Les émouvantes retrouvailles de Tintin et Tchang au Musée des Arts asiatiques à Nice
Dans le superbe bâtiment de l’architecte japonais Kenzo Tange qui invite naturellement au dépaysement, l’exposition de ce premier semestre 2024 embarque le visiteur pour un voyage dans deux albums de Tintin : Le Lotus bleu et Tintin au Tibet. Les liens entre Hergé et Tchang, et par extension entre Tintin et son ami chinois y sont magnifiés par les objets du Musée des Arts asiatiques de Nice.
Le parcours commence par le blanc de la couverture de Tintin au Tibet (1960), ce blanc immaculé de la neige des sommets, uniquement bouleversé par les traces du yéti. Planches originales, documentation et essais de calligraphie plongent immédiatement le visiteur au cœur de la création de Hergé. L’exposition bénéficie en effet du prêt des collections du musée Hergé de Louvain-la-Neuve en Belgique, partenaire du projet. Des originaux donc, mais aussi des reproductions très grand format, sur des murs entiers, de cases de la BD, mises en regard des collections du musée des arts asiatiques. Ainsi se déploient les cymbales, tambours et trompes au son grave utilisés par les moines tibétains lors de la procession à la fin de l’album.
Cette première salle rappelle l’opiniâtreté de Tintin à vouloir sauver Tchang, intimement persuadé que ce dernier est vivant, révélant au fil des pages une amitié indéfectible. La force de ce lien trouve son origine dans la rencontre, dans la vraie vie, entre Hergé et Tchang Tchong-jen, étudiant des beaux-arts. C’est ce que dévoile la deuxième partie de l’exposition.
Elle est joyeuse cette photographie de Hergé et Tchang Tchong-jen, 26 ans chacun, prise en 1934 à Bruxelles sur le perron du dessinateur. Elle est émouvante également, car elle fait face, de l’autre côté de la salle, à la scène des retrouvailles entre les deux amis en 1981 à l’aéroport de Bruxelles au milieu de la cohue des journalistes. 47 ans séparent les deux instants et l’accolade pleine de retenue des deux hommes dans la force de l’âge témoigne du profond respect que chacun porte à l’autre.
La rencontre du jeune Hergé avec ce jeune étudiant chinois inscrit à l’école des beaux-arts de Bruxelles est à l’origine d’une collaboration artistique unique dans l’œuvre de l’artiste. Durant quelques mois, au fil de rencontres hebdomadaires, Tchang Tchong-jen va faire découvrir la Chine à Hergé qui est en pleine élaboration du Lotus bleu. Dans leurs échanges, ils aborderont aussi bien la civilisation et les traditions ancestrales, que les arts ou encore la géopolitique du moment. A n’en pas douter, c’est cette collaboration qui rend l’aventure du jeune reporter en Chine aussi réaliste. Hergé demandera d’ailleurs à Tchang Tchong-jen d’écrire tous les idéogrammes chinois de l’album. C’est une belle idée de l’exposition de les mettre en lumière avec leurs traductions. C’est tout simplement passionnant, car le visiteur prend conscience qu’il y en a à chaque page et que Hergé a eu le souci de dessiner au plus juste la réalité du pays. Les nombreux croquis originaux présentés témoignent d’ailleurs de ses recherches. Et le mur des illustrations de couverture du Petit Vingtième, revue qui diffuse les planches de l’album en 1934 et 1935, est édifiant en proposant une sorte de résumé instantané et visuel de l’histoire.
Et c’est alors que l’on comprend que fiction et réalité se mêlent… Tintin qui rencontre Tchang dans son aventure en Chine et qui envers et contre tout veut le sauver au Tibet, c’est Hergé qui veut retrouver son ami Tchang Tchong-jen complètement perdu de vue… jusqu’à leurs retrouvailles en 1981 au cours desquelles le sculpteur chinois fera le portrait de son ami dessinateur belge… Comme si le temps était venu de boucler la boucle de leur incroyable histoire (Hergé meurt deux ans plus tard) !
Mais l’exposition ne s’arrête pas là ! Il faut ensuite se rendre à l’espace culturel Lympia, toujours à Nice, pour découvrir le deuxième volet de « Tintin, Hergé et Tchang ». Vous ne pourrez pas rater le lieu, car à l’extérieur, une reproduction de plusieurs mètres de haut de la fusée de On a marché sur la Lune accueille les visiteurs ! Ici se déploie le rapport de Hergé avec l’art, à la fois en tant qu’amateur, mais en tant qu’artiste lui-même (et oui, vous découvrirez qu’il n’a pas fait que de la BD !). Au fil des salles, la biographie de Hergé se déploie et parmi les superbes planches originales, de nombreuses citations jalonnent le parcours de visite, comme celle-ci particulièrement judicieuse : « Si d’autres reprenaient Tintin, ils le feraient peut-être mieux, peut-être moins bien. Une chose est certaine : ils le feraient autrement et, du coup, ça ne serait plus Tintin ». CQFD !
Bref, vous l’aurez compris, cette exposition est passionnante ! Elle révèle avec émotion une belle histoire d’amitié et les coulisses de la création artistique d’une œuvre emblématique du XXe siècle… Et remplit admirablement sa mission : donner envie aux visiteurs de replonger dans les albums de Tintin… Une envie que vous pourrez assouvir immédiatement à la boutique, comme l’a fait votre humble serviteur !
Pour aller plus loin
Exposition « Tintin, Hergé et Tchang »
Musée des arts asiatiques de Nice
A voir jusqu’au 30 juin 2024 (entrée gratuite)
Catalogue de l’exposition aux Editions Moulinsart ; 18,95 €