L’historien Farid Ameur parle de Jesse James et Wild Bill Hickock, les deux premiers volumes de La véritable histoire du Far West
Avec Jesse James et Wild Bill Hickok, les deux premiers volumes très réussis de La véritable histoire du Far West, les éditions Glénat ont l’ambition de dépouiller le western de ses oripeaux de légende moderne. Avec Dobbs au scénario, Ennio Buffi et Chris Regnault au dessin, ces deux premières histoires s’éloignent du mythe du héros pour s’approcher, autant que possible, de la réalité voire de la psychologie de ces figures de l’Ouest américain. Pour faire la part entre légende et réalité, la collection est supervisée par Farid Ameur, docteur en Histoire, spécialiste de l’Histoire américaine et auteur de plusieurs livres sur les grandes figures de l’Ouest. Cases d’Histoire l’a rencontré.
Cases d’Histoire : Quel est le propos de la nouvelle collection « Western » qui sort chez Glénat et dont vous êtes le conseiller historique ?
Farid Ameur : Les éditions Glénat et Fayard se sont associés pour proposer une collection dont l’ambition est de raconter l’histoire du Far West dans la pure tradition du western et d’après les derniers acquis de la recherche, sans rien occulter de sa part d’ombre et en la dépouillant des oripeaux du mythe. Dans un fracas de sabots, elles vous invitent à entreprendre un fantastique voyage à travers le temps pour galoper à bride abattue à travers la conquête de l’Ouest ! A travers cette création artistique, l’idée est de redonner toute sa place à l’Histoire, laquelle a été à la fois magnifiée et déformée par la légende. Accessible au grand public, la collection retrace avec un souci d’exactitude historique le parcours exceptionnel de ses personnages les plus charismatiques, de Jesse James à Billy the Kid en passant par Geronimo et Calamity Jane, mais aussi de ses moments forts comme la Ruée vers l’or, la bataille de Little Big Horn, le siège de Fort Alamo et le règlement de compte d’Ok Corral… Authentiques mais vrais !
CdH : La nouvelle collection qui sort chez Glénat a pour baseline “La véritable histoire du Far West”. Qu’est donc que la vraie histoire ? Pourquoi le western séduit-il toujours ?
FA : La conquête de l’Ouest américain a bercé notre enfance et continue d’emporter notre imagination. N’oublions pas qu’elle a constitué une étape-clé de l’histoire des Etats-Unis. Plus encore, elle a œuvré à la construction de la nation américaine et a durablement imprégné les mentalités collectives.
Cette époque a pris les allures d’une vaste fresque épique, d’une des plus fabuleuses mythologies de l’Histoire et sans doute la dernière des temps modernes. C’est là, dans les paysages grandioses situés entre les rives du Mississippi et la côte californienne, que s’éclot le rêve américain grandeur nature. Et si cette épopée a tant façonné l’histoire des États-Unis, ne serait-ce que par l’expansion territoriale qu’elle représente, elle reste avant tout une aventure humaine. C’est le domaine des grands espaces, des folles chevauchées, des règlements de compte, des attaques de diligence, des duels et des charges de cavalerie. C’est aussi celui des tuniques bleues et des Indiens, des trappeurs et des chercheurs d’or, des pionniers, des cow-boys et des shérifs. Autant d’hommes et de femmes livrés fiévreusement aux détresses et aux convoitises, à l’ivresse du gain, au désir de faire fortune à n’importe quel prix dans une sorte de nouvelle terre promise. On peut y voir une dynamique qui mêle agressivité et esprit messianique, soif de liberté et opportunisme. C’est une histoire de courage, de violence, d’espoir et de conquête.
CdH : Il y a un renouvellement du genre qui a commencé au cinéma avec Little Big Man, très présent en BD et qui s’éloigne des canons du genre. On a le sentiment que le temps de l’innocence est passé et qu’il n’y a plus de héros positifs de l’Ouest. Est-ce la même chose côté américain ? Et qu’en est-il des Indiens ?
