La Rafle d’Izieu du 6 avril 1944, un album pour l’histoire et la mémoire
6 avril 1944, 44 enfants juifs réfugiés à Izieu, dans l’Ain, et 7 adultes qui les encadraient sont raflés sur ordre du SS Klaus Barbie. Ils sont déportés à Auschwitz, en Pologne, et à Tallinn, en Estonie. A l’occasion du 80e anniversaire de ce drame, la Boite à Bulles publie La Rafle d’Izieu, de Pascal Bresson et Giulio Salvadori, un album qui en retrace l’histoire.
Des enfants juifs à Izieu
Rapidement après la fin des hostilités entre la France et l’Allemagne, le régime du maréchal Pétain montre son inclinaison antisémite. Début octobre 1940, une série de lois dont un texte « le statut des juifs » organise la mise à l’écart progressive de la société de la population juive en interdisant l’accès à de nombreux emplois publics, des médias ou aux professions libérales. Il prend aussi des mesures pour l’internement des étrangers indésirables. De nombreuses familles juives qui ont fui le nazisme, dont beaucoup d’enfants sont français car nés en France, se retrouvent prises au piège. Les conditions de vie sont effroyables. L’hygiène est absente, l’eau et la nourriture manquent, des maladies se développent. Dans les camps des Milles, de Gurs, de Rivesaltes, de Noé, du Rébécou ou du Vernet, les morts se comptent par dizaines. Des organisations humanitaires sont autorisées, à leur frais, à visiter les camps de rétention et à secourir les internés. Les moyens sont limités, les enfants sont l’objet de l’attention de l’OSE, Œuvre de Secours aux enfants. Créée en 1912, en pleine crise antisémite de la Russie tsariste, elle transfère son siège de Berlin à Paris en 1933, puis à Vichy. Dès 1941, l’OSE fait sortir des enfants des camps puis les recueillent dans des maisons en zone non occupée. Ces groupes d’enfants ne sont pas exceptionnels dans la France occupée. Beaucoup, juifs et non juifs, ont été envoyés loin de la guerre, de l’occupation et des bombardements potentiels.
A partir de janvier 1942 et la conférence de Wansee qui a mis au point l’organisation de la destruction des juifs d’Europe, le danger se rapproche de plus en plus des juifs français et étrangers. Des rafles sont organisées dans les deux zones. La France de Vichy est le seul pays d’Europe non occupé qui livre de lui-mêmes des juifs aux Allemands.
Un couple exceptionnel
Sabine et Miron Zlatin sont les chevilles ouvrières de la colonie d’Izieu. Juive polonais, juif russe, réfugiés en France depuis le milieu des années 1920, ils sont naturalisés en 1939 (Deux demandes de retrait de la nationalité seront déposées en juin 1942 et mai 1943, sans succès). Après la débâcle, ils se retrouvent à Montpellier. Sabine est infirmière, Miron dirige une exploitation agricole mais les lois antisémites les rattrapent. Sabine est renvoyée. Ne renonçant pas à aider les plus démunis, elle se dirige vers l’OSE. A partir de l’été 1941, elle commence à faire sortir des enfants des camps. Ils sont placés dans des familles, des maisons religieuses ou des institutions. L’abbé Prévost, ami de Sabine, protège par exemple plusieurs centaines d’enfants au sanatorium de Palavas les Flots. Il faut aussi penser aux parents qui se séparent de leurs enfants pour leur sauver la vie sans savoir quand ils pourront les retrouver. L’OSE réussit à assurer la correspondance entre les familles par courrier.
Le départ vers la zone italienne
Après le débarquement allié en Afrique du Nord qui déclenche l’invasion de la zone non occupée par l’armée du Reich, les enfants courent de grands dangers. Partir vers la zone occupée par l’Italie présente moins de risque. Pour des raisons qui tiennent aux rapports franco-italiens et germano-italiens, les hommes de Mussolini ne persécutent pas les juifs en France. Izieu est justement en zone italienne et une grande maison est libre pour accueillir la colonie protégée par Sabine et Miron Zlatin. Sans compter que la Suisse toute proche peut s’avérer une échappatoire commode. Plusieurs autres maisons de la région abriteront des enfants juifs.
