Don Vega, une relecture vivifiante des origines du mythe de Zorro
Avec Don Vega, Pierre Alary propose une relecture des origines du mythe de Zorro. Ancrage dans des faits réels, coloration historique, souffle épique et romanesque, tous les ingrédients sont là pour découvrir ou redécouvrir avec délice la légende d’un personnage ou plutôt d’un mythe qui ne peut ni vieillir ni mourir. Un album agréable et entraînant qu’on aurait aimé voir développer sur plus de 86 planches.
À l’issue de la guerre américano-mexicaine (1846-1848), le Mexique perd la moitié de son territoire ce qui correspond aux États actuels de l’Arizona, du Colorado, de la Californie, du Nevada, du Nouveau-Mexique et de l’Utah. Les causes principales de cette guerre sont l’annexion de la République du Texas par les États-Unis en 1845 et la volonté étatsunienne d’acquérir les territoires de Californie et du Nouveau Mexique. La débâcle mexicaine est telle qu’elle signifie la perte totale de 55% de son territoire et renforce la doctrine de la « destinée manifeste » selon laquelle les États-Unis sont destinés à étendre leur influence et leur contrôle sur les territoires non conquis d’Amérique du Nord, vers le sud du pays et, de manière plus générale, sur tout l’hémisphère occidental. Ainsi, les États-Unis annexent des ports, des terres avec d’énormes richesses agricoles, minières mais aussi pétrolières, ce qui leur confère un ascendant stratégique et géopolitique mondial.
Pendant un certain temps, la Californie demeure un territoire sans réel gouvernement qui attire les convoitises de plusieurs nations (Etats-Unis, Royaume-Uni, France). Nombreux sont ceux qui tentent leur chance dans ce nouvel eldorado où les filons aurifères sont autant de chimères que d’opportunités réelles. Comme l’écrit Pierre Alary dans son « état des lieux » : « Un groupe de 50 signataires s’apprête à ratifier la constitution de la Californie, à Monterey. Mais la Californie n’accédera au statut d’État qu’en 1850. Durant ces quelques mois, la Californie est désignée comme une “république libre” : ni un État ni un territoire fédéral ; pas de législation, pas de corps judiciaire… Un petit foutoir sous administration militaire ». Et c’est dans ce contexte bancal et incertain que surgit une horde de vautours prêts à tout pour s’accaparer les immenses richesses de la Californie et s’assurer un destin radieux où l’or coule à flots : hommes de loi, banquiers, grands propriétaires, hommes de peu de foi et bandits en tout genre. Et bien évidemment, comme dans toute tyrannie ou tragédie, les opprimés, à savoir le peuple, les paysans ou peones sont les principales victimes de ces hommes sans foi ni loi. Et pour résister, ils ont besoin de croire en quelque chose ou plutôt en quelqu’un.
L’album débute à Madrid en 1848. Don Vega, héritier d’une riche famille californienne, apprend par missive le décès de ses parents dans un accident et se voit invité à rentrer au Mexique dans les plus brefs délais. Une fois arrivé en Californie, après avoir mis fin à sa formation académique, il découvre que l’ancien général Gomez s’est approprié sa propriété et tous ses biens. Ledit Gomez, secondé par un bras droit sans scrupule, règne d’une main de maître sur la région rachetant de gré ou de force tous les territoires afin de les revendre au prix fort. Exploités, victimes de maltraitance et de spoliation, les paysans tentent maladroitement de se rebeller, sans succès. Pourtant, une flamme grandit peu à peu, un espoir prend doucement forme et surgit à nouveau de croyances enracinées : leur salut viendra du Zorro. Les tentatives hasardeuses conduiront à de bien tristes sorts, la répression n’en sera que plus forte, mais le mythe si puissant a seulement besoin d’être incarné pour devenir milliers.
