14-18 T6. Dans l’enfer des tranchées, le déclic d’une photo
Un peu de calme dans la série 14-18 avec La Photo, un épisode qui se déroule en août 1916. Eric Corbeyran et Etienne Le Roux font reprendre leur souffle à leurs héros, tout en creusant la personnalité de chacun. Décrire la banalité du quotidien d’un poilu est plus parlant qu’il n’y paraît.
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Depuis le premier volume de la série 14-18, Eric Corbeyran avait habitué ses lecteurs à prendre à chaque album un événement de la Première Guerre mondiale pour toile de fond. Pour ce sixième opus, même si la date d’août 1916 et la bataille de la Somme forment l’arrière-plan de l’épisode, c’est plutôt le quotidien du front qui transparaît. Avec toujours comme fil rouge le destin de huit soldats d’un même village, Arsène, Jacques, Denis, Maurice, Armand, Louis, Pierre et Jules, mobilisés dans le même régiment d’infanterie en août 1914. Au début du tome 6 manquent déjà à l’appel Denis, abattu début 1916 à Louvemont, et Arsène, amputé d’une jambe après avoir reçu un éclat d’obus dans le même lieu. Pour les six rescapés, les jours se suivent et se ressemblent dans les tranchées avec leur camaraderie comme seule planche de salut. Il n’y a pas de grande offensive dans cet épisode, ni de combats acharnés. Pourtant, il y a beaucoup à dire sur ce moment de calme relatif sur le front. Comme l’arrivée d’un Mark I, colosse métallique, arme supposée fatale pour prendre le dessus sur les systèmes de défense ennemis. Toutefois, pour ce premier char d’assaut opérationnel, les essais in situ ne se passent pas pour le mieux. Une aubaine pour Pierre, le champion de la mécanique. La chute d’un aéroplane français, qui s’écrase dans le no man’s land entre les tranchées, ravive les cas de conscience, déjà bien présents en temps de guerre. Le pilote étant encore vivant mais gravement blessé, doit-on prendre le risque d’aller le chercher dans sa carlingue ? Le feu des Allemands empêche-t-il de vouloir sauver un compatriote en détresse ?
Dans le tome 6 de 14-18, les préoccupations des poilus sont également beaucoup moins terre à terre. L’écriture des lettres aux proches, épouses ou parents, est un exercice qui rythme les semaines du soldat. Mais il peut être un moment délicieux comme une vraie torture. Maurice couvre sa Nini de lettres et de dessins, alors que Pierre peine à donner de ses nouvelles à Jocelyne et Perrin, sa femme et son bébé. La guerre l’a-t-elle « essoré de l’intérieur » comme il l’affirme ? La photo qu’il reçoit par courrier (et qui donne son titre au volume), va-t-elle lui redonner le goût de communiquer avec son foyer ? L’obtention d’un accordéon en échange de menus travaux de mécanique lui permettra peut-être de chasser ses idées noires. Surtout lorsque l’instrument se trouve entre les mains de Louis, pas maladroit pour pousser la chansonnette. Et si cela ne suffit pas, reste alors le réconfort de la religion, comme pour Armand, qui ne perd pas une occasion de prier dans les églises encore debout qu’il croise sur son chemin. La question de la foi taraude d’ailleurs Jules, pourtant athée convaincu. Mais face à l’angoisse quotidienne de la mort, le jeune homme ne sait plus trop quoi penser. On le voit à ce rapide résumé, ce qu’on pourrait considérer comme un simple épisode de transition est en réalité un album qui creuse astucieusement la psychologie des personnages principaux et place des jalons pour la suite.
14-18 T6 La Photo. Eric Corbeyran (scénario). Etienne Le Roux (dessin). Jérôme Brizard (couleurs, décors). Delcourt. 48 pages. 14,50€
Les 5 premières planches :