La fine fleur de l’armée de l’air allemande
Malgré son jeune âge, l’aéronautique militaire est déjà source de récits épiques en 1917. Avec Le Pilote à l’Edelweiss, Yann et Romain Hugault font monter le lecteur dans un appareil de l’escadrille des Cigognes. Contacts !
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L’intrigue du Pilote à l’Edelweiss pourrait se résumer à une série de rivalités. Celle qui oppose en plein ciel deux aviateurs ennemis, l’un français Henri Castillac, l’autre allemand dont on ne connaîtra que le prénom, Erik, est peut-être le fil rouge de l’album. L’aviation militaire est une création très récente au moment de la déclaration de guerre. En 1914, la France ne compte que 148 avions dans ses forces armées. Être pilote, c’est donc forcément se distinguer des autres militaires. L’esprit chevaleresque a par conséquent encore droit de cité dans les escadrilles et notamment celle des Cigognes, dans laquelle est versé Henri. Le duel entre ce dernier et Erik, le fameux « pilote à l’Edelweiss », va rythmer les trois albums de la série. L’autre rivalité, non moins importante pour l’histoire, concerne les fils Castillac, deux frères jumeaux liés par le sang mais aussi par un certain nombre de promesses réciproques faites pendant leur jeunesse. Identiques physiquement, ils sont presque aux antipodes l’un de l’autre en ce qui concerne la psychologie. Alphonse est réservé, bienveillant, droit, épris de justice. Henri est quant à lui grande gueule, égocentrique, volage, et prêt à tout pour défendre ses intérêts. On se doute que les rapports entre les deux frères vont souvent être conflictuels. Enfin, ne passons pas sous silence une dernière rivalité, plus souterraine, mais qui ponctue quand même la narration : celle entre les « rampants » et les « jolis cœurs, poseurs en gant blanc ». Il est vrai que fantassins et pilotes n’ont pas toujours fait bon ménage.
Outre une intrigue générale bien ficelée qui repose sur diverses usurpations d’identité, l’intérêt des trois tomes du Pilote à l’Edelweiss tient dans la reconstitution minutieuse de l’aviation militaire et de l’époque. La précision du dessin de Romain Hugault fait mouche une fois de plus. Aucun rivet, aucun boulon ne manquent aux Nieuport, Fokker, Spad, Gotha, Bréguet XIV, Zeppelin Staaken, Junker J-I et autres Morane AI qui traversent le récit. Les combats aériens sont représentés avec beaucoup de fluidité et de nombreux détails techniques sont répartis par Yann au fil des pages. L’évocation (rapide) des mérites respectifs des moteurs Hispano-Suiza et Gnome & Rhône ne vous servira peut-être pas lors de votre prochain dîner en ville, mais elle contribue à immerger un peu plus le lecteur dans l’ambiance d’une escadrille. Autant que le côté « chevalier du ciel » des pilotes (René Fonck et Georges Guynemer, les as les plus connus des Cigognes, n’apparaissent d’ailleurs jamais), c’est le quotidien d’un terrain d’aviation qui transparait. Attentes, préoccupations, enjeux, moments de détente et stress ne définissent pas moins les hommes que leurs victoires aériennes. Se déroulent ainsi les derniers mois de la Grande Guerre, moitié sur la plancher des vaches, moitié dans les airs, sur fond de rancunes tenaces. Permettant également aux lecteurs peu avertis en la matière d’avoir l’insigne honneur de découvrir ce qu’est le Pétadou.
Le Pilote à l’Edelweiss (édition du centenaire). Yann (scénario). Romain Hugault (dessin et couleurs). Paquet. 156 pages. 35 €
Les 5 premières planches :