Le lieu est un paradis pour les enfants. Ils sont au grand air, ils vont à l’école, ils ne risquent pas grand-chose. Les fermiers Perticoz dont la ferme jouxte la maison se montrent bienveillants et protecteurs. Les enfants de la région fréquentent les enfants de la maison, ils jouent ensemble, se baignent dans le Rhône. Les paysans et les commerçants vendent leurs produits pour nourrir les enfants et leurs accompagnateurs. Le sous-préfet de l’Ain, Pierre-Marcel Wiltzer reçoit Sabine Zlatin sur les conseils de Roger Fridrici qui travaille à la préfecture de l’Hérault où sont cachés les enfants de l’OSE et encourage leur arrivée dans l’Ain. Marie-Antoinette Cojean joue aussi un rôle important en rassemblant les meubles et le matériel nécessaire à la vie quotidienne et scolaire. Une institutrice est détachée pour assurer les cours. Les adultes font tout pour que les enfants profitent du moment et essaient de s’extraire au maximum de l’enfer d’où ils sont sortis. La colonie est un lieu de vie. On connait bien leur quotidien car de nombreuses lettres ont été échangées avec les parents dans lesquelles ils racontent leurs journées, leur menus, leurs jeux… Beaucoup ignorent encore qu’ils sont orphelins.
Automne 1943
Le 8 juillet 1943, Mussolini est destitué par le roi d’Italie. Le 8 septembre, le nouveau régime sort de la guerre et signe un armistice avec les Alliés. Aussitôt, les Allemands envahissent la zone italienne. La maison d’Izieu est à portée de griffes des nazis. Les adultes comprennent qu’il faut accélérer la dispersion des enfants. Le 7 janvier 1944, le docteur Ben-Drihem qui s’occupaient des enfants et des habitants des villages est arrêté et déporté. Le 23 mars, 18 enfants et deux de leurs mères sont raflés et déportés depuis une autre colonie en Isère, à 40 kilomètres d’Izieu. Début avril Sabine Zlatin se rend à Montpellier pour trouver une solution. Elle a prévu que les enfants encore présents seront évacués par petits groupes à partir du 11 avril.
Le 6 avril 1944
45 enfants prennent leur petit déjeuner, les vacances de Pâques commencent tout juste. Léon Reifman, ancien adulte de la colonie est présent car il a raccompagné deux adolescents scolarisés à Belley. A 8h30, deux camions remplis de soldats arrivent dans la cour. Les enfants et les adultes sont rassemblés rapidement et brutalement. Leon Reifman saute par une fenêtre et s’échappe dans la forêt. Les Perticoz et leur ouvrier agricole assistent pétrifiés à la rafle. Ils sont frappés par la violence de la scène. Les camions sont contraints de s’arrêter plus bas dans la vallée pour refaire le plein de leur gazogène quand une habitante reconnait René-Michel Wucher, seul enfant non juif présent ce jour-là. Il est sorti du camion et retrouve sa famille.
Vers Auschwitz
Le trajet vers Lyon dure quatre heures, les enfants et leurs accompagnateurs arrivent pour deux jours à la prison de Montluc. La plus jeune est âgée de 5 ans, le plus vieux de 17 ans. Ils sont tous envoyés à Drancy où les conditions de vie sont terrifiantes. Le 13 avril, 34 enfants et 4 adultes d’Izieu partent vers Auschwitz dans le convoi 71 dans lequel figure Simone Veil et sa mère. Le trajet en wagons plombés, sans eau, ni nourriture dure trois jours. On les fait monter dans des camions « pour arriver plus vite ». Tous seront assassinés dans les chambres à gaz du camp. Lea Feldblum, jugée apte au travail est séparée du groupe. Le 29 avril, le convoi 72 part en emportant Lucie Feiger. Le 15 mai, le convoi 73 part vers Talinn, emportant Miron Zlatin et les deux enfants plus âgés de 16 et 17 ans. Leur destination est un camp de travail. Les derniers enfants partent par les convois 74, 75 et 76. Aucun ne reviendra.
