L’Été des quatre rois, une plongée dans les “trois glorieuses”, la révolution manquée de 1830
En adaptant L’Été des quatre rois, le livre de Camille Pascal, Grand prix du roman de l’Académie française, Hervé Loiselet et Antonin ressuscitent en images les “Trois glorieuses”, une courte période assez folle de l’Histoire de France. Le scénario plonge dans les mécanismes qui ont fait chuter Charles X et la dynastie des Bourbons, et décrit l’occasion manquée d’un retour de la République. Un récit choral qui multiplie les personnages sans pour autant perdre les lecteurs. Les jours de juillet 1830 qui ont vu la chute de Charles X sont le résultat d’un jeu politique complexe. Les courants qui traversent la France à cette époque sont en effet nombreux. Orléanistes, bonapartistes et républicains sont à l’affût d’une faiblesse du pouvoir royal soutenu par les ultraroyalistes et les légitimistes. Depuis la charte constitutionnelle de 1814, le roi de France doit compter avec deux Chambres, celle des Pairs et celle des députés des départements pour gouverner. Il doit en outre respecter pour son peuple les libertés d’expression, de la presse et religieuse. Lorsque Charles X se cabre devant les succès électoraux des députés libéraux et tente le coup de force, il rend la situation explosive. Ses ordonnances dissolvent la Chambre des députés, suppriment la liberté de la presse et réduisent le collège électoral, dans le but de raffermir son pouvoir. Pour l’opposition et les Parisiens, ces décisions sont iniques et contraires à la Charte. Paris s’embrase. Sentant le trône vaciller, chaque courant politique essaye de jouer sa carte. L’intense jeu d’influence débouche sur la victoire de la bourgeoisie et des orléanistes dont le champion Louis-Philippe devient roi des Français.
Pour décrypter ce tourbillon de manœuvres politiques afin d’accéder au pouvoir, Camille Pascal avait quelques états de service. Historien de formation, haut fonctionnaire, plume de Nicolas Sarkozy (alors président de la République), conseiller de Jean Castex (alors Premier ministre), il connaissait bien les arcanes du pouvoir et les stratégies pour naviguer dans un panier de crabes. Avec son livre L’Été des quatre rois, il décrivit les “Trois glorieuses” sur 676 pages. Adapter un tel pavé en 88 planches de bande dessinée n’était pas tâche aisée pour Hervé Loiselet. La multiplication des personnages principaux (en prologue, la bande dessinée en présente 24), le contexte à rappeler, les particularités de l’époque à expliquer sans lourdeur, le jeu politique à éclaircir, autant d’embûches scénaristiques capables de rendre l’histoire illisible. L’album évite brillamment les écueils pour présenter avec une grande clarté les événements.
Le déroulement des “Trois glorieuses” est décrit avec précision et limpidité. Le nombre des personnages principaux ne dérange pas la lecture et donne au contraire du rythme à la narration puisqu’on passe sans cesse de l’un à l’autre, sans effort. Cela crée même un tempo trépidant, complètement cohérent avec le déroulé des événements. Charles X apparaît dans sa tour d’ivoire, inconscient des dangers, obtus, mal informé (le préfet de police lui assure que Paris ne bougera pas s’il signe ses ordonnances), puis obnubilé par la façon dont son frère Louis XVI a géré la situation au début de la Révolution. Il faut dire que la couardise, l’incompétence et l’entêtement caractérisent un grand nombre de ses proches et conseillers. En miroir, l’éminent sens politique – souvent dénué de scrupules – du banquier Jaques Laffitte et du journaliste (et futur homme d’Etat) Adolphe Thiers place ces deux hommes à la baguette du changement de régime. La Fayette espère un temps prendre la tête d’une seconde République, le vieux briscard de Talleyrand est encore au cœur des tractations (la scène marquante de l’entrevue avec l’ambassadeur d’Angleterre rappelle celle avec Fouché, des années auparavant).
L’intérêt de la bande dessinée est aussi de mettre l’accent sur le rôle important des femmes dans ces journées de grand bouleversement. Marie-Amélie de Bourbon-Sicile et Adélaïde d’Orléans, respectivement épouse et sœur de Louis-Philippe, ainsi que la comtesse de Boigne et son Salon parisien, ont toute leur place dans les négociations fébriles qui se nouent fin juillet 1830. Et bien souvent prennent les choses en main et secouent des hommes indécis, pleutres ou déconnectés de la réalité. L’Été des quatre rois est une vraie réussite dans le genre de la bande dessinée historique didactique et vivante. De lecture facile et passionnante, l’album offre le panorama complet d’un événement dont le souvenir se limite dans l’inconscient collectif, au mieux, au tableau La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix. Et d’ailleurs, qui sont les quatre monarques dont parle le titre ? Charles X et Louis-Philippe bien sûr. Les deux autres, qui n’ont pas régné, sont les fils et petit-fils de Charles X, le dauphin Louis-Antoine de France (qui ne sera jamais Louis XIX) et Henri d’Artois (qui ne sera pas Henri V).
L’Été des quatre rois. Hervé Loiselet (scénario adapté du livre de Camille Pascal). Antonin (dessin). Philéas. 88 pages. 19,90 euros.
Les dix premières planches :