Alexandre Jacob : de l’anarchiste au gentleman cambrioleur
Le genre biographique est décidément en vogue chez les auteurs de bande dessinée historique. Vincent et Gaël Henry nous prouvent à nouveau, si besoin est, l’efficacité du genre, en brossant le portrait d’un anarchiste au tournant du siècle dernier, Alexandre Jacob.
« La Belle Epoque » : c’est sous ce nom que sont passées à la postérité les quelques années qui marquent la fin du XIXe siècle et le début du XXe, avant que la Première Guerre mondiale ne vienne brusquement mettre fin à cette période que l’on dit dorée. L’image que l’on en retient est de fait celle d’un moment de paix politique permise par le consensus républicain, et d’une société qui se modernise, profitant d’une économie fleurissante qui tranche avec les années difficiles de la Grande Dépression (1873-1896). Mais c’est aussi la grande période de l’anarchisme, avec des épisodes particulièrement marquants, comme l’assassinat de Sadi Carnot, alors président de la République, par l’Italien Santo Caserio le 24 juin 1894.
La vie d’Alexandre Jacob, un « anarchiste cambrioleur » né en 1879 et condamné au bagne en 1905, embrasse presque parfaitement cette période. La chronologie proposée en fin d’ouvrage nous le rappelle, en mêlant les dates de son histoire privée avec celles de la vie politique française. Cependant, le récit proposé par Vincent Henry n’est, lui, absolument pas linéaire. Les folles aventures d’Alexandre, ponctuées de courses poursuites avec la police et d’évasions à répétition, sont racontées à l’aide de différents récits enchâssés produits par l’intéressé lui-même lors du procès qui aboutit à son exil en Guyane. Ce choix d’un récit rétrospectif à la première personne permet au scénariste de donner un sens et une unité à cette vie qui semble pourtant avoir été assez décousue, et d’expliquer comment ce garçon de marine de Marseille est devenu une figure majeure de l’anarchisme français. Bien souvent, on retrouve dans les moments où son engagement se fait plus important la figure de policiers et gendarmes, qui incarnent une autorité souvent rapidement tournée en ridicule.
L’humour semble de fait avoir été un des points forts d’Alexandre Jacob, et l’album lui rend parfaitement hommage sur ce point ; certains passages, comme le « poisson d’avril » que Jacob et ses acolytes concoctent au directeur du mont de Piété, sont l’occasion de récits truculents. Cette écriture vivante et pleine de bons mots est, de plus, servie par un dessin dynamique, centré sur les personnages, leurs expressions et leurs mouvements, frisant souvent avec la caricature (le trait de Gaël Henry rappelle beaucoup celui de Christophe Blain).
Donner directement la parole à l’intéressé, qui utilise le tribunal moins pour se défendre que pour exposer ses idées à un large public, offre au scénariste une grande liberté. L’album est en lui-même un parti-pris en faveur du personnage, rendu immédiatement sympathique au lecteur. Même si Vincent Henry met aussi en scène des moments moins glorieux, notamment le meurtre de policiers, on sent combien le scénariste est tributaire du personnage légendaire créé par Maurice Leblanc, dont Jacob est probablement le modèle. Le dossier documentaire de J.-M. Delpech, à la fin de l’album, semble vouloir rectifier le tir en insistant sur la construction d’une légende qui s’éloigne du personnage historique.
Sur le plan historique, la valeur de l’album est donc moins à chercher dans la biographie en elle-même que dans l’image de la société que cette vie nous renvoie. Vincent Henry propose à travers le regard de Jacob, certes dur mais souvent très juste sur cette vie « bourgeoise » dont il s’extirpe non sans difficultés, une véritable histoire des mentalités. C’est bien là le propre de toute comédie – et cet album peut se lire comme une tragi-comédie en quatre actes – que de tourner en dérision une société donnée pour mieux en montrer toutes les ambiguïtés.
Bref, un ouvrage dont la lecture est des plus agréables, et qui réussit à travers la vie d’un homme à faire revivre un moment d’histoire fort en contrastes.
Alexandre Jacob. Vincent Henry (scénario) et Gaël Henry (dessin). Sarbacane. 160 pages. 22,50 €
Les 5 premières planches :
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