Deux passantes dans la nuit, cavale nocturne dans Paris occupé.
En plein Paris, Arlette sort de prison de la Santé, en pleine nuit. Partie à la recherche de son amant, elle croise le chemin d’Anna, une magicienne de cabaret, juive sans papiers, qui échappe de peu à une arrestation. Le réalisateur Patrice Leconte revient à la bande dessinée avec cet intrigant projet. Le scénario et le dessin jouent à merveille avec les trognes et les personnages sortis de La Traversée de Paris dans une ambiance qui rappelle le réalisme poétique de Marcel Carné et Jacques Prévert pour construire un album très séduisant. Cases d’Histoire l’a rencontré début juillet, à Paris.
Cases d’Histoire : Deux passantes dans la nuit que publient les éditions Grand Angle signe votre retour à la bande dessinée, comment et pourquoi ce retour s’est-il fait ?
Patrice Leconte : Après avoir hésité (rires). C’est-à-dire que Jérôme Tonnerre avec qui j’ai écrit plusieurs films vient souvent ici et nous avons l’habitude de nous raconter des trucs, des ambiances, des personnages dont on aimerait raconter l’histoire. Ça se tricote de manière assez flousaille. On ne trouve pas tout de suite le contexte et l’histoire. Là, ça s’est empilé doucement. Ces deux filles, Paris, l’Occupation, une nuit… ça s’est dessiné comme ça. On a pris des notes, rien de très avancé. Ce n’était pas très facile de faire ça au cinéma, un tournage entièrement de nuit… Je voyais bien les difficultés de production et j’ai dit à Jérôme Tonnerre « et si on en faisait une bande dessinée ? » C’est la même histoire, la même imagination, les mêmes images, les mêmes personnages, le même truc.
Quelle est la différence entre un scénario de BD et de film ?
On a écrit comme pour un film avec le descriptif classique scène par scène avec les dialogues. Dans un deuxième temps, j’ai fait lire cette histoire à Coutelis qui m’a présenté à l’éditeur et l’affaire s’est faite. Ensuite, j’ai écrit un découpage précis case par case. Coutelis a fait sa part de création en suivant plus ou moins ce que j’avais écrit. Après dans un scénario de bande dessinée, on peut tout se permettre. Il n’y a pas de contraintes techniques ou financières. Sinon c’est le même travail.
Quelle est la différence entre la direction d’acteur la direction de personnages de BD ?
Les vrais acteurs viennent avec leur vécu, leur sensibilité. Ce sont des gens intelligent et pas des marionnettes. Les personnages de BD sont des pantins, on leur fait faire ce que l’on veut. Dans une bande dessinée réaliste, on doit quand même se dire que feraient-elles si c’était de vrais personnages, deux vraies filles. On peut vraiment les manipuler et elles ne se sont pas rebellées, n’ont pas fait de caprices. La seule limite est de se dire « si c’était dans un film, est-ce qu’on pourrait le faire comme ça ? ». Je ne suis dans cette idée, tarte à la crème des auteurs qui disent « Ah, les vrais auteurs de mon histoire, ce sont mes personnages ». Il ne faut pas charrier.
A part, Ridicule, vous n’avez fait de films historiques, il y a une raison particulière ?
J’ai toujours été un très mauvais élève en histoire. Quand j’ai fait Ridicule, bon ça se passait au XVIIIe, Louis XVI, oui, bon… je m’en foutais, je n’avais pas d’idée. Je n’ai pas de goût pour des histoires situées précisément dans une époque car je sais que ça va m’obliger à me documenter. Et ça m’ennuie, j’ai l’impression de faire un travail scolaire, universitaire et je fuis ça comme la peste, par paresse ou par manque de curiosité.
Pourtant dans cet album, sans jamais insister ou aller très loin dans le contexte historique vous restez très près de la réalité de l’époque.
Ça me fait très plaisir d’entendre ça parce que vous mettez le doigt sur ce qui m’a passionné. Être tributaire du contexte, de la situation, la nuit de Paris occupé, nous a obligé, Jérôme Tonnerre et moi, à suivre l’histoire de ces deux filles et à ne pas raconter Paris occupé. Il s’agissait d’arriver, comme les cinéastes du réalisme poétique, comme La Traversée de Paris, à respecter une réalité historique mais surtout, surtout, à s’en échapper.
