Petit pays, un récit intense pour décrire l’horreur de la guerre civile burundaise et du génocide des Tutsis au Rwanda
Le pays est petit. Le drame est immense. Au cœur de l’Afrique se nouent les haines raciales, la violence la plus brute et la vie d’un enfant, Gaby, à l’orée de l’adolescence. La bande dessinée Petit pays, de Marzena Sowa et Sylvain Savoia est tirée du roman de Gaël Faye, Goncourt des lycéens 2016, inspiré de sa propre enfance.
Fils d’un expatrié belge et d’une mère rwandaise tutsie, Gaby vit dans une belle maison au fond d’une impasse. Ses journées sont ballottées entre l’école et les virées avec ses amis, en particulier pour attraper des mangues chez les voisins à leur insu. Les épisodes sont savoureux (p. 32 et p. 48).
Le dessinateur Sylvain Savoia a su capter les couleurs et les lumières du Burundi. Son trait agréable, presque classique, mêle la naïveté de l’enfance à la dramaturgie de cette séquence. Nous pouvons aussi saluer le travail d’adaptation de la scénariste Marzena Sowa. Elle a construit un récit qui renvoie d’abord à la marge les tensions avant que celles-ci n’atteignent véritablement Gaby, sa famille et ses amis. Par le truchement de sa mère, le dévoilement de l’horreur (p. 84, p. 95) finit par arriver. On le pressentait, on l’attendait, tout en le redoutant. Le génocide rwandais, dont le triste anniversaire (30 ans) coïncide avec la parution de cet album, ne nous est pas épargné et il vient fracturer les vies des jeunes protagonistes et des parents du héros.
Marzena Sowa a ainsi enchâssé la vie quotidienne d’un enfant à deux trames historiques qui la surplombent. D’une part la colonisation et ses suites, d’autre part les relations ethniques internes au Rwanda et au Burundi qui la précèdent, mais qui ont été instrumentalisées par le colonisateur allemand puis belge. L’apport historique est bien là, dans ce jeu narratif. Le passé s’immisce à travers le décor des villas sécurisées, d’une piscine ou de figures d’expatriées, anciens coloniaux attachés à un ordre ethnoculturel racialiste sinon paternaliste.
Le récit commence par une comparaison physique, les Hutus sont petits avec un gros nez, les Tutsis sont élancés avec un nez fin. L’explication du père de Gaby est simple : deux peuples qui ont le même pays, le même Dieu, la même langue, mais pas le même nez. Voilà pourquoi ils se feraient la guerre. Et voilà comment on résume les tensions pluriséculaires entre des éleveurs (Tutsis) et des agriculteurs (Hutus) qui leur étaient politiquement soumis, avant et pendant la colonisation. Les causes immédiates (les oppositions politiques exacerbées et l’assassinat des présidents rwandais et burundais, le 6 avril 1994) ne sont pas oubliées et c’est alors que l’histoire bascule. Le génocide, visiblement préparé, éclate au Rwanda (7 avril-17 juillet 1994). Au Burundi, la situation se dégrade jusqu’à basculer à son tour dans la guerre civile.
Le récit n’est jamais unilatéral. Il n’est pas non plus celui d’un procureur. Les responsabilités du génocide sont partagées. Le rôle de Radio des Mille Collines (Hutu) dans la propagation de la haine raciste, bien documenté, est incidemment évoqué (p. 65). Au massacre ignoble des Tutsis par les Hutus au Rwanda répondent le lynchage et les exactions des Tutsis sur les Hutus au Burundi. En outre, cette bande dessinée a une valeur didactique indéniable, celle de montrer que le racisme n’a pas de couleur et que les stéréotypes raciaux sont aussi universels que dangereux (ceux de Jacques, l’ex-colonial, p.22, ceux des soldats hutus p. 65-67).
Et dans ce drame si justement restitué, une lueur (p. 90), une voie possible pour s’en sortir, se construire, la bibliothèque de la voisine de la famille, Madame Economopoulos, havre de sérénité. Le contraste est saisissant entre ce garçon recroquevillé dans son lit, éclairé à la lampe torche, un livre entre les mains, et les détonations des armes qui déchirent le silence de la nuit. C’est dans les récits d’aventures que Gaby trouve un refuge et un moyen d’échapper à l’horreur.
Petit pays. Marzena Sowa (scénario). Sylvain Savoia (dessin et couleurs). Dupuis. 128 pages. 26 euros.
Les onze premières planches :