Marko, coauteur des “Godillots” et de “Verdun”, raconte sa Grande Guerre
Il est possible de faire aujourd’hui une bande dessinée pour la jeunesse avec les aventures de poilus de 14-18. Marko, associé à Olier, le prouve avec la série Les Godillots. Les quatre tomes déjà parus dénotent son goût pour des recherches documentaires poussées afin de bien contextualiser la vie et les pensées des soldats d’une escouade de seconde ligne. La série a trouvé son public, devant ce succès certains surnomment même « Les Tuniques bleues de la Grande Guerre » Palette et le Bouru, les deux personnages centraux des Godillots. Fort de cette réussite et toujours passionné par les combats et les combattants de la « Der des ders », Marko s’est engagé avec l’historien Jean-Yves Le Naour dans de nouvelles bandes dessinées sur le sujet, en commençant par un album sur le début de la bataille de Verdun, sobrement titré Verdun.
Après une rencontre lors du dernier Festival de Saint-Malo, Marko a répondu fort sympathiquement à nos questions. Nous le remercions vivement d’avoir pris du temps pour y répondre, avant de partir pour des rencontres et des conférences en Argonne et dans la région de Verdun à l’occasion du 98e anniversaire de l’armistice de 1918.
Pour avoir plus de précisions sur le tome 4 des Godillots et l’album Verdun, vous pouvez lire les chroniques Cases d’Histoire des deux albums, ICI et LÀ.
Cases d’Histoire : Bonjour Marko, pouvez-vous vous présenter ?
Marko : Je m’appelle Marc Armspach, de mère bordelaise et de père alsacien, je vis avec mon épouse et mes deux filles au pays basque où je suis installé depuis 41 ans et où j’ai construit mon atelier. Je travaille dans le milieu du dessin depuis l’âge de 20 ans. J’en ai aujourd’hui 47. Mon parcours a zigzagué entre le dessin d’animation (Studio Ellipse, Dadamedia, Disney, Somuga, Basora), l’illustration (Kukuxumusu) et la BD (Bamboo, Dargaud). Je me concentre exclusivement sur la BD depuis 7 ans.
Vous assurez le dessin des séries Les Godillots et Verdun aux éditions Bamboo. Est-ce que la Grande Guerre est une passion ancienne ?
C’est comme des vieux démons planqués dans des cartons. Je savais que voulais traiter de cette période qui me fascinait, et me fascine toujours, sans trouver le temps de m’y atteler. Et, à une période bien précise de mon parcours artistique, au moment où j’allais peut-être arrêter de me battre dans la jungle du monde de la BD, la Grande guerre m’a sauté à la tronche. J’ai décidé que c’était le bon moment pour commencer un travail sur cette période de l’Histoire, au départ sous l’angle artistique, graphique, puis ensuite sous l’angle scénaristique. C’est devenu Les Godillots, Verdun est venu après. Tout le monde est lié à la Grande Guerre. Elle n’a épargné personne. Je me rends compte qu’elle me lie encore plus à l’Histoire de ma famille du coté paternelle. Celle qui trouve ses racines en Alsace.
Comment travaillez-vous sur la série Les Godillots avec Olier. Intervenez-vous sur le scénario ?
J’ai un rapport très particulier avec ces personnages et cette période. Dès que j’ai eu la certitude qu’il fallait travailler cette période en ayant une approche plus humoristique et décalée, j’ai fait appel à Olier, avec qui je travaille depuis longtemps. Il a accroché au concept et nous avons, comme nous le faisons depuis toujours, attaqué le travail en binôme. Sur le travail, Olier a une approche plus classique, j’en ai une plus farfelue, plus décalée. Et cela ne concerne pas uniquement la série des Godillots, mais c’est le cas sur l’ensemble de nos travaux respectifs. Les Godillots sont un mixte, un cocktail de ces deux approches. Il est difficile de précisément dire qui a eu cette idée de scène, de bout de scénario, de cadrage ou encore de personnage. Nous travaillons en étroite collaboration et échangeons, depuis l’idée scénaristique de départ jusqu’à la touche graphique finale sur la dernière case.
