La Ballade du soldat Odawaa, un Amérindien dans les tranchées de la Grande Guerre qui fait mouche.
Joseph Odawaa, soldat du corps expéditionnaire canadien et tireur d’élite de son état, sème la terreur dans les rangs allemands, début 1915. Avec La Ballade du soldat Odawaa, Cédric Apikian et Christian Rossi suivent la piste de ce jeune Cree insaisissable, et saluent par la même occasion la présence amérindienne pendant la Première Guerre mondiale.
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Prendre comme fil rouge d’un récit un soldat amérindien pendant la Première Guerre mondiale pourrait paraître folklorique voire farfelu au néophyte. C’est pourtant la toile de fond de La Ballade du soldat Odawaa. Car en réalité, la présence de troupes amérindiennes sur le front pendant la Grande Guerre n’est pas du tout anecdotique. Certes, en nombre, les soldats autochtones du continent nord-américain ne pèsent pas lourd face à l’armada des autres nations. On estime ainsi à 4 500 côté canadien et 17 000 côté états-unien, les Amérindiens qui s’engagent dans le conflit, dont 7 000 servent outre-mer. Mais au Canada, l’enthousiasme pour se porter volontaire est tel (certaines recrues parcourent des centaines de kilomètres pour s’enrôler) que le gouvernement d’Ottawa est vite débordé. Alors que les consignes officielles sont de ne pas accepter les soldats autochtones (sous prétexte que les Allemands pourraient « refuser de leur accorder les privilèges de la guerre civilisée »*), les responsables du recrutement n’ont pas les mêmes préventions et accueillent volontiers ces « peaux rouges » dont le pouvoir se méfie encore.
L’armée alliée ne s’en plaindra pas. Sur le front, les troupes amérindiennes se distinguent de plusieurs manières**. D’abord comme code talkers dans l’armée américaine. Choctaws et Cherokees transmettent ainsi des messages tactiques codés dans leur langue (extrêmement dure à apprendre pour un Européen), que les Allemands n’arriveront jamais à déchiffrer. Rapides et endurants, les Amérindiens sont utilisés également comme estafettes pour transporter les plis entre les unités. Excellents chasseurs, ils servent comme éclaireurs pour déterminer la position de l’ennemi derrière la ligne de front, et comme tireurs d’élite pour harceler l’adversaire.
C’est sur cette dernière facette de l’engagement amérindien pendant la Première Guerre mondiale que s’appuie l’intrigue de La Ballade du soldat Odawaa. Joseph Odawaa est tireur d’élite dans le corps expéditionnaire canadien. Le jeune Cree est une véritable légende, un héros qui soude les troupes venues d’outre-Atlantique. Insaisissable, il décime l’ennemi, se déplace derrière la ligne de front, sème la terreur dans les rangs allemands. Le personnage imaginé par Cédric Apikian est très proche de la réalité. De nombreux tireurs d’élite amérindiens sont restés dans l’Histoire. On peut citer le métis Henry Norwest (115 coups mortels), l’Ojibway Johnson Paudash (88), le Cree John Ballendine (58) ou le Mohawk Philip Macdonald (40). A chaque fois, l’effet de terreur chez l’ennemi est très fort.
D’autant plus que – comme il est d’ailleurs indiqué dans l’album p.58 – le roman Winnetou***, écrit par l’Allemand Karl May en 1879, est très populaire dans le monde germanique. La figure du guerrier indien, puissant, impitoyable, impassible, est ancrée dans l’imaginaire collectif de l’aire germanophone. Des officiers américains ordonnent même à leurs hommes de se déguiser en Indien pour certaines missions afin d’effrayer l’adversaire. Le capitaine Ernest Keating, sous les ordres duquel sert le soldat Joseph Odawaa, en est bien conscient et crée une aura mystérieuse autour des Amérindiens qu’il commande. On en vient même à douter de l’existence du tireur d’élite tellement l’homme sait se rendre invisible. Traité comme un western moderne (où cette fois les Indiens n’ont pas le mauvais rôle), La Ballade du soldat Odawaa aurait peut-être pu se passer d’une intrigue un peu alambiquée qui se superpose à la chronique du légendaire Joseph Odawaa. Il n’en reste pas moins que l’album, servi par le dessin virtuose de Christian Rossi, transcrit de manière haletante comment les Amérindiens – un des nombreux peuples non européens présent dans le nord-est de la France – étaient perçus sur le front.
* : l’usage relatif de la torture et du scalp pendant les guerres indiennes, pourtant achevées depuis plusieurs décennies, a visiblement laissé un souvenir indélébile dans l’inconscient collectif des Canadiens de l’époque.
** : les Amérindiens sont toutefois versés dans toutes les armes. On les retrouve aussi bien dans l’infanterie, les ballons d’observation, les blindés, le génie, les services vétérinaires que dans l’aviation.
*** : le roman Winnetou décrit les pérégrinations dans le sud des Etats-Unis de Old Shatterhand, un trappeur qui rencontre et se lie d’amitié avec Winnetou, un chef apache.
La Ballade du soldat Odawaa. Cédric Apikian (scénario). Christian Rossi (dessin). Casterman. 88 pages. 19 euros.
Les 10 premières planches :