La Kahina, la reine berbère, cheffe de guerre impuissante face à la vague musulmane
Espionnage, corruption et trahison sont les moyens utilisés par les conquérants quand les opérations militaires ne donnent pas le résultat escompté. C’est le cas dans ce deuxième volet de La Kahina, La reine berbère, de Simon Treins et Dragan Paunovic, sorti dans la collection “Les reines de sang”. Dans le premier tome, la reine Dihya (688-703), plus connue sous le nom de « La Kahina » (“la devineresse”) avait en effet réussi à fédérer toutes les tribus berbères et bloquer par une série de victoires l’avance des armées musulmanes vers l’Ouest. C’est donc par ces moyens détournés que le général arabe Hassan Ibn Numan parvient à ses fins.
Ce général omeyade commence par reprendre Carthage en 698 grâce à l’infiltration de traîtres. Il fait détruire complètement la ville et la remplace par Tunis. L’empire byzantin perd ainsi son principal point d’appui en Afrique, où la présence grecque s’achève. La Kahina se retrouve donc seule face aux armées musulmanes. Dans son entourage, les luttes d’influence se déchaînent. Tout cela sous les yeux du neveu du général Hassan, Khaled, prisonnier dont la Kahina a fait son fils adoptif et son amant. Ce jeune arabe renseigne son oncle en cachant des messages dans des miches de pain. Finalement, abandonnée par les tribus berbères qui se soumettent, la Kahina meurt dans un dernier combat, ainsi qu’elle l’a vu dans un rêve prémonitoire. Auparavant, elle a obligé ses enfants à se convertir à l’Islam afin de les préserver, eux et la culture berbère.
Voici dans les grandes lignes le scénario de la bande dessinée. Or, nous disposons de l’étude biographique et historique intitulée La Kahina, qu’a publié chez Plon en 2006 la célèbre avocate Gisèle Halimi, qui par ses racines judéo-maghrébines se sentait proche de la reine berbère. Ce livre permet de donner à cette épopée le recul qui manque à la bande dessinée. On comprend ainsi que c’est à cause de la stratégie de la terre brûlée qu’avait adoptée la Kahina, que les tribus berbères se sont finalement détournées d’elle.
La bande dessinée suit à peu près le même déroulé que l’étude mais fait quelques pas de côté. Il en va ainsi du personnage du garde du corps varègue (scandinave) de la Kahina déjà présent dans le tome 1 et qui meurt au combat avec elle (p.52). Il est complètement absent du livre de Gisèle Halimi. C’est également le cas du personnage de la fille de la Kahina, qui avec son frère et sur ordre de leur mère, vient se soumettre au général Hassan (p.39). Or, dans l’étude de Gisèle Halimi, la Kahina se montre frustrée de n’avoir pas eu de fille.
C’est dans cette même séquence page 39, que se trouve un lieutenant du général Hassan que celui-ci appelle « Oufkir ». Or, ce nom est celui du général et ministre marocain contemporain Mohammed Oufkir (1920-1972) qui après avoir tenté à deux reprises un coup d’état contre le roi du Maroc, se serait suicidé après l’échec de la seconde tentative. Le scénariste a-t-il utilisé ce nom plus connu à l’époque d’Hassan II qu’à celle de la Kahina ?
Une erreur chronologique s’est glissée à la page 33 où la Kahina parle du « roi Wamba de Tolède ». Or, ce dernier grand roi wisigoth d’Espagne est mort en 680 et la Kahina s’exprime ici après 695. Néanmoins, l’analyse géopolitique de la souveraine berbère est parfaitement pertinente. En effet, en 711, sous le commandement de Tariq ibn Ziyad (un berbère islamisé qui mourra en 720 à Damas), une expédition musulmane traverse le détroit des colonnes d’Hercule. Le rocher situé sur le continent européen prend ainsi le nom de « Djebel al Tariq », (« la montagne de Tariq »), avant de devenir Gibraltar, par déformation du nom arabe. C’est le début de la conquête musulmane de l’Espagne, qui verra s’effondrer le royaume wisigoth. Cette progression musulmane, qui traversera les Pyrénées, ne sera définitivement arrêtée qu’en 732 à Poitiers par Charles Martel, qui doit ensuite chasser les Musulmans de Bourgogne et de Provence en 737.
Ce qu’on peut retenir de cet album, c’est qu’il met en avant avec raison, par les voix des enfants de la Kahina (p.54), l’importance de la survie de la langue et de l’écriture berbère. Une survie matérialisée au XXIe siècle : le berbère est une des langues officielles du Maroc depuis la constitution de 2011 et de l’Algérie depuis la constitution de 2015, tel qu’en témoigne ce panneau de signalisation routière au Maroc. Maintenant que la culture berbère a atteint les niveaux institutionnels, il était normal que la bande dessinée française, à travers cet opus épique et batailleur, fasse revivre la destinée flamboyante de cette devineresse et chef de guerre berbère du VIIe siècle.
La Kahina, La reine berbère T2. Simon Treins (scénario). Dragan Paunović (Dessin). Scarlett Smulkowski (Couleurs). Delcourt. 56 pages. 15,50 euros.
Les 7 premières planches :