1789 : deux visions opposées des débuts de la Révolution française
Depuis quelques années, on voit revenir la Révolution française dans les rayonnages des librairies de bandes dessinées. Après une biographie de Marie-Antoinette, Noël Simsolo et les éditions Glénat tentent de prendre de la hauteur avec 1789, un diptyque qui cherche à éclaircir les évènements révolutionnaires du point de vue de la noblesse puis de celui du tiers état. Le pari n’est que très partiellement réussi.
La Révolution française a souvent été le sujet ou le contexte de bandes dessinées, notamment dans les années 1970 et 1980. Les lecteurs de Pif Gadget se souviennent de Noël et Marie (Jean Ollivier, François Corteggiani et Jean-Yves Mitton 1989), tandis que les éditions Messidor publiait des albums comme Rossignol, un citoyen de la Révolution (Jean Ollivier et Christian Gaty, 1988), qui a fait connaître à la jeunesse la légende dorée de ce personnage *. Ces bandes dessinées, réalisées dans la mouvance du Parti communiste français du temps de sa large influence politique et culturelle, se sont vues par la suite opposer d’autres bandes dessinées, aux antipodes idéologiques. Celles-ci insistent sur des personnages ou des événements « contre-révolutionnaires », à l’exemple de la bande dessinée consacrée à la Vendée, scénarisée par Reynald Secher (Vendée – 1789-1801 Anjou – Bretagne – Poitou, avec René Le Honzec, Fleurus, 1988). L’historiographie de la Révolution divise, aussi bien dans les études historiques qu’en bande dessinée.
Bleu et rouge. Comme deux couleurs séparées par le blanc du drapeau tricolore, pour mieux symboliser l’inextricable étau dans lequel Louis XVI allait s’enfermer ? Deux visions, deux versants. La mort d’un monde, la naissance d’un autre. Soit le fameux clivage entre Ancien et Nouveau(x) Régime(s), qui pose d’emblée le risque d’être manichéen. L’opposition entre une vision noble (tendance aristocratique de Cour, avec souvent peu de visibilité de la noblesse de province) et une vision plébéienne (faisant fi de manière risquée de la variété du Tiers état) est toutefois une idée intéressante.
Globalement, les deux volumes décrivent les mêmes événements, avec un regard différent. L’avantage indéniable est de pouvoir s’immerger dans une vision ou une autre. 1789 s’étend chronologiquement du 14 juillet 1789 (prise de la Bastille) au 6 octobre 1789 (installation forcée de la famille royale et de l’Assemblée nationale constituante à Paris), avec l’apparition de personnages connus (Besenval, Beaumarchais, Chateaubriand, Desmoulins) qui ancre la narration dans le réel. Si la Bastille (dont la démolition était déjà projetée) est présentée comme un cachot infect (alors que la prison était en réalité destinées à des détenus jugés importants ou d’une certaine position sociale), c’est que l’album relaie les opinions et les rumeurs de l’époque pour montrer l’état d’esprit de la population parisienne. Sinon comment comprendre que la Bastille incarnait le symbole du despotisme ? On regrettera toutefois que les « héros de la Bastille » (tels qu’ils ont été qualifiés en leur temps) ne soient pas décrits plus longuement au préalable car l’impression est donnée d’une « canaille » massacrante. Nombre d’entre eux en effet étaient des boutiquiers qui n’appartenaient pas aux franges les plus misérables de la population parisienne (nous renvoyons à l’ouvrage de Jacques Godechot, La Prise de la Bastille, paru dans la collection des « Trente journées qui ont fait la France » en 1965).
Les massacres sont présentés sous un mode de focalisation externe, sans entrer dans les pensées des protagonistes, ce qui ne met en évidence que la « violence révolutionnaire ». Soit ce qu’on appelle « l’émotion populaire » n’en est que mieux soulignée, soit elle paraît comme la réaction meurtrière d’une « vile canaille ». La réaction du lecteur ne dépendra donc pas du scénario de la bande dessinée, mais de ses présupposés (préjugés ?) sur la Révolution. 1789 n’a pas vocation à mieux faire connaître les faits, mais cherche plutôt à créer une intrigue. C’est là où le bât blesse : la volonté de mettre en place une intrigue dans laquelle le lecteur peut se repérer facilement a probablement favorisé les lieux communs dans la présentation de certains personnages, comme Louis XVI, qui semble lourdaud et insignifiant, complètement soumis aux événements et résigné. Il n’en pensait pourtant pas moins, comme en atteste la lettre laissée aux Tuileries lors de sa tentative de fuite en juin 1791. Si 1789 a une suite, on imagine mal le roi continuer à être totalement inerte.
Une question majeure se pose : pourquoi ouvrir sur le 14 juillet et non sur l’émeute contre Réveillon voire sur le terrible hiver précédent, afin de décrire, autant que faire se peut, une tension croissante ? Les origines de la Révolution sont encore une source de débats, de par leur multiplicité. L’entrée in medias res dans le contexte du renvoi de Necker et de la prise de la Bastille ne permet pas au lecteur d’appréhender les causes de la Révolution. Pourquoi avoir négligé les États généraux ? Même si l’objectif était d’évoquer l’année 1789, pourquoi ne pas avoir débuté avec l’hiver rigoureux et l’écriture des cahiers de doléances au sein de l’ensemble des ordres existant au sein du royaume de France ?
1789 a tenté le défi de montrer deux points de vue opposés, et c’est méritoire. Toutefois, le propos historique reste assez simpliste, soit par manque d’actualisation historiographique, soit par volonté de ne brusquer personne dans sa vision des événements. Si des albums sur 1790, 1791 et 1792 paraissent, peut-être qu’ils nous feront réviser notre avis.
* : La figure de Rossignol a été largement revisitée par Julien Mehl dans un mémoire de maîtrise soutenu à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2005.
1789. La mort d’un monde. Noël Sismolo (scénario), Paolo Martinello (dessin), Vicenzo Bizzarri (dessin & couleurs). Editions Glénat. 64 pages. 14,95 euros.
1789. La naissance d’un monde. Noël Sismolo (scénario), Paolo Martinello (dessin), Vicenzo Bizzarri (dessin & couleurs). Editions Glénat. 64 pages. 14,95 euros.
1789 – La naissance d’un monde