Larzac, Histoire d’une résistance paysanne, succès de la désobéissance civile dans les causses du sud Aveyron
Dix ans ! La lutte des 103 paysans du Larzac a duré toute une décennie d’actions spectaculaires ou de commando, de grands rassemblements d’été ou de résistance non-violente vis-à-vis de l’administration, de la Police ou surtout de l’Armée. Dix ans durant lesquels les habitants, agriculteurs et autres, de ce plateau du sud Aveyron ont été un exemple pour toute la France contestataire et même au-delà. C’est à raconter toutes ces péripéties entre 1971 et 1981 que se sont attelés l’historien scénariste Pierre-Marie Terral et le dessinateur Sébastien Verdier avec Larzac, Histoire d’une résistance paysanne, préfacé par José Bové. Ce gros album de 162 pages plus un cahier historique du scénariste, intègre au récit dessiné des photos et des publications d’époque, comme des affiches du mouvement ou des BD de Cabu.
Tout débute le 11 octobre 1971 : Michel Debré, ministre de la Défense nationale, annonce dans un entretien à la télévision l’extension du camp militaire du Larzac, dans le sud Aveyron, qui passe ainsi de 3 000 à 17 000 hectares (p.6). Plusieurs agriculteurs et éleveurs de moutons sont ainsi expropriés, totalement ou partiellement.
La résistance à cette décision technocratique s’organise et le 23 mars 1972, c’est le fameux « serment des 103 » (p.25), du nombre de ceux des paysans qui s’engagent à résister jusqu’à l’abandon de l’extension du camp.
Dès lors, les actions spectaculaires vont se succéder, confortant de façon massive les paysans et ceux de tous horizons qui les soutiennent dans leur lutte. Il y aura des points d’orgue à cette mobilisation, comme les grands rassemblements des 25-26 août 1973 avec 80 000 personnes (p.55-69) et des 17-18 août 1974 plus de 100 000 personnes (p.80-85).
Il y aura aussi des actions plus durables comme la construction collective de la bergerie de La Blaquière (p.70-77). Il y aura également de rares épisodes de violence, comme l’attentat à la bombe le 10 mars 1975 dans la maison d’Auguste Giraud (p.97-98) ou le 16 mars 1975 l’assaut de la sous-préfecture de Millau (p.99-102).
La lutte prend d’autres formes : installations de néo ruraux dans des fermes vendues à l’Armée (p105),
commando dans les locaux du camp militaire abritant les dossiers d’achats des terres par l’Armée, travaux d’adduction d’eau et d’électricité pour les fermes du Larzac qui n’en avaient pas, création de Larzac universités pour faire se rencontrer travailleurs et intellectuels, etc. La plupart de ces actions sont accomplies de façon « illégale, mais …légitime » (p.70).
Une nouvelle marche sur Paris du 8 novembre au 2 décembre 1977 (p.139-144) et en novembre décembre 1980 l’occupation du Champ de Mars à Paris (p.152-156) permet de mesurer l’ampleur du soutien populaire aux paysans du Larzac.
Finalement, ce n’est qu’après la victoire électorale de François Mitterrand en mai 1981, que, dès le 3 juin, le conseil des ministres abandonne le projet d’extension.
Il est bien évident que cette résistance n’aurait pas eu l’ampleur et le retentissement qu’elle a eu sans les soutiens multiples, que les 103 ont reçus. Comme il n’était pas possible aux auteurs de cet opus de présenter l’intégralité de ces soutiens, il apparait nécessaire d’éclairer un peu plus les caractéristiques des personnalités que nous rencontrons au fur et à mesure de l’album.
(p.6) Michel Debré (1912-1996), après avoir été Premier ministre du Général de Gaulle de 1959 à 1962, « l’amer Michel » comme le surnommait Le Canard enchaîné, détient de 1969 à 1973 le portefeuille de ministre de la Défense nationale dans le gouvernement Chaban-Delmas sous Pompidou. Le projet d’extension du camp du Larzac demeure l’affaire la plus notable de son action ministérielle.
(p.22) Giuseppe Lanza del Vasto (1901-1981), issu de l’aristocratie italienne et homme de lettres, devint disciple de Gandhi au cours d’un séjour en Inde en 1936-1938. Dans la lutte du Larzac, il applique les méthodes du Mahatma, à savoir la résistance non violence, des actions symboliques et plus personnelles comme la grève de la faim avec l’utilisation des médias.
(p.29) André Dupont, dit Mouna (1911-1999) est vu comme un « clochard-philosophe libertaire, pacifiste, écologiste avant l’heure » qui fréquente le plateau.
