Les gladiateurs dans les BD publiées en français : 3/3 Au cœur de l’organisation de la gladiature
Après avoir passé en revue les bandes dessinées publiées en français qui abordent, plus ou moins en détail, les gladiateurs, explorons avec la troisième et dernière partie de ce dossier les différentes facettes de la gladiature. Types de gladiateurs, patrons de troupes, financeurs de combats, lieux d’entrainement, en feuilletant les albums, on peut avoir une vision assez précise de toutes les facettes de la gladiature. Panorama.
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Rétiaire
Le gladiateur le plus fréquemment représenté est le rétiaire. D’après le dictionnaire latin-français Gaffiot, retiarius signifie « rétiaire [gladiateur armé d’un trident et un filet] » qui vient de retium (filet). Le bras droit de ce gladiateur léger n’est protégé que par une manica (armure articulée de bras), tandis qu’il peut abriter son visage par un galerus fixé sur son épaule (voir plus bas Arelate, p.143).
À la case 5 de la page 4 du Gladiateur masqué, le rétiaire Rufus porte par erreur un petit casque rond, tandis qu’il n’a pas de manica au bras droit et que son galerus est trop petit pour abriter son visage. Dans la séquence d’Astérix gladiateur (1964) page 32, le terrible dresseur de gladiateurs Briseradius échoue à faire d’Obélix un rétiaire : quelle utilisation du filet !
Passons maintenant à cette célèbre case de la page11 du tome 6 d’Alix, Les Légions perdues (1965), où le héros armé de façon disparate affronte un rétiaire professionnel et arrive à l’emporter.
Dans Celtil page 15 (1986), le héros équipé en secutor affronte un numide équipé en rétiaire. Et pour terminer, un peu de “gladia-comique” avec Gladiatorus 1 p4, qui nous montre un rétiaire, pêcheur d’origine et qui n’arrive pas à « oublier ses vieux réflexes » d’autant plus que le gladiateur qui l’agresse porte un poisson sur son casque, comme c’était parait-il la tradition pour les casques de mirmillon.
Mirmillon
Adversaire traditionnel du rétiaire, le mirmillon (murmillo en latin) est un gladiateur lourd, dont le casque couvre le visage. C’est ainsi que Timour Le Gladiateur masqué, page 5, espère échapper à la colère de son père. En revanche, dans la longue séquence (pages 20-34) consacrée à un combat à quatre gladiateurs dans Les Aigles de Rome VI, Marcus est certes équipé en mirmillon, avec le casque adéquate, mais muni d’une sorte de masque sans doute métallique, qui lui confère un anonymat parfait.
Hoplomache
Dans cette même séquence (pages 20-34) des Aigles de Rome VI, Marcus finit par triompher de tous ses adversaires en particulier celui qui est armée d’une lance, l’hoplomache (homoplachus en latin) qui était le vainqueur fanfaronnant du combat précédent.
Scissor
Scissor, « celui qui coupe, qui lacère » selon le dictionnaire latin-français Gaffiot. Le scissor tire son nom du couperet en demi-lune qu’il porte au bras gauche, mais il n’a pas de bouclier, qui est remplacé par une forte armure. Toutefois, rien à voir avec celles, très fantaisistes, qui sont présentées dans nos deux “gladia-comédies”, Les Gladiateurs (page 5) et Gladiatorus t1 (page 24).
Pour avoir une idée plus précise de la réalité, il faut lire la page 143 d’Arelate qui montre une lorica squamata (cuirasse d’écailles) et la couverture des Voyages d’Alix – Les Gladiateurs qui représente un scissor portant une lorica hamata (cote de mailles).
Le lanista
Rouage fondamental du monde de la gladiature, le lanista ou laniste est une sorte de patron d’une troupe de gladiateurs, qui tire bénéfice des prouesses de ses combattants. Pas étonnant qu’on le retrouve dans les BD consacrées aux rois de l’arène. Si le premier laniste de l’histoire de la BD, celui des pages 4 et 5 de Timour – Le Gladiateur masqué (1959) est resté anonyme, le lanista d’Astérix gladiateur (1964) présent dès la page 17 et personnage central de l’album jusqu’à la dernière planche, est connu sous le nom de Caius Obtus.
A la page 4 de Spartacus, le gladiateur, le laniste Lentulus Batiatus est même promu au rang de narrateur de l’opus, mieux que dans le film Spartacus (1960) de Stanley Kubrick.
Autre figure de laniste, celui de Gladiatorus t1 qui apparaît page 11 et revient périodiquement mais anonymement dans certains gags de cet album et du tome 2. Ce personnage, écumant de fureur devant les mauvaises performances de ses combattants, les expédie au ludus, terme que nous allons illustrer au paragraphe suivant.