FA : Oui, depuis la fin des années 1960, avec l’avènement de la contre-culture, la guerre du Vietnam et les revendications des minorités, il y a eu une sérieuse prise de conscience. On a amorcé une relecture plus large et inclusive de l’histoire nationale américaine, avec l’objectif plus ou moins avoué de la « libérer » du traitement essentiellement White Anglo-Saxon Protestant (WASP) dont elle avait fait l’objet jusque-là. Mais il y a encore du chemin à parcourir ! Trop de stéréotypes subsistent encore. Parce qu’il incarne la nostalgie d’une authentique saga, dans laquelle se complaît la vanité nationale, le héros de l’Ouest est souvent représenté avec des vertus caractéristiques : habile, entreprenant, courageux et plein de panache, doté d’un sens inné de l’honneur derrière un extérieur rude et ombrageux. Les Noirs, les femmes et les Mexicains sont encore largement sous-représentés. Les Indiens, eux, sont passés d’un extrême à l’autre. Ils ne sont plus les guerriers assoiffés de sang, hurlants et emplumés, encerclant le convoi de valeureux pionniers et qui doivent se disperser au moment de l’arrivée providentielle de la cavalerie. On les décrit désormais comme des militants écologistes avant l’heure, en osmose les uns avec les autres, vivant à l’unisson dans une nature paisible et faite de paysages bucoliques. Si la conquête de l’Ouest s’est faite à leurs dépens, ils ne correspondent à aucune de ces représentations.
CdH : Quel est le rôle d’un conseiller historique dans la BD ?
FA : Mon rôle consiste à veiller à l’exactitude historique du travail des scénaristes et des dessinateurs sur le plan historique. Avec le concours efficace de Cédric Illand, notre éditeur, nous discutons beaucoup, car se plier à cette exigence de véracité historique impose une certaine rigueur et des recherches approfondies. Pour arriver au meilleur résultat en 46 pages, tout est mûrement réfléchi. Nous pesons le pour et le contre de chaque choix. Je fournis de la documentation et je réponds aux questions, parfois jusqu’au tout petit détail, tout en donnant des pistes de réflexion et en corrigeant les erreurs. Ajouté à cela, je fais des suggestions sans pour autant brider l’élan créatif des auteurs. Dans chaque album, je rédige un cahier final de huit pages pour livrer des éclaircissements sur tel ou tel sujet abordé et analyser la manière dont il a contribué à forger la mythologie du Far West.
CdH : Comment faire la part entre la légende et la réalité ? Comment travaillez-vous ?
FA : Je suis un véritable passionné. C’est un travail quotidien que je mène depuis plus de vingt-cinq ans. Outre les séjours de recherche que j’ai pu faire sur place pour les besoins de mes différents ouvrages sur le XIXe siècle américain, cela nécessite de ma part énormément de lectures – mémoires, biographies, journaux d’époque, articles spécialisés, synthèses – pour séparer le grain de l’ivraie, c’est-à-dire réussir à faire la part des choses entre la légende et l’Histoire. Heureusement, l’historiographie s’est constamment renouvelée sur le sujet et les derniers acquis de la recherche nous permettent aujourd’hui d’y voir plus clair ! Pour redonner toute sa dimension au récit historique, il faut aussi mener des enquêtes de terrain, aller à la rencontre des gens, visiter les musées, se rendre à Alamo ou à Little Big Horn, arpenter les ruelles de Tombstone ou de Deadwood etc… Rien de mieux pour s’imprégner du souffle de l’époque !
Jesse James. Dobbs (scénario). Chris Regnault (dessin). Glénat. 56 pages, 14,95 euros
Pour lire les premières planches
Jesse JamesWild Bill Hickok. Dobbs (scénario). Ennio Buffi (dessin). Glénat. 56 pages, 14,95 euros
Pour lire les premières planches
Wild Bill Hickok