Sur un grand chemin, une fresque devenue leporello qui retrace 45 000 ans d’Histoire dans le Pays basque
Toujours friandes de projets ambitieux, les Editions de la Cerise publient Sur un grand chemin, un leporello signé Guillaume Trouillard, qui décrit en fondu enchainé 45 000 ans d’une vallée des Pyrénées. Le natif du Béarn montre avec ce beau livre la puissance du dessin pour transmettre un patrimoine historique.
17 cm de hauteur, 47 cm de large, 12 m de longueur recto verso une fois déplié, le leporello (ou plus simplement livre accordéon) Sur un grand chemin est comme tous les ouvrages de ce genre, hors norme. Façonné avec grand soin (avec le concours de l’École de Condé de Bordeaux), le livre est luxueux et se veut un bel objet. Lorsqu’on déplie les “pages”, apparaît une peinture – ou pourquoi pas une bande dessinée muette – qui montre la trace humaine dans une vallée de Basse Navarre près de Saint-Palais, depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours. Guillaume Trouillard, son auteur, nous en dit plus sur cette publication épatante.
Cases d’Histoire : A l’origine, il y a cette fresque que vous avez réalisée en 2016. C’était quoi ce projet ?
Guillaume Trouilard : C’est une commande qui m’a été passée pour la réhabilitation d’un ancien couvent franciscain, lieu d’accueil sur la route de Saint Jacques de Compostelle, à Saint-Palais. On est à l’endroit où se rejoignent les trois chemins et la mairie voulait créer un espace culturel autour de cette idée. Cette zone de Basse Navarre, dans les terres du Pays basque a toujours été le lieu de passage des hommes vers l’Espagne, entre les Pyrénées à l’Est et les marais côtiers à l’Ouest. En passant par le col de Roncevaux.
Sur un petit couloir comme ça, de 20 kilomètres de large, la trace des hommes est vraiment dense depuis le Paléolithique. Les grottes d’Isturitz et d’Oxocelhaya, la voie romaine, les cromlechs, la tour d’Urkulu, sorte de vigie entre les deux versants, et puis la bataille de Roncevaux, 5 à 6 kilomètres en dessous, le passage des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, etc. Avec toutes les églises, les ponts, les bâtiments qui en découlent. Toute une architecture aussi, toute une richesse.
Donc, mandaté par la mairie, Pantxoa Achiary* a eu ce projet de faire un lieu culturel qui serait consacré à cette particularité. Et puis il se dit que c’est peut-être une fresque dessinée qui serait le meilleur moyen, même à l’heure de la vidéo ou des contenus interactifs. Donc, il m’embarque là-dedans.
On est allé rencontrer pas mal d’historiens, des paléontologues, des rencontres assez formidables. Et puis, je me suis imprégné de tout ça et je lui ai soumis mes propositions. J’ai essayé de faire la synthèse de tout ce qu’il me racontait. Par moments, j’ai débordé. Par exemple, ça me paraissait chouette de dessiner le bombardement de Guernica alors qu’on déborde un peu géographiquement, mais ça a été accepté.
Comment se présente cette fresque ?
Alors, ça devait être au départ une peinture in situ. Mais j’ai dit que mes outils, c’était l’aquarelle, le papier, et ils n’étaient pas en mesure de pouvoir les conserver sur le temps long. Donc c’est devenu une reproduction en grand format de mes originaux sur une structure. Ils ont fait un truc super chouette, une structure qui se referme sur elle-même, pas un long pan droit. C’est assez beau. Il y a eu un lourd travail d’acquisition de mes originaux, qui sont quand même des grands pans. Traitement des fichiers, impression en digigraphie 12 couleurs. C’est sur des tailles pas possibles, des pans de 7-8 mètres, qui ont été collés sur le support.
Pourquoi avoir décidé d’en faire un livre ?
Pantxoa a pris sa retraite, et la municipalité a changé de bord. Il y a beaucoup de choses qui ont changé par rapport au projet initial. La fresque est toujours là mais je me suis dit qu’il fallait que ça existe en livre. Et puis, c’est vrai que je travaille dans l’édition, et que ma foi, tant que je n’ai pas le livre, j’ai toujours un petit sentiment d’incomplétude. Donc on s’est dit, même si c’est quand même un projet un peu foufou ce leporello, qu’on allait essayer de transposer la fresque en livre.
Vos originaux était au format d’impression du leporello ?
