Mahar, le lionceau : le long travail de désendoctrinement des enfants soldats de Daesh
Après Les Enfants de Daesh, un film documentaire bouleversant encore visible sur LCP, la journaliste Anne Poiret revient sur ce sujet dans Mahar, le lionceau ou l’enfance perdue des jeunes soldats de Daesh, album dessiné par Lars Horneman. Un témoignage édifiant sur l’endoctrinement des enfants par l’organisation terroriste, et sur la situation actuelle de ces laissés-pour-compte.
Morts anonymes, disparus, ensevelis ou tellement touchés qu’on ne le reconnait pas, certaines victimes des guerres n’apparaissent pas dans la liste finale. Les meurtrissures des vivants qui restent ne sont pas plus comptabilisés, alors quand il s’agit d’enfants soldats qui ont été pris par le mauvais camp… Mahar est un des enfants que Anne Poiret a rencontrés pour son documentaire. Touchée par sa personnalité attachante, elle a continué à le suivre et à communiquer avec lui. Ce livre résonne avec une autre actualité liée à l’organisation terroriste, le sort des enfants français qui vivent encore dans des camps de fortune seuls ou avec leur mère et que l’État français tarde à rapatrier malgré les dangers qu’ils courent dans un environnement hostile. Si les situations sont différentes, elles posent clairement la question de la place des enfants soldats et la façon qu’il y a à mettre en œuvre pour les aider à vivre paisiblement dans une société qu’on leur a appris à rejeter voire à haïr jusqu’à la mort.
Journaliste engagée, habituée des terrains difficiles et des situations extrêmes, Anne Poiret est une professionnelle réputée. Elle reçoit le prix Albert Londres en 2007 pour un film sur l’assassinat de 17 humanitaires au Sri Lanka. Elle réalise des reportages en Libye, en Irak, au Soudan, au Cachemire ou en Syrie. Elle connait bien la région où se déroule l’histoire de Mahar pour y avoir déjà tourné plusieurs reportages.
La présence, dans les rangs de Daesh, d’enfants soldats capables de tuer de sang froid a horrifié le monde. Des vidéos ultramédiatisées ont démontré la puissance d’endoctrinement et de coercition à l’œuvre dans cette organisation. Mahar fait partie des 4000 enfants dont le cerveau a été conditionné pour tuer des « mécréants » et se faire tuer pour la gloire d’Allah, telle qu’elle est considérée par l’organisation terroriste.
En 2014, c’est un enfant de dix ans de la communauté yézidie qui ne pense qu’à jouer au foot ou au jeu vidéo avec ses copains. Les Yézidies forment une minorité monothéiste vivant en Irak, au Kurdistan, près de la frontière syrienne. Cette ancienne religion est issue d’anciens cultes iraniens, des cultes de Mithra agrégés à des éléments de l’islam, mais elles est considérée par les membres de Daesh comme une religion à détruire. En 2014, l’état islamique étend sa domination sur l’Irak et atteint le pays yézidie. Beaucoup d’hommes sont tués, de nombreuses femmes et de jeunes filles, voire de très jeunes filles, sont enlevées pour être vendues comme esclaves domestiques ou épouses de combattants, les enfants comme Mahar prennent le chemin des écoles coraniques puis des camps militaires.
Coupés de leur famille, de leurs repères, habillés en treillis, apeurés, battus, ils apprennent par cœur les versets du Coran et les slogans haineux contre tous ceux que Daesh voit comme impurs, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou yézidies. Chez ces jeunes, la propagande s’incruste, prend la place de leur culture d‘origine qu’ils finissent par détester.
Après des semaines d’entrainement et de transfert d’un front à l’autre, ils sont plongés dans le chaos des combats. A 14 ans, Mahar fait l’expérience de la mort violente. Celle des copains, des ennemis supposés et la sienne, qu’il frôle deux fois. Inscrit sur la liste des martyrs de Daesh, il ne se fera pas exploser dans un attentat suicide car son père le fait enlever par un passeur. Sorti de cet enfer, sa vie reste difficile. Il tente maintenant de venir en Europe pour y trouver une vie meilleure.
Le récit recueilli par Anne Poiret et transcrit dans l’album montre en détail comment fonctionne le lavage de cerveau sur de jeunes enfants. Il montre avec quelle facilité, on transforme des enfants joueurs en tueurs. La force de Mahar, le lionceau vient dans l’équilibre très fin qui conduit l’histoire. L’autrice ne force par le trait, les terroristes s’en chargent seuls. Elle ne nous impose pas d’images d’horreur, ce n’est pas le propos. Elle reste au niveau du jeune Mahar. Ce n’est jamais une journaliste qui raconte mais l’expérience vécue avec les mots qui sortent de la bouche du personnage principal, avec ses peurs, ses espoirs et les certitudes qu’on lui à mises dans la tête.
Le dessin crayonné et jeté de Lars Horneman s’adapte parfaitement à ce projet. Il dit bien l’état d’hébétement qui saisit le jeune homme, comme le lecteur. Il suit aussi l’urgence des situations, le chaos qui enveloppe les protagonistes qui souvent ne savent pas trop où ils sont ou ce qui les attend.
Mahar, le lionceau ou l’enfance perdue des jeunes soldats de Daesh est un témoignage important à lire pour comprendre la situation de ces enfants. Si certains comme Mahar s’en sont sortis, combien sont encore dans les camps sans aide et sans soin, sans famille, loin des processus de déradicalisation ? Encore très jeunes, ces hommes et quelques femmes représentent un réel danger, alors que pris en charge, ils pourraient retrouver une place dans la société.
Mahar, le lionceau ou l’enfance perdue des jeunes soldats de Daesh. Anne Poiret (scénario). Lars Horneman (dessin et couleurs). 144 pages. 18,95 euros
Les vingt premières planches :