Mickey aussi a connu les camps d’internement de Vichy
Avec Mickey à Gurs, Joël Kotek et Didier Pasamonik ont décidé de se pencher sur trois petits carnets remplis des dessins d’Horst Rosenthal. Des bandes dessinées étonnantes, réalisées dans le camp d’internement de Gurs en 1942, où Mickey fait une apparition remarquée. Un témoignage émouvant et précieux sur la vie dans cette antichambre des camps d’extermination.
Il est des documents qui, à la lumière de l’Histoire, prennent une toute autre coloration, bien plus tragique. Comme ces trois petits carnets par exemple, sur lesquels on découvre des bandes dessinées apparemment anodines, qui pourraient presque faire penser à des chroniques de vacanciers en plein congés payés. Malheureusement pour l’auteur de ces historiettes, la vie dans les baraquements qui est décrite ne se déroule pas en 1936 mais bien en 1942, dans le camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques). Horst Rosenthal y est en effet interné deux ans plus tôt car d’origine allemande. Un comble pour ce jeune militant socialiste qui a fui son pays en 1933, à l’âge de 17 ans, pour échapper à la menace nazie. Deux ans plus tard, il monte dans des wagons qui le mèneront à Auschwitz, car il est juif. Il y sera assassiné probablement dès son arrivée. Dans le camp de Gurs, il aura eu le temps de plaquer sur le papier de ses carnets quelques moments de vie, avec tendresse et ironie, car il faut bien rire quand le sort s’acharne. Le quotidien du lieu d’internement y est présenté à la manière d’un dépliant touristique vantant les mérites d’un complexe hôtelier. Avec une issue différente à la captivité du jeune Rosenthal, la lecture de cette trentaine de vignettes serait fraiche et très plaisante. Au contraire, l’ombre de la mort qui plane sur les dessins, d’ailleurs plus ou moins ressentie par les détenus de ce camp géré par la France, leur donne un écho funèbre.
Outre la description des carnets, le récapitulatif biographique de la famille Rosenthal, la présentation du camp et les détails de la politique de déportation mise en place par le pouvoir français de l’époque, l’intérêt de Mickey à Gurs tient dans la mise en perspective d’un des carnets de dessins avec d’autres œuvres éminemment connues. La première des trois créations de Horst Rosenthal est en effet assez singulière puisqu’elle a pour personnage principal la petite souris inventée 14 ans plus tôt par Walt Disney et Ub Iwerks. Drôle d’idée d’utiliser Mickey Mouse pour se représenter comme nouvel arrivant au camp de Gurs. Pas vraiment, en réalité. C’est même plutôt très malin de la part de Rosenthal. Le parallèle entre cette souris étrangère en France, symbole de l’innocence, et sa propre situation est très bien vu. Evidemment, quand on associe bande dessinée, Seconde Guerre mondiale et souris, vient forcément à l’esprit Maus, le classique d’Art Spiegelman. Mais les auteurs montrent bien que les intentions du dessinateur américain ne sont pas les mêmes que celles de son ainé allemand (la différence majeure étant que Spiegelman connaît l’issue de la tragédie). De même pour La bête est morte !, évocation animalière du conflit mondial par Victor Dancette, Jacques Zimmermann et Edmond-François Calvo. Cette analyse renforce la singularité des carnets de Gurs. Plus encore, en exhumant ces livrets sauvés de la destruction par des rescapés du camp, les auteurs font à distance œuvre de mémoire contre la volonté destructrice des nazis. Non, Horst Rosenthal n’est pas tombé dans l’oubli, son souvenir vit encore.
Mickey à Gurs, de Joël Kotek et Didier Pasamonik. Calmann-Lévy. 192 pages. 22,90€
5 planches des carnets de Horst Rosenthal
0 Comments Hide Comments
[…] Des BD ont pourtant abordé directement le sujet de la Shoah : Mickey à Gurs (1942), La Bête est morte […]