Boudicca, la furie celte : résistance à l’empire romain dans la Bretagne antique

Si Boudicca est une parfaite inconnue en France, il n’en est pas de même outre-Manche, où chaque petit Anglais a appris à la connaître. Philippe Nihoul et Fabio Mantovani comblent donc un manque flagrant en déroulant la biographie de cette figure de l’Antiquité (grande) bretonne au sein de la collection « Les Reines de sang ». Avec ce deuxième tome d’un triptyque annoncé, les affaires se corsent pour les Icènes.
Le sud de l’île de Bretagne, région dans laquelle se situe l’intrigue de l’album, apparaît au Ier siècle av. JC comme une mosaïque de différentes tribus (voir carte ci-dessous), aucune ne l’emportant sur les autres. Dans cette BD sont mentionnées deux agglomérations : Venta, sur le territoire des Icènes (Iceni), et Camelodunum sur celui des Trinovantes, cette dernière étant plus importante que l’autre du fait de son statut de ville sacrée du dieu de la guerre Camelos. Il faut également noter le petit territoire de la tribu des Atrebates, un peuple établi des deux côtés de la Manche (voir deuxième carte ci-dessous). Notons également à côté de ce territoire, celui de tribus d’origine belge.
Voici donc les territoires des peuplades que César, ayant soumis provisoirement la Gaule, envisage d’envahir en 55 av. JC. Mais cette première expédition, ainsi qu’une seconde l’été suivant, ne donne pas les résultats escomptés et César doit repartir mater les révoltes de la Gaule qui se soulève *.
Cet épisode des deux expéditions sans grands lendemains de César en 55 et 54 av. JC fait l’objet de la première séquence du tome 1 de Boudicca, la furie celte, le plus grand profit pour les Romains étant d’ordre commercial. N’oublions pas que c’est de l’île de Bretagne que viennent depuis très longtemps l’étain et d’autres minerais qui entrent dans la composition du bronze et de certains alliages. Autant dire que ce sont là des « matières stratégiques » sur lesquelles l’empire romain aimerait bien mettre la main.

C’est au cours d’une des transactions commerciales chez les Icènes à Venta en 42 après JC que nous découvrons les trois personnages les plus importants de cet opus : le roi des Icènes Antédios, sa fille Boudicca et Prasutagos jeune noble icène. Les inquiétudes d’Antédios à propos des marchands romains, sont tout à fait justifiées : il est bien connu que ces commerçants servaient aussi d’espions pour l’armée romaine.

L’action se déplace ensuite à Rome au palais impérial où discutent deux personnages : l’Empereur et son ami Lucius Vitellius. Ce dernier est le père du futur empereur Aulus Vitellius, croisé dans L’Année des quatre empereurs. Quant au présent souverain de 42 ap. JC, il s’agit de l’empereur Claude (10 av. – 54 ap. JC), le quatrième de la dynastie julio-claudienne, qui règne du 24 janvier 41 au 13 octobre 54. De son nom de naissance Tiberius Claudius Drusus, il est le frère de ce Germanicus vu dans les livres VI et VII des Aigles de Rome. Claude n’est devenu empereur que par « accident » suite à l’assassinat le 24 janvier 41 de son neveu l’empereur Caligula.
Dans la conversation, Lucius Vitellius pousse l’empereur à reprendre pied en Bretagne. Le Livre VII des Aigles de Rome livre VII montre bien l’importance de la conquête dans la psychologie romaine. Ici, Lucius Vitellius justifie cette opération par des motifs politiques et surtout économiques. Ayant mis fin à cet entretien, Claude appelle un personnage qui va avoir une importance décisive dans ce début de la conquête de la Bretagne : Narcissus, qui est l’affranchi de l’Empereur, c’est-à-dire un ancien esclave qui continue à servir son maître comme une sorte de ministre. Claude l’envoie en Bretagne superviser le déroulement de la conquête, dont est responsable officiellement le général Aulus Plautius **.


Dans la séquence suivante qui se déroule au printemps 43 sur la cote gauloise face à la Bretagne, Narcissus par son éloquence particulière, réussit à empêcher une mutinerie des légions destinées à envahir la Bretagne. Parmi ces unités, il y a la IXe légion Hispana, ainsi que la IIe Augusta, commandée par le futur empereur Vespasien (9-79 ap JC). Les différentes phases de l’invasion romaine commencent à l’été 43. Cette opération va se heurter à la résistance farouche de Cataracos, chef des Catuvellones, un personnage que l’on retrouve tout au long des deux albums. Mais il n’arrive pas à mobiliser les autres tribus, en particulier les Icènes, celle de Boudicca. Le point culminant de cette offensive est l’arrivée de l’empereur Claude en Bretagne à la fin août 43 avec…. des éléphants. Après s’être emparé de Camelodunum, il repart à Rome avec Narcissus tandis qu’Aulus Plautius devenu gouverneur de Bretagne, organise l’île en province romaine.

Publius Ostorius Scapula, successeur d’Aulus Plautius comme gouverneur de Bretagne, est déterminé à imposer par la force la « pax romana » à toute la Bretagne. C’est ainsi que démarre le tome 2. Ayant refusé de se soumettre en remettant leurs armes, les Icènes partent en guerre contre les Romains, qui, après les avoir vaincus et tué le roi Antedios, leur imposent Prasutagos, l’époux de Boudicca, comme roi. De plus les Icènes doivent payer une énorme rançon, pour laquelle ils doivent emprunter à des taux usuraires à des prêteurs romains.