Il faut bien créditer les personnes sur la page de titre de l’album, alors il y a écrit scénario « Olier » et dessin et couleurs « Marko ». Mais sur les cases, et mis à part le dessin pur, en pratique, nous travaillons à quatre yeux. Nous tombons d’accord sur une trame, des intentions, Olier fait son travail de scénariste, de mise en cases sur le papier, pendant que je travaille sur la documentation et les premiers storyboards. Nous échangeons au quotidien sur la moindre scène, page et case.
A quelles recherches vous êtes-vous astreint pour les costumes, les véhicules et les armes ? Êtes-vous content du résultat ?
Que cela soit au niveau graphique ou au niveau du récit, nous nous imposons un cadre strict qui nous contraint à être vigilants sur l’Histoire – avec un grand « H » – pour que nos histoires – avec un petit « h » – soit les plus crédibles possible. Niveau dessin, je me documente énormément, et comme cette période est complexe, je me rapproche de spécialistes, qu’ils soient amateurs ou professionnels.
Pour la partie scénaristique, c’est la même chose, nous sommes très vigilants sur les faits historiques pour voir si ce que nous voulons raconter est crédible, ou possible au regard des événements historiques avérés…. Un exemple : le tome 4 se déroule fin février 1916, au moment du déclenchement de la bataille de Verdun. Dans notre récit, nous voulions placer des tirailleurs sénégalais. Recherches faites, à la période et aux lieux où nous voulions placer notre fiction, les tirailleurs sénégalais étaient sur un autre front. Nous avons alors introduit des tirailleurs marocains, présents à ce moment-là, et modifié notre scénario en conséquence.
Sinon pour réponde à votre seconde question, je n’ai aucun retour critique ou de corrections à apporter de la part de professionnels ou d’amateurs avertis. Je suis convié à Verdun, au Mémorial ou encore, toute l’année dans les écoles pour faire des conférences ou des ateliers. Je pense que cela suffit à préciser qu’à ce niveau-là, au moins, nous faisons correctement notre travail. Il y a un grand respect de l’Histoire dans nos histoires, et je pense que cela se sent.
Vous êtes-vous rendu compte de certaines erreurs, l’album étant déjà publié ?
Il doit y en avoir beaucoup, mais la seule qu’on m’ait fait remonter est de taille ! Tomes 3, Bixente s’étonne du nombre d’avions détruits par d’Estarrat, l’as des as. J’ai dessiné des petites croix allemandes sur la carlingue de l’avion de d’Esterrat, avec le nombre exact d’avions détruits. Bingo, j’ai mis les pieds dedans ! Un lecteur averti et grand amateur d’aviation m’a justement fait remarquer qu’en 1914, les plaques d’immatriculation ou les bouts d’ailes d’avions étaient les preuves ou trophées de destruction de l’ennemi. Les petits signes cabalistiques dessinés sur le fuselage des avions sont apparus en 1939 ! …. Erreur !
Chaque album de la série est bien contextualisé dans le temps et dans un territoire, la frise chronologique en début d’album en fait foi. Travaillez-vous aussi particulièrement les décors et les lieux où vivent vos personnages ?
Comme je le précise plus haut, nous faisons, ou tentons de faire, attention à tout. Les décors en font partie. Une tranchée creusée dans la terre blanche de l’Argonne ne sera pas la glaise rouge de Passchendaele, même si ces deux terres finiront noir de cendre et rouge de sang ! Le tome 5 se passera dans les Ardennes françaises… en 1918. Cette dernière précision est importante. En 1918, cette partie du front ne propose pas un terrain mouvementé, détruit, bouleversé, du type de ce qu’on peut voir sur Verdun. Cette partie du front a été occupée très vite par l’armée allemande. Au moment de notre histoire, c’est la fin de l’offensive Michael. Les Allemands sont repoussés dans un élan rapide. Nous serons donc dans un type de décor qui ne proposera pas de vastes champs de bataille où le soldat s’est enterré ou englué.
