A fake story, quand le canular d’Orson Welles devient fait divers sanglant
En droite ligne du phénomène récent des fake news, Jean-Denis Pendanx et Laurent Galandon imaginent avec A Fake story un prolongement dramatique à la célèbre émission radiophonique menée par Orson Welles en 1938. Ou comment une adaptation littéraire au parfum de canular échappe à son créateur pour être au cœur d’un fait divers sanglant.
Si son nom est bien connu aujourd’hui notamment grâce à ses films, Orson Welles est d’abord la voix de l’émission de radio Mercury Theater on the Air sur CBS dans laquelle il met en scène des œuvres connues de la littérature : Dracula, L’île au trésor, Le comte de Monte Cristo… Dans la soirée du 31 octobre 1938, le roman de H.G. Wells, La guerre des mondes est interprété par Orson Welles sur les ondes. Avec un réalisme terrifiant, Welles réussit un coup de maître en faisant croire à une partie de la population américaine qu’une invasion extraterrestre est en cours dans l’est du pays. Cette fausse information est reprise et montée en aiguille par les journaux pour discréditer la radio (accusée de propager la violence et de porter atteinte aux bonnes mœurs) dont la concurrence inquiète les patrons de presse, surtout depuis la crise de 1929 qui les a plongés dans un gouffre sans fond. La radio reste tout de même un médium encore nouveau dans les foyers américains, tous n’y ont pas accès. Cependant, à Grovers Mill, plusieurs familles sont dotés d’un poste et c’est là-bas que l’invasion est supposée avoir lieu.
Le réalisme donné par Welles est tel que quelques jours après la première émission, la nouvelle chaîne radiophonique apprend qu’à la suite de la diffusion de l’adaptation de La Guerre des Mondes, un homme s’est suicidé après avoir tué sa femme et tiré sur son fils. CBS, soucieuse de se dédouaner de cette sombre histoire, dépêche sur place Douglas Burroughs, un de ses anciens journalistes, pour enquêter. Burroughs jouit d’une certaine réputation. Il a longtemps été très lu dans la presse avant d’arrêter sa carrière de journaliste pour se lancer dans l’écriture d’un roman. Atteint du syndrome de la page blanche, il accepte de mener l’enquête pour CBS le temps de retrouver l’inspiration.
Une fois arrivé sur place, Burroughs se rend au chevet du garçon blessé par son père pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé ce soir là. Il est accompagné du shérif du comté dont l’enquête stagne. Après avoir interrogé le jeune garçon, avoir fouillé la maison familiale, avoir posé quelques questions aux voisins et amis de la famille et avoir été sur la scène de crime, Burroughs commence à voir plus clair dans ce qu’il s’est passé dans cette petite ville de l’est américain. S’installe alors un véritable thriller dans lequel le racisme joue un rôle très important.
Outre la racisme encore prégnant dans les États-Unis des années 1930, cette histoire reflète la puissance des fake news sur l’humain. L’œuvre de H.G. Wells a beau être connue à l’époque, adaptée dans de nombreuses bandes dessinées pour enfants, sa lecture radiophonique plus vraie que nature par des comédiens traumatise une partie du public, réellement convaincue que les Martiens ont envahi la Terre. Certes, les auditeurs ne sont pas des millions et aucune hystérie collective n’est constatée, contrairement à ce que la presse et Orson Welles lui-même font croire. Pourtant ces quelques milliers (?) de personnes alimentent une rumeur qui ne cesse de gonfler. Laurent Galandon et Jean-Denis Pendanx traduisent bien le mécanisme de l’acceptation d’une fausse nouvelle par une population. Mais les deux auteurs ajoutent une couche supplémentaire à la réflexion en imaginant que l’émission d’Orson Welles est le prétexte à un tragique fait divers. Avec une belle écriture scénaristique, ils entremêlent les fausses pistes pour berner les lecteurs (qui devraient commencer par se demander si Douglas Burroughs a réellement existé). On peut voir A Fake story comme un brillant exercice grandeur nature de détection des « faits alternatifs », euphémisme hallucinant employé en 2017 par Kellyanne Conway, une conseillère de Donald Trump. A une époque où ce genre de pensée pullule, l’album, très fin et intelligent, est le bienvenu.
A Fake Story. Laurent Galandon (scénario). Jean-Denis Pendanx (dessin). Futuropolis. 96 pages. 17 euros.
Les six premières planches :