La Honte et l’oubli. En 1898, les États-Unis montrent les dents et dévorent les Philippines
La guerre américano-espagnole de 1898 n’a, à notre connaissance, jamais été traitée en bande dessinée. Ce manque est comblé avec la parution de La Honte et l’oubli, réalisé par Gregorio Muro Harriet et Alex Macho eux éditions Glénat.
1897, en Espagne, un père de famille, ouvrier, se blesse gravement. La famille est sans ressource et le fils, Félix choisit de s’engager dans l’armée à la place d’un appelé fortuné. Cette pratique est alors fréquente, les plus riches payant les plus pauvres pour les remplacer sous les drapeaux. Félix est envoyé aux Philippines où la guerre gronde. Il rejoint son frère, José, parti avant lui. Après un très long voyage en bateau, il se trouve plongé au cœur d’un maelstrom diplomatico-militaire auquel il ne comprend pas grand-chose sauf qu’il doit sauver sa peau, sauver celle qu’il aime et retrouver son frère, en espérant qu’il soit vivant. Ce voyage est une découverte du monde et l’occasion pour le jeune homme de faire des rencontres, de faire des amis (et des ennemis) qui le suivront partout aux Philippines.
Gregorio Muro Harriet au scénario et Alex Macho au dessin nous embarquent dans une grande fresque colorée, pleine de rebondissements. C’est un grand film hollywoodien qui passe sous nos yeux. Les méchants sont très méchants et les gentils sont courageux, prêts au sacrifice par amour. On y trouve des Anglais fourbes et comploteurs, des indépendantistes manipulés par les grandes puissances, des jeunes demoiselles amoureuses et des femmes fatales, mais les deux auteurs évitent la caricature, les personnages sont complexes, bien écrits, crédibles. Les situations toujours justes s’enchaînent à un rythme endiablé. Ce qui n’empêche pas une grande rigueur historique. La vie cosmopolite des coloniaux à Manille est bien rendue, comme l’est celle des Philippins dont le rêve est de conquérir leur indépendance.
Le contexte est remarquablement rendu par les deux auteurs espagnols. La période nous est mal connue, absente de notre culture historique or c’est un moment charnière de l’histoire mondiale, un moment dont les effets se font encore sentir actuellement. Alors que les grandes puissances européennes se sont partagées le monde, les États-Unis, remis de la Guerre de Sécession, montrent qu’il faut désormais compter avec eux. Les affaires du monde les intéressent. L’US Navy et les Marines prouvent dans ce conflit qu’ils ont désormais la capacité de monter et de réussir de grandes opérations navales, très loin de leurs côtes. Ils mettent la main sur Cuba, les Philippines, Guam et Porto Rico. Pour ceux qui en doutaient alors, les États-Unis sont bien une grande puissance militaire, technologique et commerciale. Parallèlement, l’Espagne, en pleine déliquescence politique et économique, n’a plus les moyens de régner sur les restes de son immense empire colonial. Le pays est rayé du club des grandes puissances pour longtemps.
La Honte et l’oubli fait le récit de plusieurs évènements qui s’imbriquent les uns dans les autres : une bataille navale durant laquelle la flotte espagnole a été réduite à rien par les Américains (171 coups au but contre 15, 9 blessés contre 167 tués et 214 blessés), un accrochage entre la marine allemande qui croisait dans le coin et l’US Navy (le gouvernement américain craignait que l’Allemagne cherche à profiter du chaos philippin pour débarquer), et une guerre terrible entre l’Espagne aux abois et des indépendantistes qui vont aider les États-Unis à contrôler l’île. Ces combats feront des milliers de victimes parmi les populations civiles.
La Honte et l’oubli T1. Gregorio Muro Harriet (scénario). Alex Macho (dessin). Editions Glénat. 56 pages. 14,50 €
La Honte et l’oubli T2. Gregorio Muro Harriet (scénario). Alex Macho (dessin). Editions Glénat. 56 pages. 14,50 €