Les albums de la série ne paraissent pas dans un ordre chronologique. Y-a-t-il un nombre d’albums prédéterminé ? Connaissez-vous la fin de l’histoire des Godillots ?
Nous voulions pouvoir jouer sur l’échelle de temps. La série a trouvé son public et nous avons donc pu créer un vrai univers. Même si chaque album peut se lire en one shot, nous avons créé une sorte de fil rouge que le lecteur peut suivre sur l’ensemble des albums BD et des deux petits romans. La période est inépuisable. Dans notre premier article presse, on nous a appelés « Les Tuniques bleues de la Grande Guerre ». Il serait bien que nous ayons le même nombre d’albums que la série culte de Lambil et Cauvin ! C’est un joli rêve. Nous connaissons la fin de ce fil rouge. Il sera dévoilé dans le tome 5.
Avec vos recherches pour les albums, quelles sont les choses qui vous ont le plus surpris dans la vie des poilus de la Première Guerre mondiale ? Avez-vous des détails ou anecdotes surprenantes, issues de tes recherches, à nous confier.
Cette période est composée de milliers, de millions de petites histoires. Chaque soldat a construit sa mémoire, son histoire à partir d’un bout de tranchée, d’une parcelle de secteur du front, de quelques heures ou minutes de guerre. C’est cela qui ne cesse de m’étonner et me passionner.
J’ai découvert en travaillant sur la période l’origine du terme « Vieux Briscard ». En 1914, le soldat a le droit de montrer, sur les manches de son uniforme sa présence au front. Une première brisque – un « V » inversé- attestant d’une année de présence sur le front pouvait être cousue. Par la suite, à coup d’une brisque tous les six mois de présence, le soldat cousait ses brisques sur ses manches. A la fin de la guerre l’étalage de l’ensemble des brisques faisait de ce soldat un « VIEUX BRISCARD », un type qui en a vu, qui a vécu !
Nos « Godillots » doivent se soumettre à ce détail historique. Je dois donc faire attention a toujours être cohérent sur les brisques cousues sur les manches des uniformes de mes personnages, surtout si ces derniers, en fonction des albums, passent de 1916, à 1918, pour revenir par la suite à 1915.
Autre détail croustillant, j’ai découvert que les insignes dessinés sur les bâches des camions en 1916 au départ de la voie sacrée vers Verdun étaient, pour certains encore d’actualité. « La Vache qui rit » ou encore le Pélican, futur logo de la marque « Pelforth », créée au lendemain de la guerre, datent de cette période. Comment intégrer cette donnée dans notre tome 4 ? Nous avons un artiste dans la galerie des personnages des Godillots. Il est fantasque et déjanté. Les camions sont enlisés en ce début de la bataille de Verdun, le capitaine Doumenc met en place la Noria, et par la suite, ces camions alimenteront le front de Verdun à raison d’un camion toutes les 14 secondes ! Bingo, nous tenons nos ingrédients. Un artiste frustré de ne pouvoir s’exprimer pleinement dans l’exécution des insignes qu’on lui a demandé de peindre sur les bâches et un temps suspendu pour cause des camions enlisés. Le première classe Ledru, artiste de son état peut enfin s’exprimer de tout son art sur les insignes des camions, il dispose de plus de 14 secondes pour dessiner … nous avons lié l’Histoire avec l’histoire !
Pour le tome 2, nous voulions situer notre récit dans les Vosges. Pour cela nous avons fait appel à un spécialiste de la période et des lieux. Nous avons expliqué à Éric Mansuy notre scénario. Nous lui avons donné les éléments nécessaires à la construction du récit. Éric s’est chargé de puiser dans ses connaissances pour nous trouver un lieu où des faits similaires se seraient produits. On n’invente rien et Éric a trouvé toute la documentation et les anecdotes qui ont nourris notre travail. J’ai par la suite pu me rendre dans la vallée de Munster pour, in situ, revivre notre histoire et l’Histoire. En ce moment Éric travaille avec nous sur le tome 5 et la période étroite du 11 novembre 1918 sur le front des Ardennes françaises.
