L’abolition de la peine de mort. Quand Robert Badinter renverse la guillotine
Ce livre n’aurait pu être qu’un plaidoyer, une démonstration vaine dans la mesure où la France a aboli la peine de mort et que l’Europe l’exige en préalable à une nouvelle adhésion. Prenant l’Histoire à témoin, les auteurs de L’Abolition – Le combat de Robert Badinter rappellent que le combat n’est pas terminé, que les victoires qu’on croyait acquises sont fragiles et qu’il suffit d’un fait divers pour réveiller les instincts vengeurs les plus bas.
D’emblée, Marie Gloris Bardiaux-Vaïente se place dans les pas d’illustres prédécesseurs : Victor Hugo et les Derniers jours d’un condamné et surtout, Robert Badinter, avocat, ministre qui porta la loi d’abolition et auteur d’un livre, L’Abolition qui relate son combat. La scénariste le reconnait, elle doit presque tout à cet ouvrage. Elle sait cependant s’en écarter pour se couler dans le rythme de la bande dessinée et les libertés qu’elle prend ne trahissent pas le propos de l’avocat. Elle met à la portée de chacun une réflexion essentielle.
Pour démontrer l’absurdité et l’inhumanité de ce châtiment, il n’est pas besoin de remonter bien loin. En mettant en perspective deux affaires judiciaires, deux faits divers nationaux des années 1970, les auteurs suivent une partie de la carrière de Robert Badinter et font très vite comprendre, par l’absurde, que la peine de mort ne peut pas être un châtiment donné par la justice.
La première affaire est l’exécution, en 1972, de Roger Bontems. Condamné à vingt ans de réclusion pour vol qualifié et agression, il tente une évasion de la centrale de Clairvaux avec un complice. Deux otages sont pris, qui seront tués par l’acolyte de Roger Bontems. A l’issu de leur procès, les deux prisonniers sont condamnés à mort et guillotinés. Badinter qui défend Bontems ne peut imaginer qu’un homme qui n’a pas tué peut être condamné à la peine capitale, et pourtant…
La seconde affaire est celle de Patrick Henry. Le 30 janvier 1976, Patrick Henry a 23 ans. Il enlève un jeune garçon, Philippe Bertrand, à la sortie de l’école. La police l’arrête assez vite mais trop tard, l’enfant est mort et l’attitude du criminel révulse la population qui s’identifie aux parents du garçon. Lors de son arrestation, de ses transferts entre prison et tribunal, la foule vocifère, hurle, réclame la mort. Les avocats qui le défendent sont menacés. Ils demandent l’aide de Robert Badinter qui malgré la personnalité de Patrick Henry accepte avec l’idée de faire le procès de la peine de mort. Tout semble perdu. Les plaidoiries de la défense sont si brillantes que les jurés lui évitent le pire. Badinter a gagné cette bataille, il démontre que le châtiment est une loterie quasi déconnectée du crime et du criminel. Trois autres hommes seront guillotinés avant 1981 ; par trois fois, dans des conditions qui étonnent aujourd’hui.
Les auteurs reviennent aussi sur le droit de grâce, vestige monarchique, dont dispose le président de la République. Là encore, Marie Gloris montre bien que c’est une loterie. Un fait divers, un titre de journal peut renverser une conviction présidentielle bien acquise et faire tomber une tête.
Au moment où des débats agitent les consciences (référendum d’initiative populaire, retour des jihadistes de Daesh et son lot de paroles terrifiantes venues de plusieurs hommes politiques), il faut lire et faire lire L’Abolition. La démonstration est intelligente, l’histoire bien menée. Le dessin documentaire sans fioritures sert le récit en permettant de se replonger dans les ambiances, de suivre les protagonistes. Le lecteur peut avoir le sentiment d’être assis devant un bon reportage.
Un album citoyen à mettre devant tous les yeux en ce temps troublés pour rappeler que la peine de mort en plus d’être infâme ne sert à rien.
L’Abolition, le combat de Robert Badinter. Marie Gloris Bardiaux-Vaïente (scénario), Malo Kerfriden (dessin). Éditions Glénat. 126 pages, 17,50 €
L’abolition – Le combat de Robert Badinter
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