L’Incroyable histoire de la bière, 15 000 ans de réinventions constantes
Après les beaux succès en librairie de L’Incroyable histoire du vin et de L’Incroyable histoire de la cuisine, Benoist Simmat nous offre les 200 pages argumentées, bourrées d’anecdotes amusantes ou révélatrices de changements d’époques, de L’Incroyable histoire de la bière. Le journaliste économique, spécialiste des vins et spiritueux, s’est adjoint pour ce livre le graphisme tout en vivacité, drôle et moderne, du jeune Lucas Landais dont c’est la première bande dessinée publiée. On en apprend beaucoup plus que ce à quoi on s’attendait à la lecture d’un ouvrage riche, quasi encyclopédique sur le sujet, et toujours passionnant ; les faits historiques sont souvent relevés par des textes savoureux et un humour omniprésent.
« Le vin est un don de dieu, la bière une invention humaine » aimait à plaisanter le réformiste allemand Martin Luther et il ne croyait pas si bien dire ! Si l’homme a commencé à confectionner du vin en laissant fermenter naturellement le raisin, il lui a fallu un travail acharné avant de pouvoir boire une pinte de bière et notamment trouver les moyens de déclencher une miraculeuse réaction chimique dans une soupe de céréales. Car l’histoire de la bière commence dès le Paléolithique, avant la diffusion de l’agriculture, et se poursuit jusqu’à la révolution des bières indépendantes, des bières artisanales aussi appelées craft beers dont le succès ne se dément pas aujourd’hui : au moins une nouvelle brasserie se crée toutes les semaines en France.
L’ouvrage présente l’histoire de la bière de manière chronologique en 9 chapitres. Le premier, « L’Âge de bière », s’attarde sur la découverte de la fermentation des céréales il y a 15 000 ans. Le second, « Au temps du pain liquide », détaille le succès de ce breuvage dans la Mésopotamie antique. « La Boisson qui venait du froid » nous renseigne sur le développement des brasseries au Moyen-Âge partout dans le monde (de la Chine des Han à l’Inde, des civilisations précolombiennes aux savanes africaines) et au retour sur le devant de la scène de la bière en Europe à la chute de l’empire romain. Dans « Le Miracle du houblon », on apprend qu’après l’an 1000, la bière en Europe a un profil similaire à celui d’aujourd’hui : une boisson fermentée de céréales maltées, généralement de l’orge, dont le cycle est strictement organisé par la tradition et la vie sociale. Une innovation accélérée par les travaux de la moniale et botaniste Hildegarde de Bingen change son commerce : l’introduction du houblon qui la rend plus stable et plus résistante donc capable de voyager sur des distances de plus en plus grandes.
Dans les deux chapitres suivants, « Les Révolutions industrielles », les auteurs expliquent les passages de la porter à l’IPA puis de la pilsner à la Bud. Les Anglais, consommateurs du vin d’Aquitaine, passent à la pale ale, une bière claire, ambrée ou cuivrée, après la Glorieuse Révolution (1688-1689). Ainsi, au début de la révolution industrielle, la production de bière explose dans le pays avec les premières brasseries modernes qui livrent leurs production par porteurs, mot français utilisé en anglais synonyme de livreur. D’où le succès de la porter puis des stouts. A la fin du XIXe siècle, une nouvelle bière au destin célèbre apparait : l’India pale ale ou IPA, un des styles les plus appréciés au XXIe siècle. C’est la première bière exotique de l’histoire moderne : plus claire, plus amère, plus rafraichissante, donc adaptée au climat chaud et humide des anciennes colonies britanniques. La révolution de la bière moderne se poursuit évidemment dans le pays qui en consomme le plus : l’Allemagne. Les brasseurs mixent la technique ancestrale des lagers bavaroises avec le malt clair anglais, voila l’origine des lagers germaniques et de l’Oktoberfest de Munich, la plus grande fête de la bière du monde. De même en 1842, dans la ville de Plzen, au cœur de la Bohême, est créée une nouvelle bière légère dont la recette n’a pas varié depuis : la Pilsner qui a conquis toute l’Europe. Recette reprise aux Etats-Unis avec celle de Budweiser, une ville voisine de Plzen. En 1900, le marché mondial de la bière est dominé par des brasseries géantes et quelques grandes nations capitalistes, les États-Unis en premier.
Les trois derniers chapitres présentent l’évolution de la production et de la consommation de bière depuis un siècle. Dans « Léviathans » est détaillé le poids des firmes géantes états-uniennes dans la production mondiale avec la diffusion de l’American lager, une pils light avec peu d’alcool. Cela a pour corolaire une concentration du marché de la bière dans quelques conglomérats mondiaux. Mais un mouvement de contestation à cette globalisation se fait jour, notamment en Belgique : le mouvement des bières artisanales. Dans « Au royaume de la bière », un zythologue donnent tous les détails intéressants sur l’histoire de la bière dans ce petit pays : de la Lambic aux Trappistes et de la Faro et des Krieks aux Gueuzes. Il n’oublie pas non plus les secrets de fabrication de la Chimay, de l’Hoegaarden ou de la Carolus. Enfin dans le dernier chapitre, « La révolution des bières indépendantes », les auteurs reviennent sur la création d’une multitude de micro-brasseries depuis une cinquantaine d’années. Le mouvement apparait à la fin des années 1970 en Californie. Le homebrewing est un reflet de la culture contestataire de l’époque. Dans les années 1980, les microbrasseries ambitieuses sont de plus en plus nombreuses, on commence alors à les appeler d’un nom plus chic : les Craft beers. Les bières indépendantes colonisent depuis le début du XXIe siècle toutes les villes de tous les continents. Par exemple en région Ile-de-France, on est passé de pratiquement rien au début des années 2000 à 135 unités de production de bière en 2020.
La bière a assurément une incroyable histoire que nous font découvrir avec talent et humour Benoist Simmat et Lucas Landais. L’ouvrage est fort bien documenté, les notes en bas de page en faisant foi tout comme un glossaire scientifique et historique (de A comme bière d’Abbaye au Z de zythologue), et deux pages de bibliographie. Vous trouverez aussi en guise de conclusion un guide qui peut s’avérer fort utile si vous voulez brasser votre bière à la maison. Une idée de plus en plus mise en application pour la boisson alcoolisée la plus consommée au monde et même bientôt en France où sa consommation rattrape année après année celle du vin, 33 litres par habitant/an contre 37 pour le vin en 2022 !
L’Incroyable histoire de la bière. Benoist Simmat (scénario). Lucas Landais (dessin et couleurs). Les Arènes BD. 200 pages. 23 euros.
Les dix premières planches :