Ils étaient plus grands. Le livre fait 17 centimètres de haut alors que mes originaux font presque le double. Mais on est loin du mètre de la fresque. Le format d’impression un peu maximal pour faire du offset c’est 70 centimètres sur 1 mètre. Et donc là-dedans, on rentre ce qu’on peut. Comme on fait un leporello, il faut qu’il y ait un pli. Il faut qu’il y ait une rainure avec un pli, au moins un, pour pouvoir après en assembler deux et que ça fasse un début d’accordéon. Donc en gros, avec un pli sur une plaque d’un mètre, on arrive à 50 centimètres de long. C’est le maximum du format possible pour quelque chose qui se plierait.
On a agrandi, étiré au maximum, ce qui nous a fait faire 2-3 bidouilles sur Photoshop pour retomber sur nos pieds. On s’est bien cassé la tête parce que ce qui avait été pensé pour la fresque, tombait de temps en temps complètement à plat. On se retrouvait avec des scènes coupées à l’endroit des plis. Il a fallu gagner des centimètres par-ci, en couper par-là. Tirer un peu un rocher sans que ça se voit, gagner du noir à l’inverse, etc.
C’est Pantxoa qui a proposé le découpage chronologique, les périodes intéressantes à traiter ?
Tout à fait. Je pense qu’il avait planché sur cette question-là depuis longtemps. Il a synthétisé un peu tout ça. Mais ça ne nous a pas empêché de nous le réentendre de la part des historiens. Et puis d’y réfléchir ensemble. Lui-même m’a raconté des anecdotes enfant dans les vallées profondes du Pays basque.
Y a-t-il des explications sur ou à côté de la fresque ?
Non, c’est brut. Il y a juste quelques petits panneaux avec des dates. Mais j’estime que ça fait partie des choses qui n’ont pas été réglées jusqu’au bout. Selon moi, il aurait fallu imprimer un petit truc du type du livret qu’on a fait dans le livre. En libre accès, que chacun a sous les yeux. Il a fallu beaucoup d’énergie pour que le lieu sorte de terre, pour qu’il existe. C’est un écueil qui revient souvent malheureusement. Arrivé à 90% du travail, tout le monde est lessivé, il n’y a plus de budget. Et les petits détails sont abandonnés.
Il y a quand même des événements marquants qui sont représentés (la bataille de Roncevaux, Guernica), mais pas clairement indiqué sur le dessin. Finalement, ça montre plus 45 000 ans d’un terroir que des événements précis qu’on pourrait y rattacher.
C’est pour ça qu’on a voulu éviter l’anecdotique. C’est pareil avec les Wisigoths. Ils ont passé les Pyrénées justement par cet axe. Je me renseigne sur eux, j’essaye de les dessiner, mais à aucun moment il n’est indiqué que ce sont des Wisigoths. On pourrait être à l’âge du fer, il faut être un spécialiste pour les reconnaître. Donc oui, on est sur une ambiance diffuse, mais pour la fresque je pense qu’un petit livret accompagnant n’aurait pas été de trop. C’est pour ça qu’on l’a ajouté dans le livre. Bon, ça n’empêche pas les gens de trouver la fresque belle, et de comprendre quand même le thème général et le projet.
En plus de l’ambiance, du projet qu’on comprend bien, même sans savoir exactement quel événement est traité, on ressent bien aussi qu’il y a un gros travail de documentation, sur les costumes, l’architecture. On est dans quelque chose de très rigoureux, et on le ressent bien.
On parle par exemple de la Préhistoire d’une certaine façon. Pantxoa tenait à ce que je puisse représenter une dessinatrice dans les grottes, parce qu’il commence à y avoir des informations qui remontent pour étayer cette thèse. De la même façon, pour le Magdalénien, les dernières trouvailles font état de gens qui seraient parfois recouverts de centaines de perles, sur des habits très ouvragés. Des perles qui viennent de loin, de Mésopotamie, qui ont donc voyagé, mais on ne sait pas comment. Les habits sont peints, il y a des plumes. Les archéologues ont retrouvé des pigments dans les grottes, des pigments verts, rouges sur les parois, dus aux frottements des habits. Si je veux vraiment être au plus près des dernières recherches, je les dessine comme dans Avatar. Mais c’est trop pour le public, donc on y va piano, pour que personne ne soit perdu ou pense que ce sont des Amérindiens.
J’ai passé beaucoup de temps à ça. C’est comme ça que je travaille en tant qu’auteur. Je blinde vraiment tout cet aspect documentation, il n’y a rien qui m’effraie plus que de faire des bêtises en termes de dessin. En revanche, ça ne m’empêche pas de faire des livres muets, ou de faire des projets laissés à l’interprétation des lecteurs, où tout n’est pas décortiqué, pré-mâché.