Quant à Caratacos qui a continué la lutte, il perd une dernière bataille avant de devoir s’enfuir seul, puis d’être livré aux Romains et d’être envoyé à Rome comme prisonnier, où il est gracié par Claude. Caratacos meurt à Rome en 54 ap. JC. Ce décès est concomitant avec l’assassinat le 13 octobre 54 *** de Claude par Néron et sa mère Agrippine la jeune (voir schéma généalogique plus haut), ainsi que l’exécution de Narcissus. En Bretagne, ces nouvelles arrivent chez les Icènes, tandis qu’un nouveau gouverneur prend ses fonctions.

Attardons-nous maintenant sur un accessoire de guerre qui apparaît dans les deux albums : le char breton. En effet que ce soit sur les plages de la Manche dans le tome 1 ou dans la forêt du territoire des Icènes au tome 2, ce char fait partie de la panoplie des armes des Bretons. Il semble que ce soit le moyen pour eux de rompre les formations romaines en tortue sur le champ de bataille. Mais quand on examine dans le tome 2 les cases 1 et 2, on se rend compte que le char sert aussi de moyen de déplacement pour les chefs. Ce double usage est aussi évident dans le tome 9 de Vae victis ! (p.26 et 29). On se demande d’ailleurs s’ils sont utilisés en accompagnement de l’infanterie ou en groupe de rupture.
Autre interrogation : ces chars avaient-ils des faux implantées dans les axes des roues, comme sur la fameuse statue londonienne de Boudicca sur un char par Thomas Thornycroft (terminée en 1885, mais érigée à proximité du Parlement de Westminster seulement en 1902) ou sur cette photo du film L’Aigle de la neuvième légion (2011) ? D’après la documentation, le modèle des chars à faux est surtout moyen-oriental. Ce type de véhicule redoutable est sans doute sorti de l’imagination du sculpteur ou du cinéaste. En Occident, les chars celtiques sont connus essentiellement par ce qu’on nomme en archéologie les « tombes à char », c’est-à-dire un mode d’ensevelissement d’aristocrates hommes ou femmes sur ou à coté d’un char dans la même sépulture. Une des plus célèbres est la fameuse « tombe de Vix » en Bourgogne. Mais, pour le moment, il n’y a pas eu de découverte de « tombe à char celtique» en Grande-Bretagne.
Boudicca, fille de roi, est, dès sa première apparition dans le tome 1, présentée comme la « prêtresse d’Andrasta » qui est la déesse celtique de la guerre. Elle fait des rêves prémonitoires, qu’elle expose au conseil de la tribu. Etant dans un bois sacré, elle cherche des signes divins dans l’observation des animaux sauvages, d’où le lièvre représenté page 33. Il y a aussi dans le tome 1 une séquence de sacrifice humain par des druides, aux noms de Cérnunnos, dieu du cycle de la nature et Camulos, dieu de la guerre. Certains historiens remettent en question ces prétendus sacrifices humains, qui sont souvent invoqués par les auteurs romains pour qualifier les rites celtiques de barbares. Les conquérants romains cherchent ainsi à faire disparaître le druidisme, ferment de révolte, ainsi que le dit le druide sauvé par Boudicca et Prasutagos.

Si l’on veut rester sur ce thème du druidisme au Ier siècle ap. .JC en Bretagne, on peut visionner Britannia (2018-2021), la série télévisée anglo-américaine de fantasy historique, dont un des personnages centraux est le général Aulus Plautius, commandant les troupes romaines d’invasion en 41 puis gouverneur. Il est le deuxième à partir de la gauche sur cette affiche de la série, la Bretonne à ses côtés n’étant pas Boudicca.
Enfin, pour le plaisir, on pourra regarder sur YouTube, le clip vidéo The Boudicca Song (2020).
Revenons maintenant aux deux albums, dont le scénario fait la part trop belle à l’évènementiel sans parvenir à s’en dégager : un exemple dans le tome 1, où une case montre une carte illisible de Britannia. Il aurait peut-être été plus simple de placer en fin d’album une page, voire une partie documentaire et explicative, comme c’est maintenant souvent l’habitude pour les bandes dessinées historiques.

On ne peut que regretter les maladresses du scénario. Boudicca, qui aurait dû être le personnage central des deux premiers tomes de ce triptyque, n’occupe qu’une place secondaire dans le récit global de ces deux albums. Dans le futur troisième tome, si l’on en croit les sources historiques, elle devrait logiquement être la dominante de l’action.
* : Sur ce sujet des expéditions de César en Bretagne, voir aussi les tomes 9 Caius Julius Caesar, le conquérant et 10 Arulf l’icénien de Vae victis ! de Rocca et Mitton, 1998-1999, Soleil productions.
** : Ce personnage apparaît dans le roman Quo vadis ? (1895) du polonais Henryk Sienkiewicz.
*** : Sur ces évènements, voir aussi Dufaux, Delaby, Murena, tome I, La Pourpre et l’or, Dargaud, 1997.
Boudicca, la furie celte T2. Philippe Nihoul (scénario). Fabio Mantovani (dessin et couleurs). Delcourt. 56 pages. 15,95 euros.
Les sept premières planches :