Warbirds T1 : le Stuka de l’as de la Luftwaffe Hans-Ulrich Rudel, bombardier en piqué puis “tueur de tanks”

Le tome 1 de Warbirds est le premier album d’une nouvelle série consacrée aux avions de guerre du XXe siècle. Scénarisé par Richard D. Nolane et dessiné par Alexsandar Sotirovski, puis Vladimir Davidenko, il montre les exploits d’un pilote de Stuka, Hans-Ulrich Rudel, militaire allemand le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale, avec en parallèle la transformation de son avion de bombardier en piqué à chasseur de chars entre 1941 et 1945.
Ce sont les Américains que ont commencé à travailler le bombardement en piqué. Cette technique de combat est réalisée pour la première fois au Nicaragua en 1927 par des avions du corps des Marines. L’aéronavale américaine le développe ensuite pour les nécessités de la guerre dans le Pacifique. Il faut de la précision pour toucher les cibles mouvantes que sont les navires de guerre. Mais cette technique d’attaque impose des contraintes : freins de piqué pour stabiliser la vitesse, dispositif de guidage de la bombe au lancement pour éviter qu’elle ne percute l’hélice sur les monomoteurs, etc. De plus, pour le pilote, il y a un risque de « voile noir » (syncope) lors de la « ressource » (redressement) : à cause de la force centrifuge, le sang reflue vers le bas du corps et le cerveau n’est plus oxygéné. Les Américains mettent au point le Douglas SBD Dauntless, que l’on voit dans le film Midway de Roland Emmerich, sorti en 2019. Puis les Japonais se mettent aussi à y travailler. Mais ce sont les Allemands qui vont le plus loin dans ce domaine avec le Junker Ju 87, dont les premières versions sont testées durent la Guerre civile espagnole (1936-1939) *. Une petite précision : la fameuse sirène, apparue à la fin de ce conflit, est produite par deux petites hélices fixées en haut du jambage du train d’atterrissage.


La première séquence de l’album se déroule à la fin de l’opération « Barbarossa », qui voit l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht à partir du 22 juin 1941. Le 21 septembre, quelle est la situation du front ? Grosso modo, la Wehrmacht a atteint une ligne allant au nord de Leningrad (dont le siège commence) à la mer d’Azov au Sud. Au centre, elle s’est emparée de Smolensk et menace Moscou. Mais cette offensive s’essouffle à cause de la résistance grandissante des Soviétiques, ainsi que des conditions météo de plus en plus défavorables. À la page 3 de l’album, nous suivons une escadrille de Stukas en train d’attaquer Kronstadt. Cette grande base navale russe est fondée en 1710 par le tsar Pierre le grand, tout comme la ville voisine de Saint Petersbourg, pour faire pièce à la puissance maritime suédoise en mer Baltique. Mais Kronstadt est aussi au XIXe et XXe siècles un foyer d’agitation politique, notamment en 1921 avec la révolte des marins anarchistes contre le pouvoir bolchevique.
C’est pour cette raison que les pilotes allemands, anciens de la Légion Condor, utilisent le terme de « rata » (p.5) pour désigner les chasseurs républicains de fabrication soviétique les Polikarpov I-15 et I-16. Si l’on veut replonger en BD dans le ciel de la Guerre civile espagnole, on peut regarder à la page 14 de l’opus de Yann et Juillard, Double 7 sorti chez Dargaud en 2018 et l’on constate que les pilotes allemands utilisent ce terme au pluriel : « Achtung ! Ratas ! ».
En suivant l’attaque des Stukas contre Kronstadt, on se rend compte que l’objectif principal du raid est un cuirassé nommé Marat. Ce cuirassé, de type dreadnought et dénommé Petropalovsk dans la Marine impériale russe, est mis en service en décembre 1914. Après la révolution bolchevique de 1917, il est rebaptisé Marat (nom du révolutionnaire français Jean-Paul Marat assassiné en 1793). Transformé en DCA flottante pour la défense de Leningrad, il est coulé par une seule bombe de 1000 kg de Rudel (p.9) sur des hauts fonds. Renfloué après mai 1943, il sert de ponton, puis est démoli en 1953.
Finalement cette première séquence de l’album est la seule où Rudel opère en bombardement en piqué. Car la Luftwaffe fait évoluer le Stuka en tueur de char. L’aviation allemande avait aussi d’autres types d’appareils chargés de cette fonction. Ainsi les Henschel 129 B-2 armés d’un canon de 75mm, qu’on découvre à la page 4 de l’album Le Grand duc, T2 Camarade Lilya sorti en 2009 chez Paquet.
Plus loin dans l’album, quand Rudel est décoré par Hitler le 12 mai 1943 (p.13), quelle est la situation du front à l’Est ? Atteinte par les forces allemandes le 23 août 1942, Stalingrad a capitulé le 2 février 1943. Le front semble provisoirement stabilisé. Mais va se dérouler du 5 juillet au 23 août 1943, la bataille de Koursk qui verra s’opposer de chaque coté un nombre énorme de chars. À partir de cette défaite de la Wehrmacht, va commencer la marche du « rouleau compresseur » de l’Armée rouge vers Berlin.
Il est donc logique que la Luftwaffe se dote d’avions tueurs de chars. Et donc à partir de la page 14 jusqu’à la fin de l’album (et de la guerre), les exploits de Rudel se feront toujours sur cette version anti-char du Stuka. Les prouesses s’enchaînent : destruction d’objectifs terrestres et même aériens, crashs à l’intérieur des lignes soviétiques, etc. Tout cela entraînant de nouvelles décorations et en retour une haine de Staline, qui voudrait bien mettre la main sur le héros de la Luftwaffe. Celui-ci est quand même sévèrement blessé (jambe arrachée, p.48), mais recommence à voler avec une prothèse, un peu comme l’as britannique Douglas Bader, amputé des deux jambes (Biggles, pilote de la RAF, p.135).
Le premier tome de Warbirds, dédié à la fois à un homme et un type d’avion durant la Seconde Guerre mondiale, a de quoi séduire les amateurs de scènes d’action, qui représentent la quasi-totalité des planches. Les deux pages documentaires à la fin de l’album sont très bien réussies, bien que pas assez loquaces sur les pertes des Stukas lors de la bataille d’Angleterre. Bref, un opus à ne pas manquer pour les passionnés d’aviation, car le Stuka est un appareil moins célèbre que les grands chasseurs de la Seconde Guerre mondiale : Messerschmitt, Focke-Wulf, Spitfire, Mosquito, Mustang, et autres Corsair.
* Sur ce sujet, voir l’article de Cases d’Histoire sur la guerre aérienne pendant a Guerre d’Espagne.
Warbirds T1 Stuka – Le tueur de tanks. Richard D. Nolane (scénario). Vladimir Davidenko et Aleksandar Sotirovski (dessin). Vladimir Davidenko (couleurs). Soleil. 52 pages. 15,50 euros.
Les dix premières planches :