Les Wisigoths, c’est compliqué, pour aller trouver les petits motifs sur le bout de l’épée. J’ai pris de la doc dans des trucs improbables, de gens qui se refont des batailles, du reenacting. Il faut aller voir des vidéos, et ça, ça a été un long boulot, mais assez passionnant.
La période qui vous a le plus séduit semble être la Préhistoire.
C’est vrai que je suis assez fasciné par ces questions, dans ce que soulève le passage du Paléolithique au Néolithique. J’ai beaucoup de livres à ce sujet-là, c’est un peu comme les questions sur les peuples indigènes, ou les travaux anthropologiques sur ces questions, moi ça me parle beaucoup, parce que ça vient questionner notre modernité. Il y a eu un basculement, il y a eu des choses qui se sont produites, qui, je trouve, résonnent encore très fortement aujourd’hui.
Donc oui, si j’ai des historiens en face de moi, qui m’expliquent à quel point Homo sapiens, il y a 40 000 ans, était loin d’être cette caricature, qui voulait qu’il y ait un progrès linéaire… Quand j’ai un historien qui me prouve à quel point la richesse, les rites funéraires, des traces de ci, de ça, montrent quelque chose qui ressemble à une civilisation avancée il y a 40 000 ans, dans ma tête, ça fait tilt. Donc, oui, la Préhistoire, c’est super à dessiner. En plus de ça, j’ai bien aimé également l’âge du fer, Rome, etc., C’est vrai que ça aussi, c’est plaisant à représenter,
Sur un grand chemin, c’est un travelling chronologique d’une très longue période. C’est assez fascinant la façon dont les transitions sont faites, pour qu’on ne les voit pas, entre les différentes époques, les différentes séquences. C’est quelque chose que vous aviez déjà fait, ou vous avez été obligé de réfléchir pour l’occasion sur la meilleure façon de représenter tout ça ?
Non, ce n’était pas une découverte, je l’avais déjà fait. Et puis, de toute manière, aux Beaux-Arts, j’avais fait des espèces de films d’animation, dans lesquels je me retrouvais, par moments, à faire ce genre de choses. J’ai toujours aimé, dans les films, quand un personnage passe à l’avant-plan et hop, on arrive à la scène suivante, un film en plan-séquence, ce genre de choses.
Ça ne doit pas être évident parce qu’il y a des changements de saison, des passages jour-nuit.
Je n’ai pas le sentiment d’avoir bataillé. Je crois que ça a été assez naturel. Vraiment, je pense qu’avec ma formation et puis mes goûts, c’est quelque chose qui m’a toujours plu. Je peux comprendre que ça a un côté un peu magique pour le lecteur, mais pour le coup, ça arrive de manière plus naturelle en ce qui me concerne. C’est très agréable à penser, en fait.
En tout cas, c’est un beau projet de revenir au papier après cette fresque monumentale.
On est parti sur une diffusion assez confidentielle, avec un tirage à 600 exemplaires, numérotés signés, un truc un peu collector, un peu luxe. Il est en librairie depuis novembre. Il n’est que chez les libraires qui sont sûrs de pouvoir le vendre et qui ont envie de jouer le jeu. Et on le vend aussi en direct sur notre site internet et sur nos salons.
Ce qui fait que vous avez déjà un public fidèle qui est intéressé par ce livre.
On l’espère, car on l’a sorti avec nos propres fonds. Malgré tout, ça ne va pas être une mince affaire de boucler la boucle, comme un peu tout le temps. Ça va prendre du temps d’amortir la chose. La maison d’édition sert à ça, à continuer, malgré tout, à faire des trucs qui paraissent infaisables, qui défient la raison économique. Et tant que ça ne coule pas, ça va. Après, c’est à nous d’alterner ça avec des livres moins casse-gueule. Mais en tant qu’éditeur, je n’ai jamais eu comme ambition première d’éditer des livres forcément promis à faire des “cartons”.
* : “Pantxoa Achiary a eu un parcours très varié. Il n’est ni du milieu de l’art ni du milieu de l’histoire. J’aurais du mal à résumer tous les métiers qu’il a pu faire, mais ça va de charpentier à membre de groupes de musique. Il a fait beaucoup de choses. Il est le frère d’un chanteur connu au Pays basque qui s’appelle Beñat Achiary. C’est surtout un amoureux d’art et d’histoire. Et donc, il était missionné par la mairie de l’époque pour être porteur du projet“.
Sur un grand chemin. Guillaume Trouillard (dessin). Les Éditions de la Cerise. 49 euros.