Tête de chien, tournoyeuse du XIIe s. en quête de ses origines

Depuis la fin du livre 2 de Tête de chien, nous savons que les cinq héros se rendent en Bourgogne pour passer l’hiver en famille. Profitant d’une période de repos après la saison des tournois, c’est dans cette région qu’ils sont confrontés à l’entreprise de vengeance de Gaucher de Joigny, leur rival malheureux. Ces tribulations vont également les mettre face au drame familial qui expliquerait pourquoi la « tête de chien » est devenue une célébrité des tournois. Ce livre 3 est donc une fresque haute en couleurs de la société féodale et du statut qu’y a la femme. Servi par le dessin très expressif de Ronan Toulhoat et l’intrigue pleine de rebondissements de Vincent Brugeas, ce récit haletant nous captive encore une fois par sa véracité historique et la pertinence de ses développements psychologiques.
Nous voici donc en Bourgogne. Durant le haut Moyen Âge, les différents territoires bourguignons étaient les héritiers du royaume des Burgondes. Après la mutation féodale, en émergent deux principautés plus importantes : à l’est de la Saône, le comté de Bourgogne (la future Franche-Comté) intégré dans l’ensemble du royaume d’Arles, partie du Saint-Empire romain germanique. À l’ouest de cette rivière, s’étend le duché de Bourgogne, qui avec ses comtés dépendants (voir carte ci-dessous) est dans l’orbite de la monarchie française. Ceci se marque par l’origine du lignage ducal, qui, depuis 1032, est une branche cadette de la famille capétienne. À l’époque qui nous intéresse (fin du XIIe siècle), le détenteur du titre est Hugues III, né en 1148, mort à Acre (Palestine) en août 1192 lors de la Troisième Croisade, duc de Bourgogne de 1162 à 1192. Peut-être est-ce de lui dont il est question quand Efnar, le père de Jehan/Jehanne, fait référence au « duc » page 130.

Rigueur historique et jeu de permutation
Page 7, l’héroïne de Tête de chien, jeune femme de petite noblesse habillée en homme pour pouvoir tournoyer avec les chevaliers, qualifie Efnar, son père, de « baron de la Tardoire ». Or, la vallée de cette rivière se trouve aujourd’hui en Haute-Vienne et en Charente et pas du tout en Bourgogne. Mais c’est là une des caractéristiques de la présente série que d’utiliser des éléments véridiques, en les plaçant dans un cadre historiquement ou géographiquement inexact. Toujours est-il que page 29, il nous est donné d’avoir une carte permettant de situer les différentes péripéties des cinq héros. On reconnaîtra dans cette case en bas à droite Gaucher de Joigny qui veut se venger d’eux et qui s’est accoquiné avec le seigneur brigand Renart de Babaudus, le personnage représenté en haut à gauche.

Des secrets dévoilés
À ce moment de l’aventure, Lancelin « le noirci » a été blessé par Gaucher, mais il a réussi à lui échapper et à être récupéré par Josselin et Jehan/Jehanne. Cette dernière a envoyé les deux écuyers Paulin et Maïeul prévenir Efnar son père, « le seigneur au pont d’or », tandis qu’elle, Josselin et Lancelin blessé se réfugient au « nid d’aigle », le petit château de son oncle Thibaut. Efnar et les deux écuyers viennent les y rejoindre peu après, tandis que Gaucher et Renard occupent le village aux pieds du château. C’est désormais dans cette petite fortification que vont se mettre en place le dévoilement des mystères. Lancelin révèle pourquoi il n’est pas chevalier, le père et l’oncle de Jehan/Jehanne livrent le secret de celle-ci après moult cris, pleurs et explications. Face à ce déchaînement d’émotions, Josselin s’affirme ouvert et compréhensif avec beaucoup de fermeté, sachant dépasser la naïveté qui le caractérisait dans les deux premiers livres de cette série.
C’est devant la porte du « nid » que se déroule le combat final de ce livre 3, mettant face à face la troupe de Gaucher avec la famille réconciliée de « Tête de chien ».

Ce livre 3, plus psychologique que véritablement épique, nous permet à travers la révélation d’Efnar page 103 (« ce sont elles les vraies guerrières ») d’avoir une vision clairement exposée du statut de la femme aristocrate dans la société féodale du XIIe siècle. Ceci se rapproche de ce qu’a écrit sur ce sujet le grand médiéviste Georges Duby dans Dames du XIIe siècle 1, sorti chez Gallimard en 1995.

Pour toutes ces raisons, on ne peut que constater encore une fois la qualité de cette série historique de fiction superbement racontée et illustrée, dont on attendra à nouveau la suite avec impatience.
Tête de chien Livre 3. Vincent Brugeas (scénario). Ronan Toulhoat (dessin). Yoann Guillo (couleurs). Dargaud. 134 pages. 22,95 euros
Les 22 premières planches :