Créé en 1919 par Johnston McCulley, le personnage de Zorro n’a plus besoin d’être présenté tant il fait partie de l’imaginaire héroïque de plusieurs générations. Les adaptations télévisuelles * et cinématographiques ** ont grandement contribué à sa diffusion et à sa reconnaissance, tout comme les adaptations en dessins animés et les bandes dessinées, et son justicier masqué inspirera à son tour d’autres héros de la pop culture tel que Batman. Bien que nous n’ayons pas de confirmation officielle, la légende raconte que McCulley se serait inspiré de trois personnes : le justicier anglais le Mouron Rouge pendant la Révolution française, créé en 1903 par Emma Orczy ; Joaquín Murieta, bandit qui luttait en Californie, personnage mi-légendaire mi-réel qui fut porté aux nues par la littérature depuis Roberto Hyenne en 1897 jusqu’à Pablo Neruda en 1966 ; et enfin, William Lamport, irlandais qui aurait participé, du côté espagnol, aux batailles de Nördlingen (1634) et de Fontarabie en 1638 pendant la guerre de Trente ans (1618-1648). Suite à divers scandales, il est expulsé en Nouvelle Espagne et à la suite de nouvelles aventures rocambolesques, il devient le premier martyr de la libération mexicaine de l’Espagne, près de deux siècles avant l’indépendance effective du pays.
Pierre Alary confirme quant à lui que son Zorro s’inspire de Joaquín Murieta. À l’époque de la ruée vers l’or, où la Californie devient un État sans loi, nombreux sont les mexicains qui sont déplacés, privés de leur propriété, exploités dans les mines, victimes de violence, de vol et de racisme. Face à tant de mépris et d’exactions, ils décident d’obtenir par leurs propres moyens la justice qui leur était refusée. Joaquín Murieta devient alors un bandit pour se venger de la perte de ses biens matériels, du viol et de l’assassinat de son aimée Rosita. Né du désir de vengeance personnelle, il se mue en vengeur de tous les exploités et opprimés. La clameur populaire l’élève au rang de héros où il incarne les valeurs de l’homme latino-américain qui combat l’impérialisme étatsunien, l’hégémonie monarchique, mais aussi bourgeoise. Dans Don Vega, nous retrouvons plusieurs traits communs avec Joaquín Murieta, mais l’absence de prénom tout au long de la bande dessinée octroie une universalité au héros qui le rapproche indéniablement du mythe et du symbole. Tout un chacun peut revêtir l’habit du Zorro, puisque Zorro n’est pas un mais multiple.
Pierre Alary, qui vient du monde du dessin animé où il a été animateur sur plusieurs longs- métrages pour Disney, nous propose un album réussi ***. Le découpage est très visuel, très cinématographique ce qui dote l’album d’un réel dynamisme et d’un rythme agréable. Le trait est très élégant, précis et assure un moment fort plaisant où la lecture est aisée. Tout comme la gamme chromatique qui s’adapte parfaitement au souffle romanesque de l’histoire. Une mention toute particulière pour ces grandes cases qui sont un réel plaisir visuel et esthétique. Toutefois, du point de vue du scénario, bien que l’histoire fonctionne parfaitement et maintient le lecteur en haleine, on peut regretter la conclusion un peu rapide de l’album. Sans faire de révélations qui gâcheraient le plaisir du futur lecteur, le crescendo dramatique s’arrête trop brusquement et la résolution de l’histoire est trop précoce. D’autres péripéties, d’autres affrontements auraient permis de donner plus d’épaisseur au héros qui apparaît malgré tout un peu trop lisse et parfait. L’identification fonctionne, on retrouve son âme d’enfant et d’admirateur de Zorro, mais en étant frustré de ne pas avoir pu lutter à ses côtés un peu plus longtemps. En définitive, un bel album qui revisite les origines du plus célèbre justicier masqué latino-américain et qui laisse la possibilité à ce one-shot de devenir une série.
* : la plus célèbre mondialement est sans conteste Zorro, produite par Walt Disney et diffusée de 1957 à 1961, avec Guy Williams dans le rôle-titre.
** : pour ne citer que les plus récentes Le masque de Zorro, 1998, et La légende de Zorro, 2005.
*** : ces dernières années, Pierre Alary a signé la série Silas Corey (scénario de Fabien Nury chez Glénat), Sinbad (avec Christophe Arleston chez Soleil), Moby Dick (avec Olivier Jouvray chez Soleil) et les bandes dessinées en solo Mon traître et Retour à Killybegs (Rue de Sèvres).
Don Vega. Pierre Alary (scénario et dessin). Dargaud. 96 pages. 16,50 euros.
Les 10 premières planches :