Le ludus
Pour désigner le bâtiment qui abrite le gîte et les entraînements des gladiateurs, la BD n’utilise pas au départ le terme ludus. En général, on trouve l’appellation « école de gladiateurs » ainsi qu’il est mentionné sur la première case de la page 4 de Timour – Le Gladiateur masqué visible plus haut. Ce terme devient « caserne de gladiateurs » dans Astérix gladiateur page 31.
Et c’est finalement à la page 11 de Celtil (1986) qu’est utilisé ludus pour la première fois. Puis on en revient à « école de gladiateurs » à la page 23 du tome 2 de Murena et à la page 18 de Spartacus, le gladiateur. Mais ensuite le ludus s’impose dans les parutions suivantes : Les Gladiateurs, Arelate et La Voie du glaive.
Finalement, nous nous trouvons confrontés à deux visions de ce qu’était un ludus : soit un ergatulum ou prison pour esclaves-gladiateurs telle qu’elle est montrée dans les films Spartacus de Stanley Kubrick et Gladiator de Riddley Scott, soit un lieu de vie assez semblable, toutes proportions gardées, à une caserne de gendarmerie contemporaine avec des familles vivant dans le même bâtiment ainsi que le montre l’emménagement du nouveau gladiateur Vitalis avec sa famille à la page 56 de Arelate.
Les arbitres
Pour reprendre la phrase illustrant la première case de la page 31 du tome 2 de Gladiatorus : « Hé oui, il y a bien un arbitre dans les combats de gladiateurs ! ». Sur la couverture des Voyages d’Alix, nous en voyons un en pleine action pour arrêter le combat au moment où un scissor blesse un rétiaire.
La séquence du combat de gladiatrices pages 6 et 7 du tome 2 de L’Année des quatre empereurs nous offre en plus les commandements de l’arbitre : « Ad custodiam ! Pugnate ! » (« En garde ! Combattez ! »), « Intermitte ! » (« Arrêtez-vous ! »).
L’editor
Dès le premier opus consacré à la gladiature, Le Gladiateur mystère (1955), l’editor (financeur des jeux) est présent à la tribune officielle : c’est Néron, car nous sommes à Rome et c’est normal que l’empereur préside les jeux qu’il offre au peuple. Dans les autres villes romaines, c’est un personnage public, bien souvent un notable qui assure cette opération. Celle-ci rentre dans le cadre de ce qu’on nomme l’évergétisme ou obligation politique et morale qu’ont ces personnalités de dépenser leur argent pour l’embellissement ou l’animation de leur cité. Pour les combats de gladiateurs, ce notable devient un munerator (celui qui donne un spectacle de gladiateurs).
C’est ce qu’est César en train de piquer une colère dans Astérix gladiateur et son rival Pompée en tant que consul dans le tome 6 d’Alix, Les Légions perdues. Dans Celtil, l’editor est une nouvelle fois Néron, dans sa villa aurea et dans Les Gladiateurs, c’est au tour de Vespasien de tenir ce rôle.
Les gladiatrices ?
Terminons ce dossier en évoquant les gladiatrices. Dans chaque cahier pédagogique des deux tomes de la série L’Année des quatre empereurs, un article traite de ce sujet. Dans le tome 1, Mai 68, il s’agit de « Femmes et gladiature : la place des femmes dans le monde gladiatorien » de Méryl Ducros, docteure en histoire ancienne. Dans le tome 2, Les 100 jours d’Othon, c’est « Les gladiatrices à l’écran » de Michel Eloy, spécialiste de l’image de l’Antiquité au cinéma et en bande dessinée. Non mentionné dans ce dernier article est, à la villa aurea de Néron, le combat du héros gaulois contre une combattante germaine dans Celtil. Quant à l’affrontement que nous avons déjà signalé dans Les 100 jours d’Othon, le tome 2 de L’Année des quatre empereurs, outre la reconstitution du rôle de l’arbitre, il nous offre la démonstration d’une passe d’armes entre les deux combattantes, où la Thrace met à profit la spécificité de son épée courbe pour blesser la mirmillonne.
Les influences
Ne refermons pas ce dossier sans évoquer rapidement les images mentales qui influèrent sur la représentation des gladiateurs dans le neuvième art. Durant les débuts de la BD historique, ce furent essentiellement les peintres du XIXe siècle comme Jean-Léon Gérôme (1824-1904).
Puis rapidement Hollywood et Cinecitta exercèrent une influence non négligeable avec principalement leurs superproductions Spartacus (1960) et Gladiator (2000).
Et nous avons vu combien grâce à l’apport historique et iconographique de l’archéologie expérimentale, ces représentations ont évolué dans le sens d’un rendu plus fidèle de la gladiature dans le monde de la BD.