Hispaniola ou l’errance d’un légionnaire pendant la Guerre d’Espagne
« De la débandade d’Alger à la fuite de l’Espagne en pleine guerre civile » pourrait résumer assez bien la trajectoire du héros d’Hispaniola, le nouvel album de Lele Vianello, « fils spirituel d’Hugo Pratt ». Mais malgré son ancrage dans une période propice à l’aventure épique, le récit manque de souffle.
En 1938, Alain Lacombe, héros malchanceux, doit quitter précipitamment Alger. Il est officier de la Légion étrangère et a une liaison avec la femme de son supérieur hiérarchique. Malheureusement pour Alain, un soir qu’il est au lit avec l’épouse infidèle, le mari jaloux et armé surprend les deux amants.
Il menace de tuer Alain Lacombe mais est abattu par sa femme. Pour ne pas la voir accusée de ce crime et faire croire que c’est lui le coupable, le jeune officier fuit dans les bas-fonds de la ville. Il réussit à s’embarquer sur un petit bateau de pêche qui quitte Alger en direction de Marseille. Mais en cours de route, ce navire est arraisonné par la marine italienne mussolinienne et l’officier français amené en Espagne dans un port franquiste. Là, il est délivré par un commando anarchiste et rejoind les combattants de la République. Au passage, il rencontre Hemingway, personnage incontournable lorsqu’il s’agit de représenter la Guerre civile espagnole, comme dans le Double 7 de Yann et Juillard.
Mais le camp des républicains est aussi celui des perdants et Alain se voit obligé de fuir à nouveau. Il le fait en avion à l’aide de Paula, une aviatrice roumaine, non sans avoir d’abord réglé ses comptes de façon sanglante. Cette scène est d’ailleurs le seul moment où le héros devient vraiment acteur de l’intrigue en allant massacrer, dans un bordel, des cadres russes qui avaient dirigé les communistes espagnols lors d’une purge des amis anarchistes d’Alain.
On l’aura compris, le but de l’auteur n’est pas de reconstituer fidèlement les détails de la réalité historique. Il s’attache plutôt à placer son héros malheureux dans des situations très inconfortables, pour ne pas dire extrêmement dangereuses, dont il arrivera à se sortir malgré les coups du destin.
L’album est en noir et blanc, à la manière de Pratt (dont Lele Vianello a été l’assistant pendant des années). L’influence graphique du maître est totale, sauf que le scénario du disciple n’a pas le souffle des aventures de Corto Maltese.
La case 2 de la planche 43 nous montre des regulares maures dépouillant le cadavre d’un fusillé de sa vareuse et sa casquette, qui ressemblent à s’y méprendre à celles du célèbre gentilhomme de fortune. Vianello a-t-il voulu illustrer ce que déclare Cush à la case 5 de la planche 97 des Scorpion du désert, à propos de la disparition de son compagnon de lutte lors de la Guerre d’Espagne ? Ce n’est pas impossible.
La combattante de l’illustration de couverture s’inspire de la fameuse photo de Marina Ginestà, un fusil à l’épaule, en haut de l’hôtel Colón à Barcelone avec la ville en arrière-plan. Le cliché a été pris par Juan Guzman le 21 juillet 1936 alors que la jeune journaliste n’avait que 17 ans. Cette image a été souvent utilisée dans les bandes dessinées sur la Guerre d’Espagne, par exemple par Marion Duclos dans Ernesto (2017, Casterman, p.79, case 2).
Petite erreur du coloriste sur la couverture : la troisième couleur du drapeau républicain espagnol (sur le brassard de la combattante et sur le gouvernail de direction de l’avion, où il manque également le jaune au centre), n’est pas le bleu foncé, mais le mauve.
Quant à l’avion qui permet à Paula et Alain de fuir, il est impossible d’en déterminer le type. Idem pour le biplan qui est dessiné sur la couverture.
En résumé, on peut dire que dans cet album, Lele Vianello s’essouffle un peu à suivre Hugo Pratt et, pas plus que son héros, n’arrive pas à nous faire entrer dans l’histoire.
Hispaniola. Lele Vianello (scénario et dessin). Mosquito. 78 pages. 15 euros
Les 10 premières planches :
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