Où est Anne Frank ! Etre ou ne pas être digne du message du Journal

Bestseller de la littérature mondiale, le Journal d’Anne Frank est rarement adapté en bande dessinée ou en dessin animé. Les ayants droits d’Anne Frank, son père notamment, ont longtemps veillé au respect scrupuleux du texte officiel mais on peut aussi penser que s’attaquer à un tel monument n’était pas chose aisée. Le réalisateur Ari Folman et les dessinateurs David Polonsky (auteurs du film Valse avec Bachir, 2008) et Lena Guberman publient chez Calmann-Lévy une adaptation dessinée du film Où est Anne Frank ? qui sort le 8 décembre 2021.

Anne Frank et son tragique destin sont bien au centre du film Où est Anne Frank, mais Ari Folman a choisi de mettre en avant Kitty, la confidente imaginaire qui reçoit les écrits de la jeune fille. Si Anne part en déportation, Kitty reste à Amsterdam cachée dans les pages du journal que retrouve le père d’Anne, seul rescapé de la famille. Le réalisateur imagine que Kitty se réveille, sort des pages et découvre la ville, aujourd’hui. Elle passe devant une bibliothèque Anne Frank, une médiathèque Anne Frank, elle croise une rue puis franchit un pont Anne Frank. La jeune fille d’encre et de papier cherche son amie, partout sans la trouver, sans savoir ce qui lui est arrivé.

Anne discute avec Kitty dans sa chambre avant le départ pour la cachette. Jeune fille de son temps, elle collectionne les photos des stars de cinéma qu’elle suit avec passion.

Elle ne connait pas la fin tragique de la famille Frank. Sortant pour la première fois de la maison devenue musée, Kitty se heurte à l’injustice, surtout à l’indifférence cruelle qu’elle constate quand elle croise des jeunes marginaux ou des familles de migrants réfugiées dans un squat insalubre. On s’attache vite à ce personnage opiniâtre et naïf. Le scénario fait de nombreux aller-retour entre ce que vit Kitty et la vie d’Anne. De nombreux épisodes racontés dans le journal sont repris : l’arrivée des nazis, les premières persécutions, les disparitions d’amis, l’entrée dans la cachette et la vie quotidienne éprouvante de 7 personnes dans un grenier dont il ne faut pas sortir, ou la faim qui tenaille. Le spectateur qui n’aurait jamais lu le livre trouve là une très belle mise en image des pages d’Anne Frank.

Anne, sa sœur et son père lors de l’entrée dans la cachette. Conformément à la législation mise en place par les nazis, ils portent l’étoile jaune. La famille Frank va accueillir une autre famille de trois personnes que Anne va rapidement trouver insupportable.

Anne et sa sœur dans la chambre de Anne dans la cachette. La jeune fille a emporté les photos des stars qui décoraient sa chambre. L’arrivée d’un nouveau fugitif l’obligera à partager sa chambre.

Partant de cette idée poétique et originale, Folman imagine un conte qui se déroule dans la Hollande d’aujourd’hui. Entre le souci de perpétuer la mémoire du génocide et l’accueil des migrants, le réalisateur dresse un parallèle pas toujours convaincant, l’Europe du XXIe siècle n’ayant pas d’intention génocidaire, mais la sincérité du propos emporte finalement le spectateur. Cette adhésion, notamment des plus jeunes, est facilitée par la qualité du dessin et de l’animation fluide et pleine d’inventions graphiques portée par les voix françaises de Ludivine Sagnier et Sara Giraudeau.

La famille Frank se fait discrète car elle est en route vers la cachette alors que patrouille un groupe de soldats allemands. Ils apparaissent tels des spectres dans le film, tous pareils, déshumanisés comme sortis de l’enfer.

La bande annonce du film

Le journal d’Anne Frank en BD

Sur le site de BDGest, on ne trouve que trois versions dessinées du Journal d’Anne Frank disponibles en français aux qualités très différentes.

La première publiée par les Editions Calmann-Lévy en 2017 est l’œuvre des auteurs de Où est Anne Frank ? Le journal est respecté scrupuleusement et on y trouve toute l’inventivité visuelle des auteurs. C’est gracieux et poignant.

Anne Frank, une biographie dessinée et scénarisée par Ernie Colon, Sid Jacobson et traduit par Paul Simon Bouffartigue et publiée par les Editions Belin. Cette version respecte elle aussi le texte établit par Otto Frank dans un style épuré proche de la ligne claire.

Le dernier album – le plus intéressant – est publié par les Editions Delcourt avec Antoine Ozanam au scénario et Nadji au dessin. Tout en respectant le texte d’origine, ce roman graphique s’attache à décrire ce qui traverse l’esprit de la jeune fille. Il nous emmène dans ses pensées, ses doutes, ses peurs. Le dessin et le choix des couleurs loin d’un souci ultraréaliste ajoutent à la puissance du récit imaginé par Ozanam.

On pourrait ajouter un quatrième opus car le Journal a été adapté plusieurs fois en manga. Les Japonais qui connaissent mal l’histoire de l’Europe durant la dernière Guerre voient dans ce récit un parallèle avec le drame des bombardements atomiques en 1945.