Le procès Barbie
Un évènement majeur va ramener la mémoire des enfants d’Izieu sur le devant de l’actualité. Bien qu’évoqué au Procès de Nuremberg, cette rafle présente dans l’histoire de la persécution est relativement oubliée. La capture puis le procès du SS Klaus Barbie, dit « le Boucher de Lyon » pour crime contre l’humanité, le premier tenu en France, rappelle le calvaire des enfants et des adultes déportés le 6 avril 1944. La rafle d’Izieu est un des trois faits retenus contre Barbie. Des témoins viennent déposer. Une institutrice, des parents d’enfants déportés, des enfants passés par Izieu, le témoin de la rafle. Léa Feldblum se déplace depuis Israël. Sabine Zlatin déclare devant une chaise vide, car Barbie refuse d’assister à son procès : « Barbie a toujours dit qu’il s’occupait uniquement des résistants et des maquisards, ça veut dire des ennemis de l’armée allemande. Je demande : les enfants, les quarante-quatre enfants, c’était quoi ?! C’étaient des résistants ? C’étaient des maquisards ? Qu’est-ce qu’ils étaient ? C’étaient des innocents ! ».
La preuve du crime contre l’humanité tient dans un télex que Barbie a envoyé à ses supérieurs à Paris, dans lequel il précise que la rafle a concerné les enfants et les adultes juifs et que leur destination est Drancy, donc l’antichambre d’Auschwitz.
La dénonciation
Suite à la rafle du 6 avril, beaucoup se sont interrogés pour savoir comment les Allemands et Barbie ont eu connaissance de la présence de la colonie. On a dit qu’un Français accompagnait les soldats mais sans certitude. Un homme, originaire d’Alsace, proche des Nazis, installé dans le pays récemment est soupçonné. Faute de preuve, il est blanchi après la Guerre. Des années après, des journalistes peu scrupuleux accusent sans preuve des personnalités du village. Ces hypothèses sont balayées par les historiens. Reste le fait que comme tous les juifs, les enfants et les adultes ont du se faire enregistrer, que la colonie était enregistrée à la préfecture, que son installation est légale et non clandestine. La police connait les enfants, par trois fois, elle prévient les adultes que le danger approche. La Gestapo a déjà fouillé la préfecture de Belley, elle est donc au courant de la présence de la colonie. Personne, à l’heure actuelle, ne peut dire si la colonie a été dénoncée ou si les services allemands ont fait leur « travail ».
La maison qui a abrité les enfants et leurs accompagnateurs est désormais un mémorial situé dans un lieu d’une beauté à couper le souffle. Un lieu qui fut un paradis selon les souvenirs de Sabine Zlatin « Nous sommes arrivés en camion, pas en autocar, en camion ; et je me rappelle toujours, vous savez, Reifman, il a sauté du camion et a dit : « Quel paradis ! » »
La Rafle d’Izieu. Pascal Bresson (scénario). Giulio Salvadori (dessin et couleurs). La Boîte à Bulles. 160 pages. 26 euros.
Un lieu de mémoire, d’éducation et de vie pour comprendre le crime contre l’humanité et agir contre toute forme de discrimination.
“La Maison d’Izieu est aujourd’hui un lieu d’accueil et d’éveil à la vigilance qui entend délivrer, par le souvenir des enfants et des éducateurs de la Colonie d’Izieu, un message universel et agir contre toute forme d’intolérance et de racisme.”
