Lebensborn : quand la quête de ses origines mène aux pouponnières nazies de Norvège
À travers l’histoire de sa mère, enfant norvégienne adoptée ayant découvert sur le tard être née
dans une maternité nazie en 1944, Isabelle Maroger propose avec Lebensborn une enquête en forme
d’exorcisme. La famille y sert de rempart contre l’horreur. De ce fait, elle y remplace aussi un peu
la recherche historique.
Les politiques d’extermination mises en place par les nazis étaient indissociables d’un horizon d’« aryanisation », pour reprendre leur terminologie. Le corps de la nation, supposément purifié de ce qui en était jugé parasitaire (Juifs, Tsiganes, handicapés, communistes, etc.), devait se régénérer par la sélection de ses meilleures souches. Ce fantasme eugéniste a donné naissance à une stratégie nataliste spécifique, le programme Lebensborn (fontaine de vie), censé produire en masse les futures élites germaniques. Le livre d’Isabelle Maroger souligne tôt la solidarité de la Solution finale (dépeuplement) et de ces grossesses en série (repeuplement).
Certes, les deux politiques ont été d’inégales ampleurs. L’une a mené à la mort de millions de personnes, l’autre à la naissance d’environ quinze mille enfants appelés à grandir dans un monde inverse à celui auquel ils avaient été destinés, et qui les a plutôt mal accueillis (la brève notice historique à la fin de l’ouvrage rapporte des preuves de vindicte à l’endroit de ces innocents mal-nés). Malgré les différences, on ne peut qu’être frappé par les analogies entre ces modèles pareillement industriels, reposant tous deux sur une logique de la masse sérielle (tuer des Juifs interchangeables, réduits à des numéros / produire quantité d’enfants conçus comme autant de déclinaisons d’un même type). La couverture de Lebensborn rend bien la standardisation au cœur d’un tel natalisme par cet alignement de landeaux tous semblables, en une image à la fois heureuse et glaçante : a priori, rien n’évoque plus la joie que le spectacle d’un nouveau-né, et en même temps cette accumulation du Même introduit dans ce paysage paisible un trouble, comme si elle viciait l’image de la pureté par son clonage.
Lebensborn n’est toutefois pas un livre sur le programme Lebensborn, ou alors ne l’est que dans les marges de son récit. Celui-ci prend plutôt la forme d’un drame de la filiation et d’une enquête généalogique, en retraçant le chemin ayant mené la mère de l’autrice à découvrir son origine nazie. Cette entrée intime dans l’histoire du crime a au moins deux mérites. D’abord, d’exposer les voies par lesquels de tels descendants peuvent remonter aux sources de leur naissance, même si la recherche à proprement parler est racontée de façon assez elliptique pour sauter à ses conclusions, les retrouvailles de la mère avec ses frère et sœur jusqu’alors inconnus. Ensuite, de déconstruire la mythologie du sang sur laquelle s’est fondé le nazisme en la renversant, puisque le sang, ici, n’apparaît plus que comme une malédiction morale nourrissant le syndrome de l’innocent coupable ou, au contraire, comme un lien familial érigé en défense psychologique.
Le revers d’un tel décentrement est bien sûr la maigreur des informations divulguées sur le programme donnant son titre au livre. La plupart sont reportées à la notice finale, quelques autres sont ventilées à travers le récit des amours de la grand-mère norvégienne avec un jeune soldat allemand conquérant (difficile de ne pas voir dans cet encouragement à féconder de jeunes scandinaves – les soldats obtenaient une prime en cas de grossesse – une stratégie de colonisation par le ventre). Le cœur du livre est ailleurs, dans un drame identitaire doublé d’un récit familial qui, malgré tout ce que l’autrice y met de personnel – c’est le premier livre qu’elle scénarise elle-même – reste somme toute assez convenu. Ce style graphique relativement proche de l’illustration pour enfants se serait d’ailleurs assez peu accordé avec une enquête approfondie sur l’horreur d’une pouponnière infernale. Il convient davantage à la bonhommie familialiste sur laquelle Lebensborn fait fond.
Lebensborn. Isabelle Maroger (scénario, dessin et couleurs). Bayard graphic. 224 pages. 22 euros.
Les quinze premières planches :