Dessous : la Grande Guerre en mode horreur
Il se passe de drôles de choses sous la butte de Vauquois, dans la Meuse. En mai 1916, la découverte par les Français de mystérieuses cuves dans les galeries allemandes terrifie les poilus mais excite l’état-major. Avec cet album, Bones nous raconte ce qui se passe Dessous, sous La Montagne des morts.
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Il y a mille façons d’évoquer la Première Guerre mondiale en bande dessinée. S’il est peu utilisé, le genre fantastique n’en est pas moins un moyen incisif pour décrire les horreurs du conflit. Bien qu’il puisse sembler au premier abord un peu potache, il révèle au contraire certaines vérités sur l’ampleur du désastre humain. Avec le premier tome de la série Dessous intitulé La Montagne des morts, Bones prend le parti de raconter la Grande Guerre comme un récit horrifique, dont l’influence est à chercher principalement du côté de HP Lovecraft, le fameux écrivain américain de l’entre-deux-guerres. L’auteur de L’Appel de Cthulhu (1926) est en effet le créateur de divinités effrayantes venues d’autres dimensions qu’on retrouve en filigrane chez Bones. La nouvelle Herbert West, réanimateur (1922) décrit les actes déments d’un médecin hanté (jusqu’aux tranchées de la Première Guerre mondiale) par l’envie de ressusciter les morts. Elle fait écho à un autre Herbert présent dans Dessous, professeur au Muséum d’Histoire naturelle de Paris et tout autant préoccupé par les expériences post-mortem. Le décor de La Montagne des morts est planté, il sera sombre, servi par des aplats de noir puissants pour plonger un peu plus le lecteur dans l’angoisse de découvertes indicibles. Mais qu’en est-il exactement de l’intrigue de cette bande dessinée ?
Mai 1916, en Argonne, précisément sur la butte de Vauquois, la vie militaire bat son plein. Une énième sortie des poilus français fait chou blanc. Côté allemand, la tranchée est très étrangement désertée. Pas un seul soldat du Kronprinz à l’horizon. Mais à la place, des traces de sang qui sortent d’un tunnel descendant dans les entrailles de la butte. Les volontaires désignés qui s’enfoncent dans le noir n’en mènent pas large. Le charnier qu’ils découvrent leur glace le sang. Et les cuves en verre présentes dans certaines salles ne sont pas plus rassurantes. Les créatures semi-humaines qu’elles contiennent achèvent de faire paniquer les Français. Quelles nouvelles armes les Allemands ont-ils encore inventé ? A moins que le responsable du carnage soit tout autre chose qu’un officier teuton… ?
La terreur d’une menace inconnue est le fil rouge de l’intrigue, mais d’autres thématiques parsèment l’album. Par exemple le décalage entre les militaires et les civils – ici un jeune physiologiste du Muséum d’Histoire naturelle venu sur le front pour étudier les macabres découvertes – sur la perception de la guerre. Ou la rancœur des poilus envers leurs « chers généraux ». Et puis, dans les récits d’horreur, la frontière entre l’angoisse et le grand guignol est toujours très fine. Pour rester du côté de la peur, Bones joue la carte du réalisme : précision des uniformes, des engins, des équipements, dialogues au vocabulaire argotique choisi et surtout vérité des lieux. La butte de Vauquois est en effet une gigantesque termitière, faite d’une vingtaine de kilomètres de galeries et de près de 200 pièces, tant du côté allemand que français. Les combats à coup d’explosifs font rage pendant toute la guerre, mais en mai 1916 l’Allemagne procède à une gigantesque explosion, la plus grosse du conflit, comme décrite dans l’album. Et si le scénario de La montagne des morts n’était rien de moins que l’explication d’une réalité cachée ?
Dessous T1 La montagne des morts. Bones (scénario, dessin et couleurs). Sandawe. 88 pages. 16,50€
Les 5 premières planches :