Hitomi : Yasuke, le samouraï noir, au cœur de la vengeance d’une jeune orpheline
Dans le Japon de la fin des guerres d’unification au XVIe siècle, une farouche vagabonde traque sans relâche un mystérieux guerrier à la peau noire, qu’elle tient pour responsable du massacre de sa famille et de la destruction de son village. Mais le destin pourrait bien priver la jeune orpheline de la vengeance qu’elle brûle d’assouvir. HS Tak et Isabella Mazzanti s’engouffrent dans les zones d’ombre de la vie de Yasuke, le samouraï noir, pour inventer celle d’Hitomi, une jeune fille dévastée par l’assassinat de ses parents.
Affichons d’emblée la couleur. À l’image de sa couverture, le généreux album illustré par Isabella Mazzanti ne dépeint pas les seules tribulations de sa jeune héroïne, mais aussi et surtout celles de Yasuke, le désormais fameux samouraï africain. De ce dernier personnage, qui a de nouveau suscité tout récemment la polémique en se taillant la part du lion dans le dernier opus de la saga vidéo-ludique Assassin’s Creed, on ne sait pas grand-chose. Parvenu dans l’archipel en 1579 dans l’entourage de pères jésuites lusitaniens partis de Goa, Yasuke accompagne ses nouveaux maîtres à Kyôto, où il est présenté à Oda Nobunaga, l’homme fort du moment. Impressionné par sa carrure herculéenne, celui-ci affranchit l’esclave, et l’enrôle dans sa garde rapprochée. Le premier des trois Unificateurs périt cependant peu après, en juin 1582, lors d’un coup d’État, et Yasuke se volatilise, disparaissant littéralement des chroniques.
C’est de la liberté offerte par cette page vierge que le scénariste H. S. Tak s’empare, imaginant les vicissitudes d’un colosse à la peau noire, réduit à se laisser terrasser lors de combats truqués afin d’assurer sa subsistance. Quelle n’est pas la déception de Hitomi lorsqu’elle retrouve enfin sa Némésis, qui semble avoir renoncé à toute dignité en même temps qu’à tirer le sabre. Le champion déchu et désabusé accepte finalement de guider la jeune femme sur la voie du samouraï, semée d’embûches comme il se doit. Ce tandem unissant un maître à son disciple ne brille pas vraiment par son originalité, guère plus que les dialogues, ponctués d’inévitables aphorismes asiatiques plus ou moins inspirés. Les personnages, certes attachants, tombent ainsi de Charybde en Scylla, en s’efforçant de renouer avec leur humanité.
Un hommage aux maîtres de l’estampe
En dépit de quelques maladresses, notamment en ce qui touche aux armes et tenues, Isabella Mazzanti dresse néanmoins un tableau poétique du Japon ancien, s’inspirant des célèbres estampes de Hiroshige ou Hokusai. L’on retrouve en outre la patte facétieuse du « Vieux fou de peinture », auteur visionnaire de la Manga, dans la galerie de portraits qui émaillent l’album. Les paysages enneigés, auxquels le trait rond et gracieux de l’artiste italienne donne vie, sont particulièrement réussis, de même que les subtils dégradés et tons délicats. Très cinématographiques, les cadrages évoquent souvent l’âge d’or du cinéma japonais d’après-guerre, couleurs en plus, de même que les incursions dans l’univers onirique, qui transportent le lecteur sur des rivages proches des cauchemars hantant le Kagemusha de Kurosawa.
Dimension capitale dans nombre d’œuvres littéraires insulaires, le rêve, les visions qui le hantent tout autant que les esprits et divinités qui le peuplent, jouent également un rôle central dans ce récit en forme de fable picaresque. Si celui-ci n’est pas exempt de défauts, il affirme cependant ses influences et une singularité graphique à saluer. Quoique que quelque peu anachroniques, ses accents féministes permettront du reste d’ouvrir une porte d’entrée alternative bienvenue dans l’univers résolument martial et masculin du guerrier japonais. Hitomi et son mentor Yasuke parviendront-ils à mener à bien leur quête initiatique ? Pour le savoir, il ne vous reste qu’à vous procurer ce bel album.
Hitomi. HS Tak (scénario). Isabella Mazzanti (scénario). Valentina Napolitano (couleurs). Urban Comics. 144 pages. 19 euros.
Les sept premières planches :