Geographia, le dessous des cartes à travers les yeux de Ptolémée

Parcourir l’histoire de la géographie et de la cartographie, voilà le défi que s’est lancé Jean Leveugle, dessinateur et géographe. Le pari est réussi avec intelligence et humour. A l’heure des applications numériques et des GPS, Geographia vient rappeler que la manière dont nous représentons le monde a une histoire et que cette histoire s’écrit différemment suivant les cultures, les époques, les mathématiques, les religions, les techniques ou l’imagination des géographes.
2000 ans après sa mort, Ptolémée, éminent mathématicien, musicologue, astronome et surtout géographe, revient sur l’anti-Terre, une Terre miroir de la nôtre sur laquelle vivent les hommes et les femmes que l’on n’a pas oubliés.
Dans ce monde inversé, il découvre que sa statue n’est pas présente dans le panthéon des géographes contrairement à son grand rival Marin de Tyr. Ptolémée comprend que sa Géographie est sur le point d’être oubliée, lui avec, concurrencée par tous les géographes et cartographes qui lui ont succédé. Son sang ne fait qu’un tour, son caractères rugueux, sa mauvaise foi et sa jalousie maladive le conduisent, avec l’aide d’Ola, une panotéenne (créature légendaire aux longues oreilles pendantes), à parcourir le temps et l’espace pour comprendre pourquoi tel ou tel scientifique lui vole la vedette. Des cartes égyptiennes aux relevés par satellites, l’auteur embarque le lecteur dans une véritable épopée humaine et scientifique.


Des personnages de chaque époque, des savants, expliquent à Ptolémée les raisons qui conduisent chaque civilisation à représenter la Terre de telle ou telle manière. La plupart nous paraissent assez fantaisistes mais pour les contemporains, il ne fait aucun doute que la représentation est juste. Elle obéit à des règles ou à des utilisations précises.

Elles sont aussi le fruit de collecte d’informations rapportées par des marchands ou des voyageurs. Ces récits qui passent de bouche à oreille finissent transformés et donnent aux auditeurs le sentiment d’un monde physique descriptible et mesurable associé à un autre monde plus fictif et imaginable.
Dans une écriture assez virtuose, il réussit le tour de force de vulgariser l’histoire de la cartographie et de la géographie, d’établir des comparaisons entre les différents systèmes, d’en indiquer les points forts et surtout de raconter une histoire très drôle peuplée de personnages remarquablement écrits. Pour tout comprendre des problèmes de projection, de calcul d’arc, d’échelle, etc, il faut lire Geographia. On découvre ou redécouvre que les Grecs pouvaient calculer la latitude et la longitude, que le Moyen Âge savait que la terre est ronde ou que les Romains savaient dessiner de remarquables cartes routières. Il faut se plonger dans cet album pour admirer un merveilleux catalogue de cartes qui montrent que cette science est affaire de calcul mais pas seulement, elle est surtout un fabuleux moyen de passer d’un monde réel à un monde dessiné, un monde recréé de toute pièce, une représentation qui a autant à voir avec la matérialité des choses qu’avec l’imaginaire. L’ensemble est complété par un copieux et savant dossier historique d’Emmanuelle Vagnon, indispensable pour compléter le récit de Jean Leveugle et pour admirer, cette fois, les cartes originales.
Geographia – L’odyssée cartographique de Ptolémée. (Dessin et scénario) Jean Leveugle. Conseillère historique Emmanuelle Vagnon Editions Futuropolis/BNF. 160 pages, 23 euros
Les treize premières planches :