Gloria Victis, la démesure des courses hippiques sous la Pax Romana
Le IIe siècle ap. JC marque l’apogée de la puissance de Rome et le triomphe de son mode de vie, qui séduit tous les peuples conquis. Parmi les us adoptés avec engouement par les anciens Barbares figurent les jeux du cirque – combats de gladiateurs et courses de chars. Inspirés par la carrière de Dioclès, meilleur aurige de tous les temps, Fernandez et Guerrero ont imaginé dans Gloria Victis la vie d’un autre aurige, Aelio Hermeros. Pour accomplir son destin, il doit affronter son pire ennemi, Victor, et son pire adversaire : lui-même. Il connaîtra, hélas ! Le prix de la défaite, titre de ce second volume.
Après avoir assisté, enfant, à la mort de son père Hermeros lors d’une course dans des arènes tarraconaises, Aelio s’était juré qu’il ne deviendrait jamais aurige. Mais que pèse le serment d’un esclave face à l’oracle des dieux et à la volonté farouche des mortels ? En sauvant la vie de l’hystérique Horacia et de son esclave Fabia, il n’imaginait pas devenir un familier de Caius Nigrinus, propriétaire d’une écurie hippique et fervent admirateur d’Hermeros. Après avoir accepté de devenir le palefrenier de Caius – ce qui lui vaut d’être affranchi -, Aelio croit maîtriser son destin. Certes, il s’éprend de Fabia puis cède au chantage sexuel d’Horacia, mais par-dessus tout, il communie avec l’âme de son père en murmurant à l’oreille des chevaux des vers appris avec lui dans les écuries. Devant sa stèle funéraire, déterminé, il répète à sa compagne qu’il ne sera jamais aurige… Comme un signe du destin, Caius Nigrinus rappelle Fuscus, une vieille gloire, pour conduire son char lors des prochains Jeux de Valentia.
Mais ce que Fabia et Caius désirent en vain par amour ou par admiration, Victor, un aurige ambitieux et cruel, va l’obtenir par la ruse : Aelio finit par conduire le char de Caius. Hélas ! Victor n’est pas animé des mêmes sentiments : depuis la mort de son père, survenue le même jour que celle d’Hermeros – et à cause de lui, pense-t-il -, il rêve de vengeance. Aidé et soutenu par Clodius, organisateur des Jeux de Valentia et lui-même propriétaire d’une écurie hippique, il concocte un plan machiavélique qui aboutit sans anicroche à la défaite d’Aelio dans l’arène, à la ruine de Caius qui a trop parié sur son invincible protégé et à un autre drame, encore plus terrible. Seul un gladiateur gaulois, fort et droit comme l’était son père, lui donne le courage de vivre pour préparer sa revanche.
Poursuivant leur œuvre de dépoussiérage des vieux clichés hérités des péplums hollywoodiens, Fernandez et Guerrero égrènent le parcours d’un aurige dans un cadre d’une grande rigueur historique. Des travaux récents de littérature et d’archéologie ont en effet mis au jour l’importance cruciale des jeux dans les sociétés romanisées, notamment le statut extraordinaire des auriges qui, même esclaves, acquièrent richesse et célébrité. Toute une économie du spectacle est aussi révélée : création et entretien d’écuries hippiques, mécénat des élites désireuses de briller aux yeux de l’Empereur, existence de paris clandestins aux enjeux déraisonnables. Si on ajoute à cela les passions que déchainent ces courses dans la société, du plus obscur plébéien jusqu’à l’Empereur, on peut établir un troublant parallèle avec le business et la sociologie du sport contemporain.
Dans ce deuxième volume (sur quatre prévus), Guerrero met son dessin au service de cadrages très dynamiques et alterne avec brio les scènes d’action et les moments plus intimes. La mise en page et le découpage confèrent en outre à cet épisode un rythme haletant. Le parti pris d’une fin très sombre, où le gladiateur ange gardien jette un halo de lumière un peu trop appuyé, n’enlève rien au plaisir qu’aura le lecteur à retrouver, dans les arènes de Narbo, les factions veneta (bleue), albata (blanche), prasina (verte) et russata (rouge). Aelio y brandira-t-il la palme de l’aurige victorieux en restant fidèle à la faction rouge, couleur du sang qu’il a déjà pourtant trop vu couler ? Le chemin encore long qui le mènera au Colisée sera empli de fureur et de poussière. Mais parce qu’il est fidèle aux mânes de son père, Aelio sait qu’il lui faut reprendre le flambeau pour accomplir, in memoriam, la carrière d’Hermeros. En acceptant ce sacrifice, le jour viendra où il pourra associer, dans ses vers et ses prières, son père, l’empereur poète Hadrien, Apollon et tous les dieux du Capitole.
Gloria Victis t.2 Le prix de la défaite. Juanra Fernàndez (scénario). Mateo Guerrero (dessin). Javi Montes (couleurs). Le Lombard. 48 pages. 13,99 €
Les 5 premières planches
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