La visite de la Maison d’Izieu en podcast
Les premières pages
https://www.la-boite-a-bulles.com/album/631/content/42
Les enfants d’Izieu
Liste établie d’après les registres tenus par Miron Zlatin
Près de 105 enfants sont passés par Izieu. 44 ont été déportées, les autres ont été sauvés par l’action de Sabine et Miron Zlatin et des adultes qui en ont pris soin.
ADELSHEIMER Sami Déporté
ADLER Edmond
ADLER Asher Alfred (Oscar)
ALEXANDER Heinz (Henry)
ALLOUCH Huguette
ALLOUCH Renée
AMENT Hans Déporté
ARONOWICZ Nina (Mina) Déportée
AVIDOR Violette
BALSAM Jean-Paul Déporté
BALSAM Max-Marcel Déporté
BENASSAYAG Élie Déporté
BENASSAYAG Esther Déportée
BENASSAYAG Jacob Déporté
BENGUIGUI Jacques Déporté
BENGUIGUI Jean-Claude Déporté
BENGUIGUI Richard Déporté
BENGUIGUI Yvette
BENTITOU Barouk-Raoul Déporté
BERGMAN Alec
BERNARD Paulette
BOUDON Pierre
BOUDON Roger
BROUN Georges
BULKA Albert Déporté
BULKA Majer (Marcel) Déporté
BYK Bernadette
CHARBIT Georges
CHOUKROUN Sauveur
DUFOURG Daniel
ELERT Charles
ELERT Léon
ELERT Michel Angel
ELERT Rose
FRAINNET Michèle Suzanne
FRIEDLER Lucienne Déportée
GAMIEL Egon (Edmond) Déporté
GERENSTEIN Liliane Déportée
GERENSTEIN Maurice Déporté
ENFANTS ACCUEILLIS À
LA COLONIE D’IZIEU
GOLDBERG Chaïm (Henri) Déporté
GOLDBERG Joseph Déporté
GRINBLATT Marcel
HALAUNBRENNER Claudine Déportée
HALAUNBRENNER Mina Déportée
HALPERN Georges Déporté
HAUG Miquette
HEBER Paulette
HIRSCH Arnold (BARREAU Jean-Pierre) Déporté
HIRTZ Georges
ITTAH Jacqueline
ITTAH Josiane
KARGEMAN Isidore Déporté
KAUFMAN Henri
KROCHMAL Liane Déportée
KROCHMAL Renate Déportée
LAMICHE Jacqueline
LAMICHE Suzanne
LEINER Max Déporté
LEKMAAKER Jules
LEVAN-REIFMAN Claude Déporté
LOEB Marcel
LOEBMANN Fritz Déporté
LUZGART Alice-Jacqueline Déportée
MARKIELEWIECZ Bernard
MATHIEU-DAUDE Jacques
MATHIEU-DAUDE Pierre
MERMELSTEIN Marcel Déporté
MERMELSTEIN Paula Déportée
NIEDERMANN Paul
PALLARES Guy
PINTEL Samuel
POPOWSKI Diane
PRUEDE Jean
PRUEDE Marie-Louise
RAIZ Claude
REIS Theodor Déporté
SADOWSKI Gilles Déporté
SOURIANT Henri
SPIEGEL Martha Déportée
SPIEGEL Senta Déportée
SPITZ Claude
SPRINGER Sigmund Déporté
STERN Samuel
SZARF Émile
SZARF Sara
SZARF Simon
SZULKLAPER Sarah (Suzanne) Déportée
TEBOUL Jacqueline
TETELBAUM Herman Déporté
TETELBAUM Max Déporté
TRAUBE Georges
VERDIER Henri
VIEU Francis
VIEU Jean-Louis
WAYSENSON Adolphe
WAYSENSON Bernard
WAYSENSON Hélène
WELTNER Charles Déporté
WERTHEIMER Otto (WERMET Octave) Déporté
WOLF Helga
WOLMAN Henri
WOLMAN Roger
WUCHER René-Michel
ZUCKERBERG Émile Déporté