Dobbs : “Jean-Paul II est un pape très conservateur et très ambigu.”
Quatre tomes de la série Les papes qui ont fait l’histoire sont déjà sortis. Après un Saint Pierre très convaincant, un Léon le Grand et un Alexandre IV plus classiques, le volume que Dobbs, au scénario, consacre à Jean Paul II nous a étonné et intrigué. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous raconte pourquoi et comment il a choisi de raconter la vie de ce personnage.
Cases d’Histoire : L’histoire de la papauté n’est pas forcément un sujet sur lequel on vous imagine de prime abord. Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure ?
Dobbs : J’ai fait partie des premiers scénaristes contactés, j’avais donc le choix et quand les sujets, enfin… les papes ont été répartis, mon choix s’est porté tout de suite sur Jean Paul II. C’était une évidence. Je n’ai pas beaucoup hésité car pour moi c’est un pape contemporain, c’est celui que j’ai connu. Je l’ai suivi comme tout le monde dans l’actualité, omniprésent qu’il était dans les médias.
Votre famille est religieuse ?
J’ai le souvenir d’avoir vu chez moi un bouquin sur Jean-Paul II. Mon père aime beaucoup les bouquins mais pas forcément Jean-Paul II (rires). Ce souvenir a pu m’influencer, un petit peu.
Qu’est ce qui vous a intéressé dans cette biographie et aussi par rapport à l’ensemble de la collection ?
La modernité du personnage, la maîtrise des médias, le fait qu’il ait eu sa propre voix dans tous les sens du terme. C’est aussi un homme de la résistance contre les nazis puis contre le communisme, c’est un homme et un pape qui a laissé une trace. Il ne faut pas s’imaginer que j’ai écrit une hagiographie, pas du tout. Son goût du secret, son action sur le terrain et la détermination qu’il a manifestée toute sa vie a fait corps pour tenir mon histoire.
Quelle est la difficulté pour un scénariste de s’emparer d’un tel personnage, un personnage qui est en plus votre contemporain ?
Ces interrogations sont dans le bouquin, elles font parties de l’histoire. Le réalisateur qui doit réaliser un film documentaire sur Jean-Paul II se pose ces questions-là, précisément. C’est moi qui me demande par quel bout prendre ce personnage. L’astuce scénaristique que j’ai utilisée me permet d’éviter la biographie indigeste, classique, de la naissance à la mort. Je préférais entrer en force dans le récit avec l’attentat de la place Saint Pierre, puis amener, par des flash-back, les souvenirs de la résistance, de sa jeunesse en Pologne. C’est la période située avant son élection. La dernière partie est une rupture, puisqu’on se penche sur la trace qu’il va laisser. Des experts s’interrogent sur qui reste, ce qu’on va dire du pape qui vient de mourir. Ils doivent prendre position, choisir un angle, des documents, des photos ou des extraits de films d’actualité.
Votre scénario fait des choix. Ce n’est pas le récit méticuleux de la vie de Jean-Paul II. Quelles questions voulez-vous que le lecteur se pose quand il referme l’album ?
L’intérêt, pour moi, était de m’appuyer sur le cahier historique pour combler les vides. Le scénario et la BD peuvent prendre d’autre biais. Par exemple, je commence avec l’assassinat, c’est un moment fort. C’est aussi un moment référentiel pour beaucoup de monde, on en connait des images. Je le traite de manière très cinématographique, un peu à la John Woo. Après, la série de flash-back montre des moments que je trouvais importants et significatifs, on peut en choisir d’autres. Par exemple, j’aurais pu développer d’avantage sa passion pour le théâtre. C’est un truc déterminant. Il a beaucoup appris en jouant sur scène, il s’en servira toute sa vie. C’est un acteur. L’autre chose qu’on pourrait développer, c’est son éloquence qui est très travaillée. Il a fait des études de philologie, de philosophie, de théologie, de rhétorique. Il aime les mots, il a le sens des mots, du mot juste. C’est un outil pour prendre son indépendance. C’est un pape moderne et très ambigu.
Vous jouez sur cette ambiguïté dans la mesure où, plus que le pape très conservateur, ce qui vous attire, c’est son humanité. C’est un être humain avec ses contradictions et ses défauts.
C’est un pape très très conservateur et très ambigu, avec des zones d’ombre, mais il est marqué par les épreuves de sa jeunesse et les régimes qu’il a combattus : le nazisme et le communisme. Mais il le fait un peu en résistant passif, de l’ombre. C’est d’ailleurs pour ça que les communistes ne le voient pas comme une menace. Comme il n’est pas dans l’affrontement direct, les camarades ont cru qu’il pourrait être utilisé contre le clergé anticommuniste déclaré. Il a toujours caché son jeu.
Est-ce que vous avez été libre dans l’écriture du scénario ?
Oui, totalement, sur le fond comme sur la forme. J’ai été relu avec des corrections très factuelles, des informations qui me manquaient en fait. J’ai eu carte blanche.
Pour finir, parlons de la couverture car elle est très différente de celles des autres albums de la série. Le pape n’est pas le sujet principal de l’image.
C’est une mise en scène imaginée par Ugo Pinson qui réalise les autres couvertures de la série qui tranche avec les autres car ce pape est tellement différent de ses prédécesseurs. C’est une couverture qui rappelle le cinéma, le début de l’album avec la foule qui s’ouvre et l’arme au premier plan. C’est aussi un pape qui drainait les foules, le premier dans ce cas et à ce niveau.
Jean-Paul II. N’ayez pas peur. Dobbs (scénario). Fabrizio Fiorentino (dessin). Editions Glénat. 56 pages. 14,95 euros.
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Jean-Paul II