(p.52) Bernard Lambert (1931-1984) natif de la région nantaise et issu de la Jeunesse agricole chrétienne, est la figure de proue de la nouvelle gauche paysanne. Député de Loire-Atlantique de 1958 à 1962, puis secrétaire de la FDSEA de Loire-Atlantique, il rentre au PSU, puis fonde le mouvement des Paysans travailleurs. On lui doit la formule, prononcée en 1973 sur le Larzac « Jamais plus les paysans ne seront des Versaillais »
(p.60) Lip est une vieille entreprise horlogère de Briançon, qui rencontre d’énormes difficultés au début des années 1970. En juin 1973, les ouvriers occupent l’usine et découvrent le plan de démantèlement de la direction. Sous la conduite de leur leader Charles Piaget (1928-2023), ils cachent un stock de 25 000 montres et remettent en route la production. Mais le 14 août les ouvriers sont chassés de l’usine par les CRS, qui y restent jusqu’en février 1974. Telle est la situation de cette lutte quand a lieu les 25 et 26 août le grand rassemblement du Larzac.
(p.63) Claude Marti, né en 1940 à Carcassonne, est instituteur à Couffoulens, au pied des Corbières dans l’Aude. Depuis 1969, il chante en occitan. La chanson qui est transcrite ici est parmi ses premières : Un païs que vòl viure = un pays qui veut vivre.
(p.64) Graeme Allwright (1926-2020) chanteur folk originaire de Nouvelle-Zélande et vivant en France depuis 1948, connu pour sa chanson Il faut que je m’en aille de 1966.
(p.78) Sacheen Littlefeather (1946-2020) de son vrai nom Marie Louise Cruz, actrice plus connue comme activiste au sein de l’AIM (American Indian Movement), organisation fondée en 1968 et qui en février 1973 initie l’occupation du monument de Wounded knee (Dakota du Sud), lieu du massacre en 1890 de 300 sioux ainsi que leur chef Big Foot. Cette occupation par l’AIM donna lieu à un véritable siège par le FBI et dura jusqu’au 8 mai 1973.
(p.79) René Dumont (1904-2001), agronome et universitaire, publie de nombreux ouvrages sur l’agriculture en particulier dans les pays en voie de développement. Sa candidature, la première d’un écologiste, aux élections présidentielles de 1974 remporte 1,32 % des suffrages au premier tour ; mais il a fait entendre non seulement l’expression des paysans du Larzac, mais aussi les voix des minorités nationales en France.
(p.85) Dominique Loquais, dont la chanson sur le Larzac a été chantée dans d’innombrables manifestations, reprend sa guitare en 2011 avec une chanson contre la création de l’aéroport de Notre-Dame des Landes.
(p.90) Lutte occitane, dont on voit ici le numéro 5 de novembre 1972, est le journal (imprimé à Millau) de l’organisation politique autonomiste Lucha occitana, qui dès sa création en 1971 a soutenu la lutte des paysans du Larzac et a été coorganisatrice du grand rassemblement du mois d’août 1974.
(p.106) Après la lutte du Larzac, José Bové, né en 1953 à Talence (Gironde), devient une des grandes figures de l’altermondialisme et se présente à l’élection présidentielle de 2007 où il ne récolte que 1,32 % des suffrages. Entre 2009 et 2019, il est député au Parlement européen.
(p.125) Jean Chesneaux (1922-2007) historien spécialiste de l’Extrême-Orient contemporain, a également une carrière d’activiste dans le milieu intellectuel parisien.
(p.138) Jacques Pâris de Bolladière (1907-1986), résistant et officier français parmi les plus décorés de la Seconde Guerre mondiale, après avoir pris part aux campagnes d’Indochine et d’Algérie, dénonce publiquement l’usage de la torture dans l’Armée française et manifeste contre les essais nucléaires français dans le Pacifique.
C’est l’évènementiel qui domine dans cet opus qu’on pourrait qualifier de « mémorial » de cette lutte du Larzac, un peu comme une chronique étape après étape de cette résistance paysanne. À l’heure où nombre d’acteurs et témoins de ces évènements commencent à disparaître, il y avait un devoir de mémoire à accomplir, pour que soit transmis par le truchement de cette BD, l’héritage de « la petite musique du Larzac ».
Larzac, Histoire d’une résistance paysanne. Pierre-Marie Terral (scénario). Sébastien Verdier (dessin). Dargaud. 176 pages. 23,50 euros.
Les seize premières planches :