L’anniversaire de Kim Jong-Il, une enfance dans l’enfer de la Corée du Nord
Après La Faute, voilà le deuxième album consacré à la Corée du Nord publié par les Editions Delcourt. Cette fois, c’est le parcours d’un jeune enfant vers la prise de conscience forcée et violente que ce régime est criminel et totalitaire. Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag nous emportent au plus près, puis au plus loin, des rêves de ces enfants à qui ont martelé que le Grand Leader était là pour les protéger et qu’en dehors de leur pays c’était l’enfer.
La Corée du Nord est au cœur d’une partie importante de la Guerre froide. Créée en 1953, après trois ans d’un conflit qui faillit embraser la planète, mettant face aux troupes de l’ONU les armées chinoises et soviétiques, ce pays, et le régime qui le gouverne, est devenu un des plus hallucinants qui soit. Depuis 60 ans, le peuple nord-coréen subit les pires privations, les plus grandes entraves à la liberté, le tout associé à un système de délation et de surveillance généralisée qui ne permet pas de faire un pas en dehors des règles fixées par le dirigeant suprême, sous peine de mort ou de relégation en camp de rééducation. Le pays semble aussi avoir inventé ce qu’aucun autre régime communiste n’a jamais osé imaginer : une dynastie rouge. Kim Jong-Un, le actuel du pays, est le petit-fils de Kim Il Sung, le premier chef de cet état terrifiant. Toute la vie politique et sociale est tournée vers la personne du guide suprême du pays, chaque habitant lui doit admiration et amour. Il est seul à décider de tout, ses actes et ses mots sont sacrés. A partir de 1953, les dates anniversaires de la guerre et des différents dirigeants ont remplacé le calendrier. Jamais dans aucune dictature le culte de la personnalité n’a atteint ce niveau de bêtise et de terreur. Toute la vie quotidienne est réglée par le Juche, doctrine développée par Kim-Il Sung. Si les idées originales du Juche sont d’origine marxistes, les livres de Marx ou de Lénine sont interdits en Corée du Nord car considérés comme trop subversifs. Il faut ajouter à tout cela une totale indifférence des dirigeants pour le peuple, ce dernier mourant de faim et de carences alors que l’armée est toute puissante et que la recherche nucléaire avance vite.
C’est dans ce contexte que se déroule L’anniversaire de Kim Jong-Il d’Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag. Cet album commence le jour de l’anniversaire de Kim Il-Sung, qui s’avère être aussi aussi celui de Jun Sang, un jeune garçon de huit ans. C’est un pur produit du régime. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Sa vie est dure mais il est certain que tout cela est bon pour lui, sa famille et son pays. Très vite, les deux auteurs laissent entrevoir la nature du régime. Les bêtises des enfants peuvent avoir de funestes conséquences s’ils se font prendre. La pénurie est partout. On récupère les excréments humains pour en faire de l’engrais. La situation empire et les parents du garçon ne peuvent plus nourrir la famille. Il faut fuir et passer en Chine. La première partie se termine au moment de traverser le fleuve. La vie de l’enfant est encore en couleur, c’est encore un enfant. La seconde partie est en gris ou en noir. La famille a été dénoncée et capturée. Séparée du père, ils vont, durant plusieurs années, avoir une atroce vie dans un camp de prisonniers. Libérés, ils n’en auront pas tout à fait fini avec leur calvaire mais d’une certaine manière les choses ne finiront pas trop mal.
Si l’action se déroule durant le règne de Kim Jong-Il, les deux auteurs ont retiré quasiment tout autre repère temporel, laissant le lecteur un peu hors du temps. Les références que nous connaissons nous ramènent aux systèmes soviétique, maoïste ou à celui des khmers rouges. Tous ont disparu dans leurs formes les plus radicales. Ce régime nord-coréen est pourtant bien actuel. Le lecteur, s’il se tient au courant de l’actualité, n’apprendra pas forcément beaucoup de chose sur ce que vivent les habitants de ce pays, en revanche l’expérience de journaliste d’Aurélien Ducoudray associé au dessin expressif et hypnotique de Mélanie Allag vont l’embarquer au cœur même de ce que ressentent les Nord-Coréens. D’une confiance aveugle et optimiste, pour ceux qui ne sortent pas de l’endoctrinement, à la souffrance la plus terrifiante, au désespoir, toute la gamme des passions humaines parcourt cet album. Ducoudray nous fait partager l’horreur de l’emprisonnement d’enfants dans des camps, des tortures mais le dessin sans les faire passer, les rends dicibles. Cet album peut pratiquement être mis dans toutes les mains, c’est un tour de force et une leçon de ce peut être un récit historique rigoureux et édifiant, au bon sens du terme.
L’Anniversaire de Kim Jong-Il. Aurélien Ducoudray (scénario). Mélanie Allag (dessin et couleurs). Delcourt. 144 pages. 17,95€
Les 5 premières planches :