Pour l’Empire, une légion romaine fantasmée aux confins du monde connu
Le triptyque Pour l’Empire, de Merwan et Bastien Vivès, n’est pas à proprement parlé un récit sur l’empire romain. Toutefois, les nombreuses allusions et l’apparence vestimentaire des personnages ne laissent aucun doute sur l’inspiration des auteurs. En route pour les nouveaux mondes avec l’escouade de légionnaires du capitaine Glorim Cortis !
Cette chronique est la septième d’une série de dix sur les bandes dessinées dont l’action se situe pendant l’Antiquité romaine. Elle s’inscrit dans les événements organisés en 2022 pour les dix ans du Muséoparc Alésia. Elle est publiée sur et sur
L’Empire est maître de toutes les terres connues. Mais cela ne lui suffit pas. La soif inextinguible de conquêtes de l’Empereur le pousse à monter une expédition pour explorer l’inconnu. A l’aide de cartes anciennes, un petit groupe de combattants a pour mission de s’enfoncer toujours plus loin vers l’Est – à la manière d’Alexandre le Grand, modèle du conquérant pour les Romains ? – pour étendre le territoire impérial. Aucun nom célèbre n’est cité par Merwan et Vivès. Ni Auguste ni Trajan, l’Empereur de la bande dessinée, chef craint et respecté, quasiment divinisé, aurait pourtant très bien pu s’inscrire dans la lignée des Julio-Claudiens, des Flaviens ou des Antonins. La gestion d’un ensemble territorial très étendu est en effet au cœur de la réflexion de l’Empereur de la BD, comme elle le fut pour tous les successeurs d’Auguste, grâce à la longue période de Pax Romana.
Merwan et Vivès brouillent les pistes en utilisant des grades militaires modernes (capitaine, lieutenant, caporal), mais les uniformes ne trompent pas. Les soldats de Pour l’Empire portent galea (casque), pilum (javelot), lorica (armure de plaque de fer), tunica (tunique), scutum (bouclier), caligae (sandales) comme les légionnaires romains. La discipline de fer, l’organisation irréprochable, la confiance dans le chef, l’efficacité militaire, tout fait également penser à l’extraordinaire machine de guerre romaine. D’ailleurs, dans un premier temps, rien ne résiste au petit groupe de soldats commandé par Glorim Cortis, d’autant moins que c’est la crème des troupes impériales qui a été choisie pour s’enfoncer en territoire inconnu. Les légionnaires sont accompagnés de deux speculatores (deux éclaireurs) et d’un archer particulièrement adroit. Les premiers ont le crâne curieusement recouvert d’une peau de bête, alors que le second n’est pas originaire d’Orient (Thrace, Syrie, Parthie, Palestine, etc) comme les archers, auxiliaires de l’armée romaine, le sont la plupart du temps. Pour l’Empire flirte avec la réalité pour donner plus de chair à son intrigue.
A l’instar des expéditions romaines en Afrique subsaharienne à partir du Ier siècle ap. JC, l’escouade de Glorim Cortis va de surprise en surprise, découvrant au fil des jours les inexactitudes de cartes peu fiables à l’usage. L’inquiétude qui grandit, l’ennui de soldats qui ne combattent pas, les épreuves liées à la topographie des lieux (désert, forêts inextricables, marais) sont très précisément décrits, donnant au récit une atmosphère oppressante bienvenue. D’autant plus que les dangers ne manquent pas. Telle cette tribu d’Amazones qui met à mal la puissance de feu de l’escouade en optant en retour pour une technique de guérilla fort efficace. Ce peuple de femmes guerrières, figure de la mythologie grecque (elles apparaissent dans la littérature avec l’Illiade, au VIIIe siècle av. JC), est une croyance encore très vivace à l’époque romaine. Merwan et Vivès s’en emparent pour dresser devant ses personnages une difficulté supplémentaire, tout en ancrant un peu plus son récit dans la société romaine.
A l’issue de son service, le légionnaire reçoit un lopin de terre (missio agraria), un bonus en nature ajouté à sa retraite qui elle est en espèce sonnante et trébuchante. Dans Pour l’Empire, la récompense est à la hauteur des risques encourus. Ce n’est rien moins qu’un poste de gouverneur d’une partie des nouvelles régions conquises qui est promis aux soldats de l’escouade. Seule la lecture de l’intégralité des trois albums révèlera si la mission d’exploration des légionnaires a été remplie. Cette lecture permettra également d’apprécier la narration, les dialogues et le dessin de Merwan et Vivès ainsi que les couleurs très inspirés de Sandra Desmazières, au fil d’un triptyque qui a déjà un parfum de classique.
Pour l’Empire T1. Merwan et Bastien Vivès (scénario et dessin). Sandra Desmazières (couleurs). Dargaud. 55 pages. 13 euros.
Pour l’Empire T2. Merwan et Bastien Vivès (scénario et dessin). Sandra Desmazières (couleurs). Dargaud. 55 pages. 13 euros.
Pour l’Empire T3. Merwan et Bastien Vivès (scénario et dessin). Sandra Desmazières (couleurs). Dargaud. 55 pages. 13 euros.
Les dix premières planches :