La route est longue des tranchées aux Folies Bergère
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Peu importe la date et le lieu exacts. Le lecteur n’a qu’à savoir que l’intrigue de cet album se déroule en grande partie dans la tranchée occupée par la 17e compagnie d’infanterie et que c’est le capitaine Maurice Meunier qui dirige des hommes déjà usés jusqu’à la corde par une guerre qui n’en finit pas. Ces poilus, enterrés comme des taupes craignant avec angoisse qu’un jardinier céleste vienne les exterminer, se raccrochent à la vie par l’humour, qui comme chacun sait est la politesse du désespoir. C’est pourquoi ils baptisent leur boyau boueux les Folies Bergère, l’un d’entre eux étant machiniste dans la célèbre salle de spectacle parisienne. Toute la compagnie a d’ailleurs juré de s’y retrouver pour faire une bringue du diable une fois les combats terminés. On peut toujours rêver. En attendant, les soldats profitent d’une trêve après une offensive une nouvelle fois meurtrière pour tenter d’évacuer leurs idées noires. Mais difficile de penser à autre chose qu’à la mort quand trois futurs fusillés passent en colonne devant les yeux de toute la compagnie. La visite de l’aumônier de l’Etat-Major n’est pas d’un grand réconfort pour des poilus désabusés, dont la cohésion ne tient qu’à un fil. Celui du capitaine Meunier, qui fait tout pour ne pas montrer à ses hommes qu’il est à la limite de ses forces psychologiques. L’équilibre de tout cet édifice humain est fragile, précaire, suspendu à l’attente d’une balle ou d’un shrapnel trop précis. Malgré les périodes de répit, la tension ne retombe jamais vraiment.
Si la menace ennemie est toujours présente dans Les Folies Bergère, les soldats allemands ne sont en revanche jamais montrés. C’est le quotidien de la vie dans une tranchée française qui remplit les cases. Là, la camaraderie change les patronymes en Tambouille, Roubignoles, Achtung, la Gâche ou Poils-aux-dents. Là, les taquineries, l’entraide, les blagues vaseuses, le sacrifice pour le copain côtoient l’enfer des bombardements, la peur qui tétanise, les ordres iniques, les hallucinations et la promiscuité. Le choix du noir et blanc pour représenter l’étouffant huis-clos des tranchées est cohérent, mais Zidrou et Porcel y ajoutent ponctuellement quelques touches colorées pleines de sens. Le sépia des souvenirs, le rouge du sang, mais surtout les couleurs des dessins des poilus ou des tableaux de Claude Monet parsèment les planches. Car en contrepoint de la situation déplorable des militaires, deux récits parallèles s’intercalent : celui des pensées du capitaine pour sa femme enceinte, et de Claude Monet peignant à Giverny ses fameux nymphéas. L’art est sans aucun doute une échappatoire à caractère vital. Un des moyens pour ne pas sombrer dans l’hostilité d’un environnement que Zidrou et Porcel décrivent avec un réalisme d’une sensibilité poignante. Pas sûr toutefois que l’espoir ait sa place dans un lieu où la mort fauche avec autant d’enthousiasme. Il y a fort à parier que la plupart des gars de la 17e compagnie posent un lapin au rendez-vous des Folies Bergère.
Les Folies Bergère. Zidrou (scénario). Francis Porcel (dessin & couleurs). Dargaud. 96 pages. 16,45€
Les 5 premières planches :