L’Année des quatre empereurs : après Néron, le chaos
Temps troublés que ceux de cette aventure qui débute en janvier 69 ap. JC au moment où Galba, celui qui vient de succéder à Néron en juin 68, est assassiné sur le forum de Rome par des prétoriens, qui portent ainsi au pouvoir son rival Othon. Mais ce dernier ne reste sur le trône impérial que deux mois et demi, c’est-à-dire encore moins longtemps que celui qu’il vient de faire mourir (voir frise chronologique ci-dessous). Au milieu des convulsions de cette période incertaine, un homme et une femme s’efforcent de remplir leur mission tout en préservant leur vie. Le tome 2 de L’année des quatre empereurs, sous titré Les 100 jours d’Othon, avec Silvio Luccisano au scénario, Christophe Ansar au dessin et Frédéric Bergèse à la couleur, nous permet de retrouver Quintus Aper et Columba les deux personnages fictifs du tome 1, qui sont véritablement les héros de cet opus.
Après une courte séquence montrant l’assassinat de Galba sur le forum en janvier 69, et une autre un peu plus longue d’un combat de gladiatrices pour le seul plaisir du nouvel empereur *, l’intrigue de l’album commence véritablement. Le frère aîné du général Vespasien charge Quintus Aper, ancien centurion et agent secret du général, d’aller jusqu’à Cologne et d’en ramener à Rome, Antonia Caenis, la maîtresse de Vespasien, qui se trouve en Judée. Tout le reste du récit est consacré à ce voyage aller-retour. À l’aller, l’ancien légionnaire chemine le plus directement possible vers le Nord en traversant les Alpes et le Jura. Sur cette route difficile, il est accompagné par un petit groupe de trois personnes. L’une d’entre elles est Columba, fille d’un gladiateur célèbre et gladiatrice elle-même, dont il a déjà fait la connaissance au tome précédent. Au retour, avec Caenis et Columba, Quintus passe plus à l’Ouest en descendant en bateau la Saône à partir de Cavillonum (Chalon sur Saône), puis le Rhône, et rentre à Rome par la mer.
En dehors de Quintus et de Columba, le personnage le plus important de cet opus est Antonia Caenis, la maîtresse de Vespasien, esclave affranchie d’Antonia minor, fille de Marc Antoine et d’Octavie, la sœur d’Auguste. À tel point qu’une double page lui est consacrée dans le cahier pédagogique, pages 55 et 56. Il y est expliqué qu’elle doit sa fortune à sa mémoire exceptionnelle et sans défaut. C’est ce qui lui a permis de passer du statut d’esclave d’Antonia, nièce d’Auguste, à celui de maîtresse officielle de l’empereur Vespasien.
Cette possibilité intellectuelle est mise en scène à la page 24 de l’album dans une entrevue entre Vitellius et Antonia Caenis, où elle démontre ses capacités mémorielles au prétendant au trône impérial. En fait, les auteurs se contentent de mettre dans la bouche de leur personnage des mots qui ont été réellement ceux d’Antonia Caenis, tel que le rapporte l’historien romain Dion Cassus (p.56).
Quelques mots d’explications supplémentaires ne seraient pas de trop pour présenter le pont de bateaux d’Arelate (Arles). Cet ouvrage, construit dans la seconde moitié du 1er siècle ap. JC, permettait de passer d’une rive à l’autre tout en résistant à la puissance des crues, à l’aide d’une chaussée reposant sur des bateaux, dont une partie est fixée à deux piles maçonnées dans le courant du fleuve. Contrairement aux autres installations de ponts de bateaux romains, celle-ci est permanente **.
Quand Caenis dit page 46 : « Nous irons affréter un navire », cela signifie que, comme Arelate est l’endroit de rupture de charge entre navigation fluviale et navigation maritime, elle va chercher un navire de mer, capable de descendre le canal de Marius et de naviguer en Méditerranée à partir des Fossae Marianae (Fos-sur-Mer). Ces appellations renvoient au créateur du canal : le général Caius Marius (157-86 av. JC) qui en 105-102 av. JC défait les Cimbres et Teutons dans la plaine d’Aix-en-Provence. L’embouchure du Rhône étant trop dangereuse, il fait creuser par ses troupes ce canal (maintenant disparu) pour sécuriser ses approvisionnements par la mer.
À la page 47, le bateau affrété par Caenis rencontre « des navires de combat » et Quintus explique : « c’est toute la flotte de Misène qui a prie la mer ». Depuis Auguste, Misène (à côté de Naples) est le grand port de la flotte de guerre romaine, un peu comme Toulon pour la Marine nationale française.
À la page 48, une vue panoramique montre très schématiquement une bataille terrestre et maritime qui se déroule, on s’en doute, entre partisans d’Othon et ceux de Vitellius. À la page 54, dans le cahier pédagogique, il est expliqué que ce combat a lieu dans la commune actuelle de Villeneuve-Loubet, après que la flotte d’Othon ait ravagé la ville de Vintimille.
Si on regarde de près, cet opus présente quelques petites erreurs mineures. À la page 4, la carte indique qu’au retour, après avoir traversé Andematunum (Langres) Quintus Aper passe par Bibracte, oppidum délaissé qui était l’ancienne capitale des Eduens. Or, à aucun moment entre son passage à Andematunum page 30 et le moment où nous les retrouvons sur une barge sur la Saône page 40, ce petit groupe ne passe par Bibracte.
Un problème se pose également avec l’orthographe du prénom de l’héroïne. Tout au long de l’album elle est appelée « Columba » avec un « u », sauf aux pages 33 et 35, où elle est dénommée « Colomba » avec un « o ».
Si on examine de près la cinquième case de la page 44, il y a quelque chose qui ne va pas dans la posture de Columba tirant à l’arc. Pour assurer la visée, la flèche devrait reposer sur sa main gauche fermée sur le bois de l’arc. Le bras droit est dessiné tendu droit vers le haut (on voit les plumes de l’empennage à hauteur des cheveux de la tireuse), alors qu’en principe ce bras devrait être replié et tenir la corde avec la flèche encochée à la hauteur de la commissure des lèvres de Columba.
Ce deuxième tome de L’Année des quatre empereurs marque une évolution par rapport au premier. Le simple fait de pouvoir disposer d’une carte en début d’album permet de mieux situer les différentes étapes du voyage entre Rome et Cologne et retour. De plus, la part des personnages fictifs de Quintus Aper et Colomba a augmenté dans le déroulé de l’action, tandis que Antonia Caenis, personnages ayant existé, fait montre d’un rôle fondamental dans ces tribulations. Cette simplification permet de mieux atteindre un équilibre entre aventure fictionnelle et reconstitution historique pédagogique, ce qui est l’objectif visé par ce genre de publication.
Pas toujours bien servie par un dessin un peu raide, l’intrigue permet de revivre ce qui se passait durant cette année pleine de bruit et de fureur, où les destins de certains finissaient de façon tragique, tandis que d’autres voyaient la fortune leur sourire.
* : voir le dossier sur les gladiateurs sur ce site.
** : pour plus de précisions, voir l’article « Le pont de bateaux d’Arles », p.160-161 de l’intégrale Arelate (Laurent Sieurac & Alain Genot, 100Bulles).
L’Année des quatre empereurs T2 Les 100 jours d’Othon. Silvio Luccisano (scénario). Christophe Ansar (dessin). Frédéric Bergèse (couleurs). Gallia Vetus. 72 pages. 18 euros.