Iran révolution : entre le Shah et l’ayatollah Khomeyni, un journaliste au cœur d’un jeu de dupe
Dans cet album à mi-chemin entre la bande-dessinée et le reportage photographique, Michel Setboun raconte comment il a vécu les évènements qui ont secoué l’Iran durant les années 1978-1979. Outre une description détaillée de la chronologie des faits, le photographe propose une réflexion sur son métier de photo-reporter, au contact des puissants de ce monde.
Présent dans différents pays qui ont subi des changements brutaux en peu de temps, le journaliste Michel Setboun est un habitué des zones instables. Sentant que le vent est en train de tourner pour le Shah en Iran, il fixe son objectif sur les bouleversements en train de traverser le pays. La dynastie Pahlavi, en place depuis 1925, voit son régime dictatorial de plus en plus remis en cause par la population. C’est au moment où l’effervescence est à son comble que Michel Setboun sort son appareil photo pour immortaliser cet instant historique.
Pour fêter les quarante ans de la Révolution iranienne, le photo-reporter retravaille ses photos prises en noir et blanc. En jouant sur les différentes teintes de gris, sur la saturation et les traits en demi-teinte sans pour autant altérer l’image générale, Setboun floute la ligne entre dessin et photo. Il n’y a pas d’intégration de texte directement dans l’image, les explications et légendes sont autour. D’un côté, il donne le contexte général permettant de situer où se trouve l’action, géographiquement et chronologiquement. De l’autre, chaque image est légendée de son expérience personnelle. Où se trouvait-il au moment d’appuyer sur le déclencheur, quel enchainement l’avait poussé à se rendre à cet endroit, quels risques ont été pris… sont autant d’indices disséminés au fil des pages. Ce sont aussi ces légendes qui poussent à se demander le rôle qu’un journaliste occidental peut jouer dans des évènements nationaux d’une telle ampleur. Quelle part d’objectivité, de subjectivité, quel jeu double faut-il jouer pour être invité à la fois par le Shah d’Iran et par son principal opposant, l’ayatollah Khomeiny ?
Les journalistes occidentaux présents en Iran avant le début des évènements sont encadrés par les agents du Shah pour montrer ce qui doit être vu et seulement cela. Le Shah fait même appel à certains d’entre eux pour couvrir des évènements particuliers comme la visite de la ville de Mashad en juin 1978. Comme le journaliste le raconte lui-même, ce voyage organisé par le Shah n’est « pas dénué d’arrière-pensées ». Il s’agit d’un moyen d’apaiser les tensions avec les religieux de la ville tout en se garantissant les bonnes grâces des journalistes à qui il est servi du caviar et de la vodka. Bien que conscient d’être un pion dans une partie d’échec qui le dépasse, Michel Setboun joue le jeu espérant pouvoir avoir accès à des scènes qu’il pourra immortaliser et lui assurer une certaine notoriété internationale. Pourtant, c’est un jeu dangereux à une période où la place du Shah est de plus en plus contestée par les religieux et le peuple. Il lui faut être attentif au moindre détail pour garder une certaine distance de sécurité. « J’assiste avec amusement à cet évènement. Les journalistes étrangers ont une place attitrée pour assister à un spectacle qui veut exhiber aux yeux du monde l’éclat de la grande nation iranienne ». Michel Setboun est suffisamment aguerri aux enjeux politiques pour savoir quand il doit prendre ses distances avec les invitations du pouvoir. Après les visites auprès du roi, il part faire un tour du reste des quartiers de la ville de Téhéran. C’est ainsi qu’il se rend mieux compte de la situation générale dans laquelle est plongée l’Iran. Ce sont aussi ces photos envoyées régulièrement à Paris pour être publiées dans les journaux qui lui vaudront d’être appelé par l’ayatollah Khomeiny, alors réfugié à Neauphle-le-Château (dans les Yvelines).
L’ayatollah, en exil depuis quinze ans, comprend rapidement la nécessité de renforcer son image. Il fait donc appel à un journaliste occidental connaisseur de la politique iranienne de ces deux dernières années pour dresser son portrait. Cette mission est d’autant plus important qu’il n’y a pas de photos récentes de Khomeyni à faire circuler. Michel Setboun se rend à donc à Neauphle-le-Chateau pour immortaliser l’ayatollah sous les pommiers, entouré de nombreux soutiens iraniens, de son fils. C’est un privilège qui ne se refuse pas. Ces photographies feront le tour du monde et seront reprises par les différents manifestants iraniens. Les enjeux sont énormes pour chacune des parties. Ils s’appuient les uns sur les autres pour se prévaloir.
Pour Michel Setboun, cette position de photo-reporter est un jeu de dupe auquel il faut se plier sans cesse pour parvenir à être publié, être reconnu dans la profession et survivre dans un milieu où les limites ne sont pas clairement définies.
Iran révolution. Michel Setboun (scénario et photos retravaillées). Les Arènes BD. 192 pages. 22,90 euros
Les 5 premières planches :