La Fortune de Poutine, ou comment le maître du Kremlin est devenu l’homme le plus riche du monde
50, 70, 100, 200 milliards d’euros… Les estimations de la fortune de Vladimir Poutine ne cessent d’augmenter et de donner le tournis depuis son accession au pouvoir en 1999. Comment un chef d’état peut-il amasser sans résistances ou presque une telle fortune ? C’est l’objet de La Fortune de Poutine une enquête menée pendant de longs mois par Yvonnick Denoël et Gildas Java et publiée par Nouveau Monde Éditions.
Tout commence au moment de l’effondrement de l’URSS, quand le système soviétique en asphyxie est débranché par Mikhaïl Gorbatchev. Les responsables du KGB comprennent que leur pouvoir et leurs privilèges vont disparaître. Pour prospérer dans l’ombre du nouveau système, les caisses bien garnies, officielles et officieuses, de l’organisation seront indispensables ainsi que les propriétés immobilières réparties dans tous les pays du monde. Cette richesse est telle que même les responsables sont incapables de l’évaluer précisément ou de dresser la listes des maisons et appartements qui leur tombent dans les mains. Très rapidement, ces espions communistes se convertissent au capitalisme le plus sauvage. Habitués à dissimuler, aux coups bas et au chantage, ses hommes sont parfaitement armés pour réussir leur entreprise.
La désagrégation de l’URSS offre de nouvelles opportunités d’enrichissement facile. Les grands conglomérats industriels, miniers ou agricoles sont à vendre. Certains, ceux qu’on appellera les oligarques, achètent pour presque rien des aciéries, des raffineries, des puits de pétrole, des mines d’or. Beaucoup deviendront les premières victimes de Poutine. Des hommes politiques sans scrupules, anciens du parti communiste, se font élire à la tête de mairie ou de région sur fond de fraudes et de manipulations. Vladimir Poutine suit Anatoli Sobchak, nouveau maire de Saint-Pétersbourg. Notre homme va apprendre très vite son nouveau métier. Entouré de fidèles, il comprend où est son intérêt. Il manipule le maire, accorde les autorisations d’implantation aux banques ou aux entreprises contre pots de vins, tout en jouant avec les clans mafieux qu’il utilise ou musèle. La fortune qu’il commence à amasser lui permet d’accroitre son pouvoir sur les hautes sphères du gouvernement, de faire pression sur la justice ou les médias. Anatoli Sobchak est exfiltré de Russie par son adjoint au moment où la justice s’intéresse à lui. Vladimir Poutine qui a fait son chemin et s’est fait remarqué par son entregent, sa puissance, ses commensaux et son absence de scrupules promet à la famille Eltsine, une impunité totale et une absolue discrétion sur leurs affaires, si ils lui permettent d’accéder à la présidence. Il s’approche au plus près du pouvoir puis monte sur la plus haute marche qu’il ne quittera plus.
L’enquête d’Yvonnick Denoël très documentée est glaçante. Elle montre comment le pouvoir poutinien s’est glissé dans le modèle soviétique. Il emploie les mêmes méthodes, le même fonctionnement à base de clans qui abritent des courtisans et des hommes à tout faire capable de cacher de l’argent, de faire chanter, de dérober des entreprises entières sur décision du nouveau tsar. Cependant, comme dans tout système mafieux, personne n’est à l’abri des colères du chef. On meurt beaucoup dans cette bande dessinée. Journalistes, chefs d’entreprise, enquêteurs, banquiers, complices rebelles, disparaissent facilement de l’histoire.
Le récit qui pourrait se perdre dans les explications – certaines situations sont assez complexes à comprendre – réussit à être pédagogique sans abandonner le romanesque et un certain suspense. Cette histoire qui n’est, en somme, qu’une suite de situations de conversations autour d’une table, évite l’ennui en jouant des situations, des lieux dans lesquels évoluent les personnages.
Le dessin de Gildas Java rend parfaitement l’ambiance inquiétante dans laquelle baigne cet album. L’absence de couleur réaliste fait de ce récit un théâtre d‘ombre dans lequel chacun évolue en prenant soin de bien rester à sa place. Il en va de sa survie et de l’accroissement de sa fortune. Les personnages, dont la plupart sont inconnus des Français, sont bien rendus, caractérisés. Les visages sont très réalistes. Le dessin joue, sans exagération, avec la caricature et les expressions, afin de faire rire et d’effrayer le lecteur.
La Fortune de Vladimir Poutine est un thriller politique et géopolitique comme il en existe peu dans la bande dessinée historique ou documentaire. Il est d’autant plus important de le lire que la guerre en Ukraine n’a pas que des ressorts nationalistes, impérialistes mais qu’il y a aussi derrière des histoires de très gros sous. Ce récit montre aussi comment des hommes formés par ce qui s’est fait de plus efficace en matière de totalitarisme ont parfaitement intégré les règles du capitalisme pour les retourner à leur profit exclusif, pour faire main basse sur un pays tout entier et sa population, avec de nombreuses complicités d’hommes politiques et de banques européennes.
La Fortune de Poutine. Yvonnick Denoël (scénario). Gildas Java (Dessin). Nouveau Monde Éditions. 125 pages, 22,90 euros.
Les premières planches