Il y aurait des multitudes de choses à raconter sur nos histoires et l’Histoire, les lieux et les gens… Ces choses sont largement abordées lors de mes conférences. Des détails troublants où la réalité rejoint la fiction d’une manière qui me questionne encore aujourd’hui et questionne les personnes qui les découvrent.
Comment avez-vous travaillé sur l’album Verdun, pour lequel vous êtes crédité de la mise en scène, avec l’historien Jean-Yves Le Naour et le dessinateur Inaki Holgado ?
J’ai eu le plaisir de rencontrer Jean-Yves Le Naour lors de l’élaboration du tome 1 des Godillots. Je l’avais sollicité pour des détails précis. Est née une belle relation qui s’est affinée avec le temps. J’ai présenté Jean-Yves à Hervé Richez, directeur de la collection Grand Angle, en précisant les possibilités de travail en BD. Jean-Yves et Hervé sont partis sur la production d’albums, avec d’autres dessinateurs. Pour l’univers de Jean-Yves il faut un dessin réaliste, que je n’ai pas. J’ai donc, dans un second temps cherché à me replacer dans cette production. J’ai proposé à Hervé une nouvelle équipe : Jean-Yves au scénario, Inaki Holdago au dessin et votre serviteur au storyboard et la direction artistique des albums. Sébastien Bouet venant se caler à la couleur.
Cela me permet de me replacer au cœur de cette dynamique de création, de faire entrer Inaki dans la boucle chez Bamboo-Grand Angle, d’en faire découvrir l’excellent travail et pour moi de m’intéresser à ce qui me semble l’essentiel dans le travail d’auteur BD : la narration, le storyboard, les rythmes et les intentions. Cela m’a donné envie d’écrire des scénarii et de continuer à travailler en coulisses sur d’autres albums.
L’album narre uniquement le début de la bataille, vous êtes-vous rendu sur place pour mieux vous rendre compte de l’espace de la bataille ?
Je me rends sur Verdun chaque année, mais aussi en Argonne. J’y vais pour de la recherche de documentation mais aussi pour me plonger dans une atmosphère. Il est important de mettre du volume 3D, voire 4D, à son travail 2D
Les généraux français, Joffre et Pétain notamment, sont présentés sous un jour peu favorable. Vous êtes-vous documenté particulièrement sur le sujet pour cet album ?
Jean-Yves Le Naour est la personne à qui il faut poser cette question, c’est lui le spécialiste historique et le scénariste de cet album. Sinon, oui, les généraux n’ont pas été dans des situations glorieuses à cette période, mais ça, c’est de notoriété publique… Jean-Yves apporte de plus précisions. Charge à nous, à la mise en scène et au dessin d’appuyer son propos.
Quels sont vos projets en bande dessinée ? Est-ce que la guerre de 1914-1918 y tient une grande place ?
Pour 14-18, je continue sur les albums à venir dans la collection Grand Angle avec Le Naour et Holgado. Nous avons attaqué le tome 5 des Godillots. En parallèle, je travaille sur le tome 2 de Le jour où le bus est reparti sans elle avec BéKa et Cosson… une petite pause salutaire et douce au milieu du fracas de la Grande Guerre.
Un lien utile pour suivre les pérégrinations de Marko, par exemple sa conférence suivie de dédicaces à Sainte-Menehould le 15 novembre, la page Facebook des Godillots.
Les Godillots T4 Le Tourniquet de l’Enfer. Olier (scénario). Marko (dessin et couleurs). Bamboo. 56 pages. 13,90€
Verdun. Jean-Yves Le Naour (scénario). Iñaki Holgado (dessin). Marko (storyboard). Bamboo. 48 pages. 13,90€