Double 7 et le double jeu de Staline pendant la Guerre d’Espagne
La Guerre d’Espagne a la cote en bande dessinée. C’est au tour de Yann et André Juillard d’entrer dans la danse avec Double 7, un récit au cœur des armées républicaines et plus particulièrement dans une escadrille des Forces Aériennes de la République espagnole.
Il faudra bien qu’un jour la bande dessinée s’intéresse enfin au camp nationaliste. Pas pour équilibrer ou cautionner quoi que ce soit, mais pour décrire, expliquer et décrypter. Jusqu’à présent, dans la quasi-totalité des (nombreux) albums parus sur le sujet, les vainqueurs de la guerre d’Espagne n’apparaissent qu’en creux ou en ombres chinoises, comme des « méchants » désincarnés, juste là pour matérialiser une menace. Ce n’est pas avec Double 7 que les choses vont changer. Yann et André Juillard prennent eux aussi comme cadre de leur récit les rangs républicains, de la fin 1936 au printemps 1937. Le lecteur retrouve l’ambiance de guerre civile propre aux histoires sur ce conflit fratricide sanglant. Il replonge également, comme c’est le cas pour nombre d’albums sur la Guerre d’Espagne, dans les luttes internes aux troupes républicaines, noyautées par les commissaires politiques venus d’URSS. A Moscou, Staline affirme définitivement son pouvoir en éliminant physiquement ses principaux opposants dans des purges massives. Il entend également contrôler les soulèvements hors de son pays pour que le leadership communiste de l’Union soviétique ne soit pas contesté. Mais comment gagner une guerre en se tirant une balle dans le pied ? Si les anarchistes, les trotskistes et le Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (POUM) – tous trois anti-staliniens – sont torpillés par l’URSS, c’est une grande partie des forces vives des républicains qui s’évapore. Double 7 montre bien ces enjeux politiques, qui s’entremêlent à la défense des positions militaires républicaines.
Au-delà de ce passage obligé pour tout album qui parle de la Guerre d’Espagne, Double 7 exploite des facettes plus originales du conflit. Comme pour Mezek, précédente bande dessinée signée Yann et Juillard qui s’ancrait en 1948 dans les débuts de l’aviation militaire israélienne, Double 7 prend comme décor une escadrille de pilotes internationaux (sur le modèle de l’escadrille España, future escadrille André-Malraux, dont les 5 Polikarpov I-16 “Mosca”, les mêmes que ceux de l’album, portaient sur leur dérive les lettres E, S, P, A et Ñ. Dans l’album c’est un domino double six qui est peint au même endroit). L’album souligne également le rôle des femmes dans la lutte armée. Les Mujeres Libres (« Femmes libres »), organisation féministe créée en avril 1936, ont en effet une place de choix dans une intrigue qui repose sur l’histoire d’amour entre les deux personnages principaux. Enfin, l’action de Double 7 se déroule à Madrid et non à Barcelone, comme la plupart des autres bandes dessinées sur le sujet. Porté par l’élégance du dessin académique d’André Juillard, l’album associe fiction et réalité (on croise Ernest Hemingway et Martha Gellhorn), parfois de manière détournée (le personnage de Jean Dary fait certainement allusion à René Darry, pilote de l’escadrille André-Malraux), mais également drame et romantisme, à la façon des superproductions hollywoodiennes des années 1950. Le résultat est plaisant et instructif, bien qu’un peu convenu, montrant que dans le camp des Républicains, le danger vient tout autant de l’ennemi que de ses propres rangs.
Double 7. Yann (scénario). André Juillard (dessin). Dargaud. 72 pages. 16,95 €
Les 5 premières planches :