Cléopâtre dans la bande dessinée francophone 2/2 Un nez, une famille, un rang et quelques bris de vases
Après avoir passé en revue le corpus des bandes dessinées qui parlent de Cléopâtre, la seconde partie du dossier sur la reine d’Égypte en BD s’attarde sur les principales caractéristiques de la souveraine traitées par le 9e art : son nez, sa famille, l’épisode du tapis, les bateaux et les vases brisés.
Lire la première partie du dossier ICI
Le nez de Cléopâtre
À la neuvième case de la planche 44 d’Astérix et Cléopâtre, la voix off (celle de René Goscinny) nous annonce : « Nez qu’elle avait d’ailleurs fort joli, si nous ne vous l’avons pas déjà dit ». Il apparait qu’au-delà de ce gag plus que récurrent de Goscinny, il est intéressant d’aller voir dans l’Histoire puis dans la BD ce qu’il en est ce fameux appendice nasal de la dernière reine d’Égypte.
Les sources littéraires, comme Les vies parallèles de Plutarque, s’intéressent essentiellement à l’évènementiel et sont en général avares de détails sur la physionomie des hommes et des femmes célèbres. Pour connaître le profil de Cléopâtre, nous avons un petit nombre d’indications grâce la statuaire, la peinture et la numismatique. Il en ressort que la reine d’Égypte avait sans doute un nez assez fort et légèrement busqué, si l’on en croit l’image de synthèse mise au point par l’Université de Cambridge.
En faisant un rapide inventaire des nez de Cléopâtre dans les différents BD sélectionnées ici, cela donne le tableau ci-dessous. À noter que l’effet comique recherché dans Astérix et Cléopâtre avec un nez quasi horizontal et d’assez grande dimension ne se retrouve que dans L’Extraordinaire aventure d’Alcibiade Didascaux et dans Cléo, la petite pharaonne.
On remarquera que dans Cléopâtre sorti en 2019 chez Glénat/Fayard, le nez de Cléopâtre est sensiblement similaire à l’image de synthèse de l’Université de Cambridge. Pas étonnant, ils datent tous les deux de la même année. À noter également comment évolue le dessin d’Uderzo entre Astérix et Cléopâtre (1965) et Le fils d’Astérix (1983) : le nez de la reine d’Égypte s’est sérieusement raccourci. À croire que la plaisanterie sur ce sujet tenait vraiment à la culture classique de Goscinny. Il paraît évident que celui-ci faisait implicitement référence à la fameuse phrase des Pensées (1670) du philosophe français Blaise Pascal (1623-1662) :
Maintenant que nous savons à peu près surement que la reine d’Égypte avait un nez un peu fort, passons à présent à la façon dont les BD présentent sa famille : les Lagides.
La famille de Cléopâtre
Dans la famille lagide, je voudrais le père : Ptolémée XII Aulète ! Ce monarque était ainsi appelé car selon la légende, il aimait jouer de la flûte (aulos en grec). Les BD ne le ménagent pas, le montrant comme un ivrogne et un caractériel sujet à des crises (Ô Alexandrie p.7 et L’Égyptienne p.12). Il fait ainsi le désespoir de sa fille Cléopâtre, en particulier tout au long des deux albums de Cléo, la petite pharaonne.
Et toujours dans la famille lagide, je voudrais la fratrie : une sœur ainée, Bérénice, une sœur cadette Arsinoë, et deux petits frères, Ptolémée XIII et XIV. Et plutôt que de parler de fratrie, on pourrait plutôt utiliser ici le terme « nœud de vipères », ainsi qu’on peut le constater au fil des différents albums. Il y a d’abord Bérénice, qui ne cesse d’être moquée dans les deux albums de Cléo, la petite pharaonne pour se révéler être exécutée (ou assassinée) par son père reprenant le pouvoir après trois ans d’exil à Rome. Puis, après le décès de Ptolémée XII Aulète, le premier petit frère Ptolémée XIII et Cléopâtre seront déclarés cosouverains. Mais rapidement, les choses se gâtent entre eux : dès Ô Alexandrie les BD nous montrent comment se manifeste cette tension constante, qui ne s’achèvera que par la mort de Ptolémée XIII, remplacé comme cosouverain par le second petit frère, Ptolémée XIV. Arsinoë, quant à elle complote contre Cléopâtre quand celle-ci exerce le pouvoir seule après l’assassinat de César. Cette petite sœur se rend complice du meurtre de Ptolémée XIV et le paiera de sa vie.
