où provient le fossile se situe dans des couches très anciennes qui n’ont encore jamais livré de telles découvertes. Les calculs de l’âge de la Terre encore balbutiants s’en trouvent bouleversés.

La difficile reconnaissance
Mais le couple est opiniâtre. Il est aidé par un autre pré-paléontologue qui, pour éviter les critiques, cache ses découvertes à la cave. L’homme est en contact avec Cuvier, la référence scientifique mondiale. Ils connaissent tous les deux les fossiles. Ils cherchent des réponses aux interrogations posées par la dent. Les Mantell cherchent aussi de leur côté, encore et encore. Ils correspondent avec d’autres amateurs éclairés, des scientifiques. Tous critiquent, émettent des hypothèses, revoient leurs conclusions. La lumière va venir d’une autre découverte scientifique majeure, rapporté par Darwin de son voyage aux Galápagos. Un spécimen d’iguane a en effet été disséqué pour être étudié. Ses dents ressemblent parfaitement, en plus petit, au fossile des Mantell. Eureka ! Cette dent géante provient de la bouche d’un iguane géant. Gideon Mantell nomme aussitôt sa créature iguanodon vient d’iguane (nom d’origine arawak) et du grec ancien odontos (dent). Les Mantell resteront dans l’histoire comme les seconds à avoir identifié et nommé une des premières espèces de dinosaures.
Une histoire de couple
La découverte de l’iguanodon est le fil rouge du scénario de l’album. Mais pour éviter d’avoir une histoire un peu « sèche », les auteurs ont l’intelligence de mettre en scène la vie du couple Mantell. Leur quotidien est celui de tous les couples avec ses difficultés et ses doutes. Le tout est traité avec beaucoup de retenue car ils traversent de rudes épreuves, en partie dues à la difficulté de se faire une place dans le monde de la recherche pour Gideon et pour être reconnue à sa juste valeur pour Ann. Le grand mérite de la Dent de l’iguanodon se trouve dans la proclamation de l’importance du travail de dessinatrices de plusieurs femmes vivant à l’époque avec des chercheurs de fossiles. Leur rôle est méconnu. Pourtant leur talent a fait beaucoup pour la diffusion des découvertes comme pour l’identification des espèces à venir.

Un album indispensable
Ce superbe album, remarquablement écrit et dessiné au trait, en noir et blanc, avec une finesse énergique, raconte comment se construit la connaissance. La postface de Ronan Allain, paléontologue au Muséum national d’Histoire naturelle, éclaire remarquablement ce qui se joue dans la recherche. Au moment où le président américain met à bas le monde de la recherche outre-Atlantique, où le doute dans les vaccins entraine la mort de nourrissons de maladies qu’on pensait disparues, au moment où la vérité scientifique devient une opinion, un tel livre est absolument indispensable.
La Dent de l’iguanodon. Lisa Lugrin et Clément Xavier (scénario). Pol Cherici (dessin). Postface Ronan Allain, paléontologue au Muséum national d’Histoire naturelle. Editions FLBLB. 348 pages, 23 euros.
Les 32 premières planches :