Charlie en a fini avec la Grande Guerre
Avec le tome 10 de La Grande Guerre de Charlie s’achève l’épopée de Charlie Bourne, Tommy pendant toute la Première Guerre mondiale. Pat Mills et Joe Colquhoun concluent avec émotion cette saga au long cours où le soldat est parfois un héros mais toujours une victime.
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Le pauvre Charlie Bourne n’a vraiment pas eu de chance. Pat Mills et Joe Colquhoun l’ont en effet condamné à vivre la totalité de la Grande Guerre en le désignant volontaire en 1916, alors qu’il n’était âgé que de 16 ans, pour participer à la grande boucherie en cours. Mais en fin de compte, le jeune Charlie Bourne a eu beaucoup de chance. Malgré les risques insensés qu’il a parfois pris, en obéissant à des ordres trop souvent absurdes, il n’a pas ajouté son nom au fronton des monuments aux morts et n’a même subi aucune blessure handicapante. Pourtant, une fois de plus, le tome 10 de la Grande Guerre de Charlie n’aura pas épargné un personnage à peine sorti de l’adolescence. Courant de l’été 1918 à celui de 1919, cet ultime volume fait en effet traverser à son héros le quotidien brutal d’un camp de prisonnier, l’épidémie dévastatrice de la grippe espagnole, l’angoisse de ne pas se faire tuer le 11 novembre 1918, l’engagement sur le front russe contre les bolchéviques, pour enfin rentrer chez lui et retrouver sa femme et son fils après cinq années de cauchemar. Avec le même talent montré par les auteurs depuis le premier volume, la Première Guerre mondiale est représentée comme un documentaire sur la vie d’un soldat du rang, passé caporal vers la fin du conflit. Ici, point de stratégie, de plans d’attaque et de discussions d’état-major. Le lecteur est au plus près des combats, dans la position du Tommy qu’on utilise comme un pion au gré des offensives. Ni plus ni moins que de la chair à canon.
Dans ce 10e tome, Pat Mills dissèque une fois de plus l’engagement britannique pendant le conflit mondial en abordant, avec une grande précision, des facettes méconnues de la Grande Guerre. Le travail des prisonniers de guerre dans des mines de charbon allemandes, l’impact de la grippe espagnole dans les camps d’internement militaires, le racisme envers les soldats noirs américains, l’affrontement de trains blindés pendant la guerre civile entre les russes blancs et les soviétiques. Avec à chaque fois des enjeux situés au niveau de l’individu, induisant cas de conscience, héroïsme, traitrises, sacrifices, lâchetés. Toutefois, en lisant la Grande Guerre de Charlie, difficile de distinguer les bons des méchants. Dans chaque camp les braves types côtoient les pires ordures et la cause des uns n’est pas plus respectable que celle des autres. Finalement, même si c’est bien l’Allemagne qui capitule en novembre 1918, il n’y a pas vraiment de vainqueurs à l’issue du conflit tant les souffrances ont été immenses pour tous les belligérants. Ou plutôt si, car l’argent généré par cette militarisation à outrance a profité à un certaine nombre de fortunes déjà bien fournies avant-guerre. Que Charlie Bourne soit par bonheur encore vivant à l’issue de la série est un soulagement pour le lecteur. Mais la grande précarité de bon nombre de combattants revenus à la vie civile, ainsi que l’espoir illusoire d’avoir vécu la « der des ders » concluent avec beaucoup d’amertume la série. Pas de doute, Pat Mills aura mis jusqu’au bout l’accent sur le réalisme.
La Grande Guerre de Charlie T.10. Pat Mills (scénario). Joe Colquhoun (dessin). Delirium. 112 pages. 22 €
Les 5 premières planches :