Et puis, il y a ses enfants ! Bien sûr, on a toujours privilégié Césarion, le fils que la reine d’Égypte a eu de César (voir Le fils d’Astérix (1983), Cléopâtre (2004) et L’ombre de Sérapis (2012)). Mais il y a aussi ceux qu’elle a eus avec Marc Antoine et à qui celui-ci a donné d’importantes concessions territoriales. Ceci temporairement, car après la défaite d’Actium et les suicides de Marc Antoine et de Cléopâtre, ces enfants ont été élevés à Rome. La seule chose que nous sachions est que Cléopâtre-Séléné a ensuite épousé Juba, roi de Numidie.
Le tapis
Depuis l’Antiquité, les œuvres retraçant la vie de Cléopâtre se doivent d’évoquer le fameux épisode du tapis, dans lequel la reine d’Égypte se dissimule et se fait transporter devant César. À la page 30 du tome 1 de Cléo, la petite pharaonne, les auteurs imaginent qu’une devineresse prédit cette aventure à la petite Cléopâtre, qui par précaution se dépêche d’aller acquérir un tapis à sa convenance ! Curieusement, les auteurs de Cléopâtre, la reine fatale choisissent d’ignorer le tapis pour la première rencontre de Cléopâtre et César (p.55 du tome 1) et le réservent comme moyen pour la reine d’Égypte d’échapper aux assassins de César (p.20-21 du tome 3). Mais dans le Cléopâtre de 2019 chez Glénat/Fayard p.10-11 et le manga Cléopâtre de 2020 chez Pika Edition p.19-20, le mythe reprend ses droits et le tapis revient !
Les bateaux de Cléopâtre
Comme ses ancêtres lagides, Cléopâtre aime les bateaux somptueux. Voyons comment les BD nous décrivent ces navires. Le premier est un palais (ou un temple) flottant, que nous voyons apparaître à la page 12 de Ô Alexandrie et qui sert à transporter Cléopâtre et Ptolémée XIII. Très semblable à lui mais moins surchargé, est l’embarcation qui permet à la jeune Cléopâtre et sa fratrie de visiter l’Égypte (Cléo, la petite pharaonne T1 p.26). Ces bateaux naviguent donc tous les deux sur le Nil. Mais la reine d’Égypte est amenée à prendre la mer et elle doit disposer d’embarcation qui doivent permettre les manifestations de prestige de sa diplomatie. C’est le cas en 41 av. JC où elle doit aller à Tarse (sud de la Turquie actuelle) rencontrer (et séduire) Marc Antoine, qui, avec Octave, vient d’écraser en Grèce Brutus et Cassius les assassins de César. Cet épisode, décrit en détail dans le film de Joseph Mankiewicz, prend donc sa place sur le bateau de Cléopâtre, qui sert de cadre à un banquet mémorable, ce qui est décrit aux p.24-27 de Cléopâtre de 2019 et aux p.3-6 de Cléopâtre, la reine fatale de 2021.
Les vases brisés par Cléopâtre en colère
Autre héritage comique d’Astérix et Cléopâtre dès la première planche de l’album-culte : la reine mise en colère par César se défoule sur certains de ses vases qu’elle précipite par terre. Variante de la vaisselle cassée par la conjointe en colère ? Pure invention de Goscinny ? Toujours est-il que les auteurs de Cléopâtre, la reine fatale T1 p23 ont utilisé ce geste (on pourrait y voir un effet clin d’œil) pour montrer la colère d’un esclave amant de Cléopâtre, mais délaissé par celle-ci. À la page 41 du tome 2, ils ont rétabli la reine d’Egypte dans sa colère briseuse de vases, pour finalement lui permettre de la dépasser par la réflexion (nouveaux clins d’œil ?) à la page 45 du tome 4.
Passer à la postérité n’est pas donné à tout le monde. Cléopâtre, la dernière reine d’Égypte, aurait certainement aimé savoir qu’elle est toujours connue du plus grand nombre 2000 ans après sa mort. Mais peut-être aurait-elle brisé un vase supplémentaire en découvrant l’ensemble des éléments l’ayant fait entrer dans l’Histoire. Du moins à travers la bande dessinée.