Arrowsmith, la Première Guerre mondiale à l’épreuve du médiéval fantastique
Des trolls dans les tranchées, c’est l’une des idées étonnantes de Kurt Busiek et Carlos Pacheco à l’origine d’Arrowsmith. Mêler Première Guerre mondiale et environnement médiéval fantastique est pourtant d’une grande cohérence. Arrowsmith est sans nul doute une pépite, méconnue et malheureusement inachevée.
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Avec un sujet comme la Première Guerre mondiale, pas facile pour un auteur de se lancer dans un ouvrage un peu décalé. L’humour, comme l’a fait Guillaume Bouzard avec Les Poilus en 2016, est toujours difficile à manier quand on parle d’une tragédie qui a profondément marqué le XXe siècle. Pour sortir des sentiers battus, Kurt Busiek et Carlos Pacheco ont choisi quant à eux de mêler vérité historique et récit médiéval fantastique dans une étonnante mini-série inachevée intitulée Arrowsmith. Publiée à partir de 2003, l’histoire coïncide avec le regain d’intérêt pour l’œuvre de J.R.R. Tolkien, suite à la sortie en salle de l’adaptation cinématographique de la trilogie du Seigneur des anneaux. 2001, 2002 et 2003 voient en effet le succès sur les écrans des trois films de Peter Jackson, donnant une nouvelle jeunesse aux trolls, dragons, hobbits et autres créatures fantastiques.
Arrowsmith s’inscrit tout à fait dans cette veine, et il n’est qu’à voir la première scène de la bande dessinée pour le comprendre de manière très spectaculaire. L’attaque des lignes françaises par un terrifiant monstre cornu dont la peau est couverte de flammes impressionne autant les poilus que les lecteurs. Le parallèle est d’ailleurs fort bien trouvé entre ce géant qui semble indestructible et un barrage d’artillerie qui cloue les soldats sur place. Dès cette première scène, on se rend compte que le choix d’éléments médiévaux fantastiques n’est pas qu’un vernis pour donner une couleur particulière au récit. Bien au contraire, il structure l’histoire de façon très cohérente.
L’intrigue générale d’Arrowsmith raconte le parcours d’un jeune homme vivant dans une petite ville du Connecticut, qui s’engage en 1915 – contre l’avis de son père – dans une unité aérienne de l’armée et participe aux combats en Europe. Rien de bien original jusque là, si ce n’est que l’adolescent est l’ami d’un troll de pierre et s’enrôle dans un bataillon où les engins volants sont des minuscules dragons. Lorsqu’il embarque à New York pour rallier l’Europe, Fletcher Arrowsmith croise pléthore de créatures dans la grande cité. Et pour donner encore plus de caractère à ce tableau de l’année 1915, les auteurs ont modifié les noms et les frontières des pays. La France devient Gallia, l’Allemagne Prussia, le Royaume Uni Britannia, et les Etats-Unis sont éparpillés en une multitude d’Etats indépendants, comme avant la révolution américaine. Tout cela donne une ambiance médiévale parfaitement en phase avec l’image de sauvagerie des combats de la Première Guerre mondiale (accolée de manière fantasmée au Moyen Âge).
Jusqu’aux rumeurs qui parviennent aux oreilles des populations : les Prussiens utilisent des cœurs d’enfants dans leurs nécromancies, dit-on dans Arrowsmith. La menace sous-marine dans l’Atlantique (ici des serpents de mer géants), l’horreur des tranchées, les hôpitaux de campagne, les combats aériens (en dragons), la mort qui rôde, les gaz, les atrocités commises par les deux camps, tout est là, mais différemment, en enrichissant avec une bonne dose de surnaturel la perception du conflit. On ne peut que regretter l’abandon de cette mini-série après seulement deux tomes.
Arrowsmith. Kurt Buziek (scénario). Carlos Pacheco (dessin). Editions USA. 68 pages.
Les 5 premières planches :