Golgotha, 1 L’arène des maudits, étranges destinées autour d’un gladiateur déchu
L’Arène des maudits, premier volet de la future trilogie Golgotha, scénarisé par Alcante et Laurent-Frédéric Bollée et dessiné par Enrique Breccia nous plonge dans le monde romain du Ier siècle après J.C. quand l’Empire des Césars s’étend de l’Atlantique au Moyen Orient et que le christianisme commence à s’y faire jour. Nous y suivons à Pompéi puis à Rome, les tribulations d’un gladiateur, ancienne gloire de l’arène qui, ayant réussi à sauver sa vie au prix de son bras droit, est devenu un paria. Mais on devine aussi deux autres destins qui lui semblent liés, ceux d’un étrange ancien crucifié et d’un jeune bâtard muet.
Dès la première case de l’album, le cadre historique est tracé géographiquement et chronologiquement : Pompéi, 63 ap. J.C. Mais ces informations demandent aussitôt des précisions. La ville de Pompéi est alors au fait de son développement, malgré le tremblement de terre de 59, et ce n’est qu’en 79 qu’elle sera anéantie par l’éruption du Vésuve. En 63, c’est encore Néron qui est empereur pour cinq ans. Trente ans après la crucifixion de Jésus, la Judée sous domination romaine n’a pas encore déclenché la grande révolte juive qui commencera en 66 et se terminera en 70 par le pillage de Jérusalem et la destruction du Temple.
Lucius, le héros principal de L’Arène des maudits, est donc une gloire de l’arène dans ce Pompéi néronien. Mais il a le projet de quitter en pleine célébrité la gladiature pour rentrer en politique. Ce qui ne fait pas l’affaire de Claudius Scipio Caper, son lanista (propriétaire d’une troupe de gladiateurs), qui voit ainsi s’éloigner ses profits. Il organise alors pour Lucius un combat impossible à gagner : un adversaire formidable dans une arène entourée de crocodiles (p.16-20). Ce qui n’est pas sans rappeler la mise en scène d’un des combats de Gladiator (2000), le péplum de Ridley Scott. Mais Lucius sera moins chanceux que Maximus et y perdra son bras droit.
Indépendamment des aventures de Lucius, apparaît dès la p.10 un énigmatique personnage, qui, victime d’un naufrage et fait prisonnier par des légionnaires romains, est amené devant un centurion à qui il apprend qu’il est ressuscité après une crucifixion p. 22. L’officier romain décide alors de le garder en prison.
Lucius, quant à lui est recueilli par un groupe d’anciens gladiateurs, dont l’un se charge de lui apprendre à combattre avec son seul bras gauche.
Lucius en profite pour se venger de son lanista. Mais il ignore qu’il a eu un fils de sa relation avec une jeune fille de l’aristocratie de Pompéi. Cet enfant mutilé est recueilli par une famille de tailleur de pierre.
La dernière partie de l’album change de cadre géographique et chronologique : Rome, quinze ans plus tard, 79 ap J.-C. : dernière année du règne de l’empereur Vespasien. La première case de la p.51 montre Le chantier de l’amphithéâtre Flavien, autrement dit le Colisée.
Autour de ce monument, se retrouvent les trois personnages importants : Lucius, l’ancien crucifié et l’enfant mutilé. La dernière planche de l’album p.56, montre l’ancien gladiateur songeur et mêlé à une foule devant une énorme construction baptisée « Golgotha ».
On pourrait penser que le binôme des scénaristes a pris des libertés avec l’Histoire. Il y aurait certains détails à vérifier, comme par exemple l’existence ou non d’une magistrature élective de Tribun de la plèbe à Pompéi à la fin du règne de Néron. Si L’Arène des maudits n’était qu’une BD historique, on aurait raison.
Mais cet opus a aussi un volet fantastique, qui gomme les limites strictes de la vérité historique ou religieuse. Ainsi apparait l’utilisation du nom biblique « Golgotha = le lieu du crane », endroit du supplice de Jésus, pour désigner ce qui semble être la forteresse de la dernière planche. Ainsi également se révèle le personnage du crucifié qui vieillit au fond de sa geôle, mais ne peut pas mourir : on pourrait croire qu’il s’agit de Jésus ressuscité, mais il semble qu’il n’en est rien. Il ne faut donc pas laisser le plaisir de la lecture être freiné par un criticisme excessif vis-à-vis de ce qui, dans une BD historique classique, serait des invraisemblances ou des erreurs historiques et architecturales. Il est en outre nécessaire de bien prendre en compte que le graphisme vigoureux et expressif d’Enrique Beccia souligne fortement le côté fantastique de ce premier volet de cette trilogie annoncée.
Toutefois, on a vraiment l’impression que l’intrigue et les interactions entre les personnages font en quelque sorte « disparaître » le décor : gladiateurs, ville de Pompéi et de Rome, qui sont malheureusement traités à minima. Il est dommage que le premier plan obscurcisse ainsi l’ensemble du regard porté sur cette époque et ces lieux. Il est certes difficile de marier les destinées de plusieurs personnages différents. Mais les auteurs n’y arrivent pas toujours de façon harmonieuse. Par exemple, à cause de l’absence de repères, il est impossible de comprendre à quelle époque et à quel endroit le crucifié est récupéré puis détenu par les légionnaires romains, ce qui ne permet pas de mettre sa destinée en miroir par rapport à celle de Lucius et d’anticiper sur la suite. Il reste à espérer que ces défauts seront corrigés dans les tomes suivants, sauvant ainsi la qualité indéniable du récit et de ses rebondissements.
Toutes les images (c) Éditions Soleil, 2021 – Alcante, Bollée, Breccia
Golgotha T1 L’Arène des maudits. Laurent-Frédéric Bollée et Alcante (scénario). Enrique Breccia (dessin). Sébastien Gérard (couleurs). Soleil. 56 pages. 14,95 euros.
Les 5 premières planches :