Pourquoi avoir choisi cette période pour revenir à un récit historique ?
J’étais intimidé. En histoire géo, je n’étais pas un cancre, n’exagérons rien, mais je n’ai jamais eu de professeur qui m’intéresse. Je parlais il n’y a pas longtemps des films de Costelle et Clarke, vous voyez ces films d’archives colorisés formidable. Tout est devenu clair et limpide, mais avec eux tout devient clair. Je ne suis pas à ce niveau, je reste très intimidé.
Est-ce que le thème de cette bande dessinée a un rapport avec l’actualité ?
Oui, qu’elles se baladent dans un Paris nocturne et confiné, mais ça on ne le savait pas en écrivant l’histoire. Mais à part ça, non. Jérôme Tonnerre est plus versé que moi dans cette période et il a été mon garde-fou pour éviter que j’écrive des bêtises. De même que quand j’ai fait Ridicule, j’avais un décorateur et un costumier qui connaissaient tout et qui ont fait ce qu’il fallait pour que personne n’est rien à redire.
J’ai vu aussi dans l’histoire de ces deux femmes un petit rapport à l’actualité car on a le sentiment que vous les avez lâché dans un milieu très hostile, elles sont quasiment des proies…
Ce n’est pas faux. Je ne sais pas si vous connaissez ce film : Les chasses du comte Zaroff. D’une certaine manière c’est une transposition, avec ces deux femmes qui circulent la nuit, alors qu’elles n’ont rien à y faire. Il y en a une qui est insouciante car elle sort de prison, trop contente d’être libre, l’autre plus ombrageuse, inquiète de tout, elle est juive et n’a pas de papiers. Et c’est vrai, elles sont lâchées dans un Paris désert mais à chaque coin de rue, elles peuvent se faire choper pour un rien… C’est une ville dangereuse.
Quand vous écrivez cette histoire, avez-vous une idée de la tête du personnage ? Quand on écrit pour un acteur, on sait comment il va être mais pour une bande dessinée ?
Quand vous écrivez en pensant un acteur, on gagne du temps et ça fertilise le projet, ça l’enrichit beaucoup. Pour cet album, on ne pensait pas à des acteurs ou des actrices précises mais pour que Coutelis ait des références, je lui ai donné un petit casting. Mais il a volé en éclat car le vrai casting, c’est le dessinateur qui le fait avec sa main. De temps en temps, et j’ai beaucoup de respect pour son travail, je lui demande de redessiner un personnage secondaire comme le curé. Il était trop caricatural, il puait de la gueule, très scrogneuneu, presque Pervère Pépère de Gotlib. J’ai fait refaire la poule de Félix qui faisait trop trainée. Le dessinateur, aussi a évolué. Ce sont des ajustements de casting. Coutelis est d’une souplesse incroyable, il est à l’écoute.
Qui est ce dessinateur que vous évoquez et qui est très présent ?
C’est le seul vrai spectateur de l’histoire. Ça aurait pu être un photographe. Je voulais avoir un personnage observateur qui revienne régulièrement. Il a du bon sens, il a tout pigé.
Pourquoi deux femmes ?
Pour ne pas refaire La Traversée de Paris (Rires). Il n’y a pas assez de femmes dans ces histoires là. Logiquement on pense à un repris de justice et un prestidigitateur, mais non ! Nous nous sommes dit, il faut mettre deux femmes dont l’une fait un métier masculin et l’autre sort de prison en plein hiver vêtue d’une robe d’été bleu blanc rouge car elle s’est fait pincer le soir du 14 juillet. On trouvait ça intéressant et charmant. Elles ont beaucoup de charme.
Deux passantes dans la nuit. Arlette. T1. Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre (scénario). Al Coutelis (dessin). Grand Angle. 72 pages. 16,90 euros.
Pour lire le début :
0 Comments Hide Comments
[…] Lire la suite […]