Tomahawk, chasse à l’ours et chasse à l’homme pendant la Guerre de Sept ans
Avec Tomahawk, publié par les Edition Daniel Maghen, Patrick Prugne retourne, pour notre plus grand plaisir, au XVIIIe siècle, au milieu des coureurs des bois, des habits rouges et tribus indiennes. Si le scénario de son dernier album nous avait laissé un goût d’inachevé, celui-là est remarquablement mené, plein de surprises, peuplé de personnages puissants et intrigants, soutenu par une maitrise graphique étourdissante.
La Guerre de Sept ans qui met au prise Français et Anglais a commencé en 1756. Les origines du conflit se trouvent dans la rivalité anglo-française en Amérique du Nord mais tous les continents et de nombreuses nations vont être entrainées dans la guerre. En Europe, la Prusse commence sa montée en puissance sous le règne de Frédéric II. Allié à l’Angleterre, il combat les armées autrichiennes, russes et suédoises. Les flottes anglaises et françaises s’affrontent en Méditerranée et près des côtes de l’Atlantique, des combats vont avoir lieu aux Philippines et au Brésil. Le royaume de France manque de perdre ses comptoirs indiens et les offensives anglaises en Amérique du Nord mettent fin à la présence française au Canada dans une grande partie de l’Amérique du Nord et des Antilles. Considérée comme la première guerre mondiale, la Guerre de Sept ans marque la fin de l’influence française et l’affirmation comme grandes puissances de l’Angleterre et de la Prusse.
Lors des combats qui ont eu lieu en Amérique du Nord les tribus indiennes ont souvent joué un rôle important par les alliances qu’elles ont pu nouer, tantôt avec les Français tantôt avec les Anglais. Au final, elles finiront par le payer cher. Si les Amérindiens n’ont rien du bon sauvage, la puissance de feu et la rage colonisatrice auront raison de leur liberté et de leur existence.
L’intrigue de Tomahawk se situe deux ans après le début de la guerre. Les Français résistent encore bien aux poussés des Anglais, leurs positions sont bien assurées. Les forts qui les protègent et leurs alliés indiens forment de solides remparts. Plutôt que de raconter frontalement la guerre, Patrick Prugne nous emmène sur un chemin de traverse au côté de Jean Malavoy, un milicien attaché à la garnison de Fort Carillon, marié à une indienne et ami du prêtre du fort qui le couvre quand il préfère chasser plutôt que de faire l’exercice devant le commandant. Car son esprit est possédé par une créature fabuleuse : un ours gigantesque qui a tué sa mère et qu’il retrouve dans cette forêt. Jean n’a qu’une idée en tête : tuer la bête.
Ses sorties sont risquées. Les corps d’élite de l’armée anglaise rodent dans les bois en massacrant tout ce qui ressemble à un Français. Il peut également tomber sur une patrouille qui le ramenerait manu militari au fort pour y être jugé pour désertion. C’est d’ailleurs ce qui lui arrive. Pris entre deux feux, Malavoy ne peut rien faire quand les Habits rouges massacrent les hommes lancés à sa recherche. Il réussit toutefois à en sauver un. Une double course poursuite s’engage alors : Malavoy, accompagné par le soldat français qu’il a sauvé, court après son ours dont il a repéré les traces et les Anglais, alliés à des Indiens, les poursuivent sans relâche pour leur faire la peau. Tour à tour, les chasseurs se feront chassés. La tension et la peur, installées de main de maitre par Patrick Prugne, sont d’autant plus prenantes que le décor dans lequel évolue les personnages est merveilleux. C’est une sorte de bois enchanté. La nature n’est pas seulement un décor, c’est aussi un personnage à part entière de l’histoire, et de l’œuvre du dessinateur. Ce personnage omniprésent se fait protecteur ou menaçant, enchanteur ou maléfique. Il a une vie propre à côté des hommes qui s’entretuent.
On peut avoir le sentiment que le dessin, par son élégance et sa beauté, fait souvent passer l’histoire au second plan tant on reste ébloui par les couleurs (la gamme de vert employée par le dessinateur est incroyable), le souci du détail ou les ambiances lumineuses de sous-bois. Patrick Prugne semble connaitre chaque brin d’herbe, chaque feuille, chaque oiseau par son petit nom. Il les a observés, les a dessinés et redessinés pour les rendre aussi présents. Omniprésente, la nature conduit littéralement le récit, elle guide les pas du chasseur, les dissimule ou les protège. Sa neutralité n’est qu’apparence. Les Européens comme les indiens qui pourtant la connaissent, ne doivent pas s’y sentir à l’abri. Sans rien dévoiler de la fin, on peut affirmer que si l’homme lui joue trop de mauvais tours, elle finira par se retourner contre lui. Le paradis perdu se transforme alors en enfer.
Tomahawk est incontestablement un magnifique album historique par l’évocation rigoureuse du contexte de la rivalité franco-anglaise, la vie dans ces colonies lointaines, l’alliance avec les indiens, les costumes ou les armes. C’est aussi un belle fable sur les enjeux de notre monde.
Tomahawk. Patrick Prugne (scénario et dessin). Editions Daniel Maghen. 72 pages. 19,50 euros.
Les 17 premières planches :