Les Gorilles du Général : comment protéger de Gaulle en pleine guerre d’Algérie ?

Inspiré par l’histoire des vrais gardes du corps de Charles de Gaulle, Les Gorilles du Général, de Xavier Dorison et Julien Telo, plonge dans la France de la fin des années 1950. Chargés de la sécurité du chef de l’Etat, Max Milan, Ange Santoni, Alain Zerf et Georges Bertier ont fort à faire avec le mépris du risque voire l’inconscience manifestés par le général de Gaulle. En pleine guerre d’Algérie, les menaces d’attentats sont pourtant bien réelles.
Tout commence dans une petite église sous la pluie, le jour de l’inhumation du général de Gaulle. Quatre hommes à la carrure imposante et à l’air attristé, accompagnent celui qu’ils ont protégé, celui avec qui ils ont partagé plus d’une décennie. Les souvenirs remontent alors à la surface. Le cœur de ce premier album concerne septembre 1959, alors que “pépère”, surnom affectueux donné par les quatre gorilles, est président de la République depuis décembre de l’année précédente.
Crédit : Dorison / Telo / Casterman
L’aube des métamorphoses sociales
Xavier Dorison et Julien Telo ont saisi la particularité de la fin des années 1950 qui voit la France entrer inexorablement dans la modernité. La machine à laver fait rêver les épouses (p. 47). Ici d’ailleurs, les rapports de genre sont bien rendus sans convoquer un féminisme hors de propos, sauf à vouloir sacrifier à une historiographie à la mode. On entre dans Paris non par l’entrelacs du périphérique, mais par la petite route de campagne (p. 42). La reconstitution est fidèle. Le dessin dynamique de Julien Telo * oscille entre les plans larges où Paris se découvre et les gros plans des visages sur lesquels les sentiments contrastés disent les inquiétudes ou les joies.
Crédit : Dorison / Telo / Casterman
Des statures à la Lino Ventura
Le capitaine Milan est un gorille formé au sein du FBI, rompu à toutes les nouvelles techniques de surveillance et de protection. Il est le beau gosse des romans de Jean Bruce, inflexible et agile. Les trois autres s’en tiennent à leur instinct, la boxe et l’esprit d’équipe. Ce sont des « gueules » tout droit sorties d’un polar en noir et blanc avec Lino Ventura.
La fin douloureuse de la guerre d’Algérie
Le tragique affleure de la bonhomie franchouillarde des gorilles. Le tragique c’est la guerre qui déchire les familles comme elle déchire la France et l’Algérie. Les auteurs ont bien saisi les drames intérieurs des deux côtés de la Méditerranée. La peur de voir partir son fils conduit certains personnages à louvoyer entre leur honneur forgé dans la Résistance et les combines pour obtenir un sursis. Le cas de conscience de Zerf, Franco-Berbère qui a laissé sa sœur au pays, rend compte du trouble humain qui se joue (p.7-9 ; p. 85). C’est lorsque l’intime rencontre l’histoire du pays qu’émergent la puissance et la profondeur du scénario de Xavier Dorison **.
Crédit : Dorison / Telo / Casterman
De l’homme providentiel aux « coups fourrés » du SAC
En surplomb, le général de Gaulle, l’homme providentiel (p.63), personnalité qui rayonne, qui impose le respect et qui est pourtant presque éthérée. Le lien indéfectible qui lie les gorilles au président de la République, fait de respect et d’admiration, est presque physique, loin de toute idéologie. Cette figure tutélaire est protégée non seulement par ses gorilles, mais par Jacques Foccart, le chanoine, toujours bien informé et lucide (p. 16). Il recrute des personnages peu recommandables (p.57), il organise, il déjoue les projets d’attentats, parfois sans scrupule. Les « coups fourrés » et la torture peuvent ici être utiles s’ils permettent de sauver la situation. Les auteurs évoquent l’existence du fameux Service d’Action Civique, que nos quatre héros côtoient, la part sombre d’un régime qui s’installe et auquel tout le monde s’accroche parce qu’il doit assurer la stabilité.
Cette fiction, inspirée de faits réels, est complétée par un cahier historique en annexe. Il permet de mettre en perspective les choix scénaristiques et graphiques des auteurs. Un premier tome passionnant, relecture originale du gaullisme et de l’histoire des Trente glorieuses, dont on attend la suite avec impatience.
Crédit : Dorison / Telo / Casterman
* : auteur de la série Elric.
** : auteur notamment des séries Le Troisième Testament, Undertaker et du roman graphique Goldorak.
Les Gorilles du Général. Xavier Dorison (scénario). Julien Télo (dessin). Casterman. 96 pages. 21,95 euros.
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